GENERALITES
Ce résumé donne un état simplifié de la réglementation existante en France en 1762 régissant les prises faites en mer avec parfois un petit rappel historique pour certains points importants. Il est tiré de l’ouvrage de Valin: «Traité des prises, ou principes de la jurisprudence Françoise Concernant les Prises qui se font sur mer», La Rochelle, Jerôme Legier, 1763, in8°.
La course est née dés qu'il y a eu
rivalité sur mer entre navires de deux nations en guerre. Elle a largement contribué
à l'établissement définitif de la charge d'Amiral qui fut au début chargé de
surveiller et de contrôler les navires des particuliers qui partaient en course.
Elle fut aussi à l'origine de la création des congés qui est une autorisation
de naviguer que tout navire marchand doit posséder avant de quitter un port ou
une rade.
La guerre de course menée par les particuliers a toujours été
favorisée par les souverains qui se voyaient ainsi allégés d'autant dans leurs
efforts pour mener le combat et affaiblir l’ennemi sur mer.
Pour éviter les abus, il a fallu faire des règlements. Deux
d'entre eux nous permettent déjà d'écarter deux catégories de personnes qui ne
peuvent armer en course:
q
Les ecclésiastiques (par un arrêt du 22.05.1724)
q
Les commissaires de la marine (par une
ordonnance du 05.05.1693)
Faire la course, c'est s'efforcer de faire le plus de mal
possible à l'ennemi en s'emparant de ses biens, c'est à dire en effectuant des
prises.
La prise est la saisie d'un vaisseau ennemi, ou réputé tel,
et des effets qu'il contient, par quelqu'un à qui son souverain a donné pouvoir
de la faire, soit par une commission en guerre (en temps de guerre), soit par
des lettres de représailles (en temps de paix). Le terme de course ne peut donc
être employé que dans ces deux cas bien particuliers et toute prise de biens
faite en dehors de ce cadre se résume à de la piraterie qui est sanctionnée par
la peine de mort.
ENCOURAGEMENTS A LA COURSE
Des exemples concrets de partage de prises avec calcul des parts de chacun sont donnés au chapitre 9 : « Liquidation des prises », mais voyons d’abord ici un bref historique de l’évolution de la réglementation dans l’encouragement à la course.
A l'origine, tous les profits des prises revenaient aux
équipages et aux armateurs des navires corsaires sans autres déductions que les
frais de déchargement, de vente, de justice et le 1/10 attribué à l'amiral.
Ensuite il y a eu la taxe de 6 deniers par livre au profit des Invalides de la
Marine (depuis mars 1713),
Pour encourager les courses, un édit d'août 1743 ordonna qu'afin de compenser l'augmentation
des frais d'armement des armateurs et d'augmenter la part des équipages,
l'amiral se contenterait désormais de 10 % des bénéfices nets des prises, c'est
à dire après déduction des frais de vente, de justice, de déchargement et des
frais d'armement et de relâches, ainsi que de la part de l’équipage, ce qui
augmentait quelque peu le bénéfice des armateurs et des équipages. Pour aller
dans le même sens, un règlement du 07.08.1744
diminuait le taux de calcul des frais sur les marchandises des prises et réduisait
la liste des effets prohibés qui n'étaient pas considérés comme des prises
valables.
Comme les armateurs rechignaient encore à engager de grosses
sommes pour armer en course, une déclaration du 05.03.1748
supprimait le droit du 1/10 de l'amiral pendant la durée de la guerre en cours
(guerre de succession d'Autriche). Il en fut de même par une déclaration du 15.05.1756 concernant la guerre de sept ans.
Un nouveau règlement du 15.03.1757
diminuait les droits relatifs aux prises.
Enfin, l'édit de septembre 1758
mettait un terme définitif au droit du 1/10 de l'amiral.
En plus des avantages cités plus haut dont bénéficiaient les
armateurs et les équipages, les armateurs avaient droit également à:
q
l'exemption des droits d'octrois[1] des
villes sur tout le matériel nécessaire à l'armement de leurs navires et ce, depuis
l'arrêt du 04.10.1672.
q
l'exemption des droits des fermes[2] sur
les vivres, vin, eaux de vie et autres boissons destinés aux navires armés pour
la course (arrêt du 06.04.1745 confirmé par la
déclaration du 15.05.1756 et l'arrêt du 15.03.1757).
