Un manuscrit de Pidansat de Mairobert du milieu du XVIIIe siècle sur l’histoire de la marine de 1673 à 1723 d’après les dépêches des ministères.
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Dans la transcription de ce manuscrit, je me suis efforcé de conserver l’orthographe originale tant que celle-ci n’implique aucune ambiguïté dans la compréhension du texte (Roy, armemens, négocians, etc.). Par contre, j’ai modifié celle des noms propres quand cela m’a paru nécessaire (par exemple La Hougue au lieu de La Hogue, Sète au lieu de Cette, Mississippi au lieu de Missipipi, etc.).
A de rares occasions, j’ai eu l’audace d’ajouter un mot pour aider à la compréhension du texte. Ces mots sont ajoutés entre crochets comme [ceci].
Les réflexions et jugements de l’auteur sur certains articles sont mis ici en caractères italiques.
Certains termes techniques maritimes sont utilisés comme liens hypertextes. Il suffit de cliquer sur ces mots pour ouvrir un mini dictionnaire explicatif.
Le texte est suivi d’un bref portrait, sans aucune complaisance, de quelques chefs de la marine du département de Brest, puis d’un état de la marine française en 1756. Enfin, on trouve un état des marines de Grande Bretagne, d’Espagne et de Portugal que je n’ai pas retranscris car incomplet et avec des noms de navire parfois francisés.
Il me reste à décrypter quelques noms géographiques que je n’ai pu transcrire correctement.
Chacune des 5 parties du manuscrit, correspondantes aux 5 ministères étudiés, est subdivisée en 25 thèmes environ que l’on retrouve presque systématiquement (armements, commerce, artillerie, constructions, etc.). Chaque partie se termine dans le manuscrit par une table des matières reprenant ces thèmes dans un ordre alphabétique. Pour faciliter ici la recherche d’un thème en particulier, j’ai préféré regrouper ci-dessous, sous forme de tableau, l’ensemble des thèmes étudiés pour les 5 ministères. Il suffit de cliquer sur le thème voulu dans la colonne du ministère souhaitée pour accéder directement à la partie du texte recherchée. Pour revenir à la table des matières ou sortir de cette page, il vous suffit d’utiliser la barre des menus du haut de l’écran qui vous suivra tout au long de votre lecture que je vous souhaite intéressante.
Table des matières synoptique de l’ensemble de l’ouvrage
Ministères ®Thèmes ¯ |
Ministère de M. Colbert (1669-1683) |
Ministère du marquis de Seignelay (1683-1690) |
Ministère de M. de Pontchartrain (chancelier) (1690-1699) |
Ministère de M. le comte de Pontchartrain (1699-1715) |
Régence et ministère de M. de Morville (1715-1723) |
Introduction |
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§ Préface § Sommaire |
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Amirauté |
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Armements |
§ Guerre avec les Barbaresques § Amérique |
§ Guerre d’Angleterre, d’Espagne et de Hollande, 1691 § Alger § Tunis § Tripoli |
§ Guerre pour la succession d’Espagne § Alger § Tunis § Tripoli § Salé |
§ Armements en général et police d’armement § Tripoli |
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Artillerie |
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Bâtiments et fortifications |
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Cartes et plans |
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Chiourmes |
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Classes |
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Pilotage |
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Colonies |
§ Canada |
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Commerce |
§ Commerce d’Espagne et de Portugal § Commerce de Flandre par Dunkerque |
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Constructions et radoubs |
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Machines |
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Fonds |
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Gardes côtes |
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Honneurs, rangs et commandements |
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Invalides |
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Justice, police et discipline |
§ Justice § Police |
§ Justice § Police |
§ Justice § Police |
§ Justice § Police |
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Manufactures |
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Munitions et marchandises |
§ Bois |
§ Bois |
§ Bois |
§ Bois |
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Officiers |
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Ports, côtes et rades |
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Prises |
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Religionnaires |
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Saluts |
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Troupes |
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Vivres |
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Cette histoire de la marine en cinq tomes est de M. Pidansat de Mairobert, dont la fin tragique a été très « comme dans le tems ». Il avait un employ dans les bureaux de la Marine qui le mettait à portée de consulter les pièces qui sont dans les dépôts. C’est vers l’an 1760 qu’il fit ce mémoire et le donna à un de ses amis.