Afin de rendre plus efficace les navires armés en course, le Roi
prit, par la déclaration du 05.03.1748, la
promesse vis à vis des armateurs qui avaient armé des navires neufs, de
reprendre à son service tous les navires corsaires de 24 canons et plus qui se
trouveraient encore en bon état après la guerre en cours (guerre de succession
d'Autriche qui se termina le 18 octobre de la même année) en laissant toutefois
à l'armateur la possibilité de refuser cette offre. La déclaration du 15.05.1756 alla encore plus loin puisque le Roi
s'engageait à reprendre également les navires pris à l'ennemi.
Toujours par la déclaration du 15.05.1756,
le Roi accordait des marques particulières de satisfaction aux armateurs méritants
et des indemnités calculées sur la base suivante:
q
100 livres par canon de 4 à 12 livres pris à l'ennemi
q
200 livres par canon de plus de 12 livres pris à
l'ennemi
q
20 livres par ennemi présent sur le navire ennemi
au début du combat.
Enfin, par ce même texte, les parts de prise des matelots
corsaires déserteurs n'étaient plus remises au bureau des classes (comme
demandé par l'ordonnance du 25.03.1745) mais à
l'armateur pourvu que son navire ait 24 canons ou plus.
Jusqu'en 1748, l'équipage
d'un navire corsaire se contentait de 10% de la valeur de la prise.
Depuis la déclaration du 05.03.1748,
confirmée par celle du 15.05.1756, l'équipage
a droit à 1/3 de la valeur de la prise ainsi qu’à une gratification royale
supplémentaire basée sur le barème suivant (en 1756):
q
100 livres pour chaque canon de 4 à 12 livres
trouvé sur un navire marchand ennemi
q
150 livres pour chaque canon de 4 à 12 livres
trouvé sur un navire corsaire ennemi
q
200 livres pour chaque canon de 4 à 12 livres
trouvé sur un vaisseau de guerre ennemi
q
150 livres pour chaque canon de 12 livres et
plus trouvé sur un navire marchand ennemi
q
225 livres pour chaque canon de 12 livres et
plus trouvé sur un navire corsaire ennemi
q
300 livres pour chaque canon de 12 livres et
plus trouvé sur un vaisseau de guerre ennemi
q
30 livres pour chaque prisonnier fait sur un
navire marchand ennemi
q
40 livres pour chaque prisonnier fait sur un navire
corsaire ennemi
q
50 livres pour chaque prisonnier fait sur un
vaisseau de guerre ennemi
Le barème relatif aux prisonniers est appliqué pour
l'effectif du navire pris au début du combat. Un supplément de 25 % à ce tarif
est accordé si l'ennemi corsaire ou de guerre a été pris à la suite d'un
abordage.
En outre, le Roi peut accorder aux corsaires méritants
d'autres gratifications ou même des emplois sur ses vaisseaux. Pour les
officiers et volontaires valeureux, le Roi se garde la possibilité de réduire le
nombre des campagnes qu'ils doivent normalement effectuer pour être reçus
capitaine.
Les marins devenus invalides à la suite d'un combat touchent
leur demi solde grâce à la caisse des invalides de la Marine. En cas de décès,
leur veuve ou héritier touchent une pension.
Enfin, par lettre du Roi du 24.03.1746,
il était admis qu'un marin non breveté capitaine à l'amirauté, pouvait
néanmoins commander un navire corsaire jusqu'à 50 tonneaux de jauge.
Avant l'ordonnance du 03.09.1692,
les équipages des vaisseaux du Roi qui s'emparaient d'un navire marchand ou
corsaire ennemi n'avaient droit à rien.
Depuis cette ordonnance, ils eurent droit à 10 % de la valeur
de la prise (après déduction des frais et du 1/10 de l'amiral).
Par déclaration du 05.03.1748,
les 10 % se transformèrent en 1/3 (uniquement pour les prises faites sur les
navires marchands ennemis car pour les navires corsaires pris, le taux de 10 %
restait applicable) et le partage entre les membres des équipages devait se
faire suivant une ordonnance qui fut sans cesse annoncée et qui ne parut que le
15.06.1757. De plus, la déclaration de 1748 leur accordait les même gratifications que
celles dues aux équipages des navires marchands et corsaires (voir le
paragraphe : « Avantages
accordés aux seuls équipages des navires corsaires »).