Plan de l'ouvrage
Le plus grand avantage que l'on puisse retirer de la collection des manuscrits qui se trouvent dans les archives et dans les dépôts publics, est moins d'y retrouver les dates et les détails des anciens événemens, que de parvenir à en connaître les motifs et les routes qui les ont conduit et préparés. C'est de là que l'on peut tirer les meilleurs principes du gouvernement et d'administration pour l'avenir.
Mais si rien n'est plus utile que cette connaissance, rien n'est si rare ni si difficile que de l'avoir juste et de pouvoir la puiser dans la source. Une partie de ces motifs se trouve cachée dans le cœur des princes et des ministres et quelquefois n'en sort jamais, l'autre ne se découvre que longtems après et reste souvent ensevelie dans le secret des cabinets. Peu de gens sont à portée de l'en tirer, et de ceux là, les uns manquent de tems, les autres de moyens et le plus grand nombre d'intérêts pour les mettre au jour. Le passé s'oublie, le présent s'échappe et l'avenir touche trop faiblement pour engager à des recherches pénibles dont le mérite parait incertain ou éloigné. Les affaires, dit-on, ont changé de face, ce qui était bon alors ne vaut plus rien à présent. Il faut vivre au jour le jour, un bon esprit vaut mieux que toutes les vieilles maximes. C'est là ce qui fonde en partie le peu de cas que l'on fait de la lecture des anciens manuscrits ou le peu de secours que l'on en tire. Cependant il est des principes supérieurs et des maximes capitales qui sont de tous lecteurs et de tous les gouvernemens, que l'esprit seul n'apprend point, et dont il n'y a que l'étude jointe à la pratique et à une longue habitude dans le maniement des grandes affaires, qui puisse faire connaître l'importance. Cette étude est pour ainsi dire une expérience anticipée; elle ne suffirait pas à un homme sans génie, mais elle aidera beaucoup celui qui joindra l'une à l'autre.
On se propose donc de recueillir de toutes ses dépêches, non des décisions particulières, mais les principes même de ces décisions, quand ils se sont trouvés clairement exprimés, et l'on ne citera les faits que quand ils seront nécessaires, pour donner l'intelligence ou la preuve de ces principes. En un mot, c'est l'esprit des ministres que l'on s'attachera à faire connaître dans ces extraits, et comme ce n'est que sur les dépêches de la marine que l'on a eu occasion de travailler, on ne trouvera presque rien ici qui n'ait rapport à cette partie d'administration.
Pour remplir ce plan, on a commencé par faire un extrait des papiers qui sont au dépôt de la marine, et qui contiennent tous les ordres du Roi, et toutes les dépêches des Ministres depuis 1669, auquel tems M. Colbert fut nommé secrétaire d'État de la marine.
On a ensuite rangé tous ces extraits, par ordre alphabétique de matières, pour que l'on put y trouver plus facilement et comme dans un dictionnaire les articles que l'on voudrait chercher et l'on a joint dans chaque article, lorsque l'occasion s'en est présentée, quelques réflexions courtes, sur ce que les circonstances et la pratique ont fournit de nouvelles lumières et ont occasionné de changemens depuis ce tems dans la marine.
Enfin on a mis à la tête de chaque ministère une décision préliminaire contenant des observations générales sur le caractère propre des ministres et sur les différentes positions des affaires de la marine dans le tems de leur ministère.
Dans un service tel que celui de la marine dont toutes les parties sont étroitement liées, il est impossible en les détachant comme on l'a fait, de ne pas rapporter dans un article ce qui a manqué dans un autre. Ainsi cette liaison intime a nécessairement entraîné dans quelques redites, soit sous le même, soit sous différens ministères, mais ces redites même qui sont en très petit nombre, au lieu d'être un défaut, procurent ici un double avantage, 1e sous ce même ministère par rapport à l'ordre alphabétique des matières que l'on a suivi, comme le plus simple et le plus commode, elles sauvent la peine de recourir à plusieurs articles, 2e par rapport aux différens ministères, elles font connaître qu'une même pratique ou une même difficulté a constamment subsisté.
Au reste l'on n'annonce point un traité complet sur chacune de ces matières, mais un extrait de ce qui est porté sur chacune dans les dépêches des ministres, extrait que l'on arrange avec plus d'ordre qu'il a été possible et qui suppose à ceux qui voudront en faire usage, des connaissances antécédentes des premiers principes d'un service aussi étendu et aussi compliqué que celui de la marine.
On croit inutile d'observer que lorsqu'il est dit dans ces extraits qu'un Ministre ordonnait, défendait, récompensait, punissait, cela doit toujours s'entendre au nom du Roi, à qui il était présumé en avoir rendu compte.
Ministère de M. Colbert.
Principes sur la Marine
Tirés des dépêches et des ordres du Roi donnés
sous le Ministère de
M. Colbert.
Discours préliminaire
M. Colbert avait commencé a être employé dans les affaires sous le cardinal Mazarin dont il avait la confiance et il entra dans le ministère à sa mort, d'abord en qualité de contrôleur général, ensuite en celle de secrétaire d'état ayant le département de la marine.
Ces deux places se servant mutuellement, il a fait de grandes choses dans l'une et dans l'autre. Il a trouvé les finances et la marine dans un grand désordre, particulièrement la marine. Il l'a rétablie, et pour ainsi dire créée en fort peu de tems, et s'il y a versé abondamment les fonds de l'état, la marine les a bien rendus à l'état, comme il le dit lui-même, par l'augmentation du commerce maritime qui est une des grandes sources de la richesse, et pour l'augmentation des droits du Roi qui en était la preuve et l'effet. Aussi ne perdit-il jamais ces deux objets de vue et dans cet esprit, tout ce qui conduit à augmenter le commerce, à perfectionner les manufactures, à mettre les marchandises du cru du royaume en valeur, et à le mettre en état de se passer de celles de l'étranger, à établir l'ordre et à maintenir la discipline, lui paraissaient mériter la plus grande attention. C'est ce que l'on voit régner dans toutes les dépêches qui contiennent des maximes du plus grand jugement.
Il fallait un esprit aussi supérieur que le sien, pour les former dans un tems où la marine était pour ainsi dire au berceau, et où l'expérience n'en avait pu faire encore sentir toute l'utilité. Elles sont plus comme à présent, et l'on doit présumer qu'elles sont mieux suivies, mais l'application dans l'exécution dépendra toujours des talens et du zèle de ceux qui seront à la tête des postes, particulièrement des intendans. Il fallait alors former des hommes en formant des règles, et quoique les circonstances soient changées à cet égard, on reconnaîtra avec plaisir dans toutes les dépêches de M. Colbert cet esprit de citoyen et de législateur qui tendit toujours au même but, sans être détourné, ni par les difficultés, ni par l'immensité de son objet.
Ce qu'il a écrit de sa main est inconcevable, son style n'est ni fleuri, ni même fort correct, mais toutes ses expressions sont chargées de sens, il n'y en a aucune d'inutile. Le courage, la bonté, l'amour du bien public s'y montrent partout. Non seulement il en était rempli, mais il l'inspirait. Personne ne savait mieux exciter l'émulation et le désir de bien faire et l'une de ses principales attention était de démêler et d'employer les bons sujets, de les exciter par des éloges, de les encourager par des récompenses, de les soutenir dans leurs fonctions, de contenir les autres par des punitions et d'animer dans cet esprit toutes les différentes parties du service.
M. Colbert avait des vues très étendues pour le bien de l'état, dont la marine en elle-même n'était par l'unique objet. Il la considérait non seulement par rapport à l'augmentation de force et de puissance qu'elle pouvait donner au royaume, mais encore par rapport à l'augmentation du commerce tant intérieur qu'extérieur qu'elle devait y procurer, et qu'il regardait comme un des plus sûr moyen d'y apporter l'abondance.