Comme il apparut que malgré ces avantages, les équipages du Roi
ne mettaient pas plus d'ardeur à faire des prises qu'avant 1692, c'est à dire à l'époque où ils n'avaient droit
à rien, le Roi augmenta encore leurs avantages par la déclaration du 15.05.1756. En plus du 1/3 de la valeur de la prise
(sur les navires marchands uniquement), ils étaient susceptibles de recevoir
des gratifications supplémentaires, selon leur grade et à la convenance du Roi.
Ils avaient d'autre part droit aux même suppléments que les équipages des
navires civils (voir le paragraphe « Avantages
accordés aux seuls équipages des navires corsaires ») et enfin, s’ils prenaient un vaisseau de
guerre, ils avaient droit à une prime qui s'ajoutait à toutes les autres et qui
était la suivante:
q
300 livres pour chaque canon de 4 à 12 livres pris à l'ennemi
q
450 livres pour chaque canon de plus de 12
livres pris à l'ennemi
Avec majoration de 25 % si la prise a été faite après un
abordage.
Par ordonnance du 15.06.1757,
le Roi confirmait tous les avantages définis le 15.05.1756
et en rajoutait d'autres à savoir:
q
Le 1/3 des marchandises, pierreries, or et
argent trouvés sur les vaisseaux de guerre ennemis leur revenait de droit. Ce
1/3 n'était alors accordé que pour les prises faites sur les navires marchands
ennemis.
q
Le 1/3 des marchandises prises sur les navires
corsaires (au lieu du 1/10 selon l'ordonnance de 1692)
leur était accordé de droit.
q
Une gratification supplémentaire (uniquement
pour les navires marchands pris) de:
Ø
100 livres pour chaque canon de 4 à 12 livres
Ø
150 livres pour chaque canon de plus de 12
livres
Ø
30 livres pour chaque prisonnier
Si le Roi désirait utiliser à son service des navires ou du
matériel qui avaient été pris à l'ennemi, il en faisait auparavant une
estimation afin de déterminer le 1/3 de cette valeur qui était versé aux
équipages. Il faut noter enfin que le droit de 6 deniers par livre restait dû à
la caisse des invalides de la Marine, sauf dans quelques cas exceptionnels.
Le tableau suivant permet de mieux suivre ces
changements intervenus dans les parts des équipages des vaisseaux du Roi:
Date |
Prise d’un navire marchand |
Prise d’un navire corsaire |
Prise d’un navire de guerre |
→ 03.09.1692 |
0 |
0 |
0 |
03.09.1692 05.03.1748 |
10% |
10% |
10% |
05.03.1748 15.05.1756 |
1/3 + (1) |
10% + (1) |
10% + (1) |
15.05.1756 15.06.1757 |
1/3 + (1) |
10% + (1) |
10% + (2) |
15.06.1757 |
1/3 + (3) |
1/3 + (4) |
1/3 + (5) |
(1)
= Gratifications identiques à celles accordées aux équipages des navires
corsaires (voir paragraphe : « Avantages
accordés aux seuls équipages des navires corsaires »).
(2) = (1) + prime spéciale suivant
l'importance des canons saisis.
(3) = (1) légèrement amélioré + prime
spéciale en cas de prises de canons ou prisonniers.
(4) = (1) légèrement amélioré.
(5) = (2) légèrement amélioré.
C'est Louis XIV qui a introduit cet usage de céder des
vaisseaux du Roi à des particuliers pour faire la course. Il y a eu sur ce
sujet divers règlements:
q
Celui du 05.10.1674
stipulait que sur le produit des prises, il serait prélevé avant toute chose la somme nécessaire à la remise en état du vaisseau pour
le remettre dans le même état que lors de la cession au particulier. Après
quoi, devait être déduit les frais d'entretiens déjà engagés par l'armateur,
les frais de justice et le 1/10 de l'amiral. Le restant était alors partagé
entre le Roi (1/3), l'armateur (1/3) et l'équipage (1/3).
q
Par celui du 08.11.1688, le Roi renonçait à sa part au profit de celle de
l'armateur.
q
Celui du 20.11.1688 encourageait encore plus les particuliers puisqu'il
annulait celui du 05.10.1674 par le fait que le vaisseau cédé serait radoubé, gréé, caréné
et armé aux frais du Roi. De plus, les armateurs n'étaient plu responsables de
la perte des vaisseaux du Roi et les appointements des officiers et gardes de
la Marine seraient aussi à la charge du souverain.
q
L'ordonnance du 15.04.1689 faisait marche arrière puisqu'elle remettait en
vigueur les dispositions du règlement du 05.10.1674
et révoquait celles des 08 et 20.11.1688. Cette ordonnance fut sans doute prise
par erreur car:
q
Le règlement du 05.12.1691 rappelait ceux des 05.10.1674,
08 et 20.11.1688
sans faire mention de l'ordonnance du 15.04.1689.
Ce règlement précisait:
Ø
Qu'il ne serait point donné à des particuliers
pour la course des vaisseaux de guerre de plus de 44 canons.
Ø
Que la cession des vaisseaux se ferait par
contrat entre l'intendant du port et l'armateur. Contrat expédié ensuite au
ministre de la marine pour servir au jugement des prises.
Ø
Que le vaisseau serait cédé en parfait état, à
charge de l'armateur de le rendre dans le même état.
Ø
Que l'armateur serait chargé de la fourniture
des vivres et de la solde des équipages au moyen de quoi, les prises lui
appartiendraient en entier.
Ø
Que le temps de cession serait précisé dans le
contrat.
Ø
Que l'armateur ne serait pas responsable de la
perte du vaisseau ni de la solde des officiers et des gardes de la Marine,
directement réglée par le Roi.
q
Le 06.10.1694, nouveau règlement par lequel le Roi s'appropriait le
1/5 du produit des prises, déduction faite des frais de justice, de garde, de
vente, du 1/10 de l'amiral. Moyennant quoi, l'armateur n'était plus tenu de
remplacer le matériel d'armement qu'il avait utilisé pendant la campagne. Le
souverain avait eu en effet beaucoup de mal à récupérer ses navires dans le même
état qu'à l'origine et il trouva plus simple d'instituer une sorte de forfait.
q
Par ordonnance du 09.06.1706, il fut décidé que le 1/5 revenant au Roi serait
exempt de tous droits de commission et des intérêts des avances et qu'il ne
serait sujet qu'aux frais de justice et autres cités par le règlement du 06.10.1694.
q
Enfin, par une autre ordonnance du 01.07.1709, le Roi
abandonnait sa part du 1/5.
Louis XV a très peu utilisé cet usage de cession de ses vaisseaux et quand il le faisait, c'était à des conditions particulières qui se traitaient cas par cas. Néanmoins, il prit quelques dispositions d'ordre général à observer par une ordonnance du 15.11.1745 qui s'inspirait de celle du 15.04.1689 qui concernait les vaisseaux du Roi armés en course par le Roi. Ainsi, sur les vaisseaux prêtés aux particuliers, le recrutement des équipages devait se faire comme pour les vaisseaux du Roi, c'est à dire par levées obligatoires des gens de mer.
De plus, les capitaines de ces vaisseaux devaient se conformer, comme tous les autres capitaines, aux conditions décrites dans le chapitre suivant (« Formalités à remplir ») qui décrit la procédure à suivre pour armer en course et les obligations des capitaines, armateurs et équipages.
En conclusion, ce qu’il faut retenir de la base de partage dans le cas de la prise d’un navire marchand est qu’un fois les frais et autres taxes déduits, et sauf existence d’une société d’intérêts (pour les armements privés) dont le contrat mentionnerait un principe de partage différent, on observe que :
q Avant le 05.03.1748 :
Ø L’amiral touche 10% de la valeur de la prise
Ø L’équipage touche 10% de la valeur de la prise
Ø L’armateur (ou le Roi si c’est lui qui arme en course) touche 80% de la valeur de la prise.
q Après le 05.03.1748 :
Ø L’amiral ne touche plus rien
Ø L’équipage touche 1/3 de la valeur de la prise
Ø L’armateur (ou le Roi) touche 2/3 de la valeur de la prise.
Pour le cas où la prise est un navire corsaire ou un navire de guerre et que le preneur est un vaisseau du Roi, la part de l’équipage reste de 10% et cela jusqu’à l’ordonnance du 15.06.1757 alors que si le preneur est un navire armé par un particulier, la règle du 2/3 - 1/3 s’applique.
Enfin, on peut noter que pour 2 navires marchands de même valeur pris, la part de l’équipage du vaisseau du Roi preneur est sensiblement la même que celle du navire particulier mais que la part qui revient en définitive à chacun est généralement différente du fait que les équipages des navires particuliers sont moins nombreux que ceux des vaisseaux du Roi. Par contre, les vaisseaux du Roi sont mieux armés et ont plus de chance de faire des prises.