Il s'était fait des principes sur presque toutes les parties du service, mais il ne s'y assujettissait pas de façon qu'il n'y admit dans les occasions les réserves et les modifications que les circonstances pouvaient exiger. C'est ce que l'on verra à l'article des Classes, où il fut obligé dans des momens d'user de voie de rigueur pour la levée des matelots et de sortir de l'ordre et des règles qu'il avait lui-même prescrites et dans celui de la réception des marchandises, où le cas d'un besoin pressant, la faveur d'un fournisseur qui avait perdu sur un établissement nouveau, et diverses autres considérations l'obligèrent à faire recevoir des munitions d'une qualité inférieure, qu'il aurait fait rebuter dans un tems ordinaire.
Ces sortes de cas sont fréquens dans une administration d'un aussi grand détail que celle de la marine. C'est ce qui avait fait penser à M. de Colbert que quelque bon règlement qu'il put faire, il n'opérerait jamais rien d'utile, et qu'il courrait risque même de faire manquer le service très souvent, s'il exigeait de ceux qu'il mettait à la tête des ports ou des escadres, une attache trop scrupuleuse à la lettre des règlemens et des instructions qu'il leur donnait, et s'il ne s'en remettait pas à leur lumière et à leur expérience, de faire plier la règle plus ou moins quand ils le jugeraient à propos, en lui rendant compte pour les choses majeures, car il ne l'exigeait pas pour les petites parties.
Il consultait longtems avant d'entreprendre les gens même qu'il connaissait d'une capacité bornée lorsqu'il s'agissait d'un détail dont ils avaient la pratique ou d'une entreprise qui devait passer par leurs mains. Il croyait dans ces cas là devoir écouter leurs avis, ne fut ce que pour savoir s'ils entendaient bien son idée et pour parer les inconvéniens que leur manque d'intelligence aurait pu causer.
Mais quand il avait une fois formé un bon plan, il ne se rebutait pas par les difficultés qu'il trouvait dans l'exécution, persuadé qu'elles sont inséparables des commencemens de tous les grands établissemens, et que le tems et une bonne conduite viennent presque toujours à bout de choses que l'on croyait les plus difficiles.
Il avait soin d'expliquer ses intentions d'une manière claire et bien circonstanciée et ne connaissait point cette politique dangereuse des ordres ambigus qui s'interprètent suivant l'événement et qui laissent aux ordonnateurs la gloire des heureux succès et la liberté de rejeter sur l'exécution le blâme des mauvais.
Il abandonnait volontiers à ceux qu'il mettait en oeuvre le choix des moyens et se fâchait souvent contre des intendans et commandans qui le fatiguaient pour lui demander des ordres sur des minuties et qui perdaient à attendre la réponse un tems précieux pour agir.
Il voulait que dans les occasions où la diligence est nécessaire (et elle l'est presque toujours dans les opérations de la marine) un homme en place sût vaincre les petites difficultés et prendre sur lui les parties les plus convenables au service et à la situation des affaires (maxime bien importante, mais bien épineuse pour les subalternes) dont il avait soin de leur rendre la pratique aisée par la fermeté avec laquelle il les soutenait. Il est vrai qu'il blâmait vivement ceux qui faisaient échouer une entreprise par manque de bonne volonté ou de vigilance.
Son caractère n'était cependant pas aussi dur qu'on l'a dépeint, il menaçait plus qu'il ne punissait et quand il se trouvait obligé de faire quelques exemples, il ne s'y déterminait qu'avec peine, et avait soin qu'ils ne tombassent que sur des sujets peu recommandables par aucune espèce de mérite.
Son plus grand embarras dans le commencement vint du peu de ressource qu'il trouva dans les officiers tant d'épée que de plume et sa plus grande attention fut de penser à en former. Il n'y épargnait ni avis, ni instruction, ni récompenses. Il y employait surtout ces manières polies et engageantes qui font sentir aux gens de mérite l'estime et le discernement que l'on fait d'eux, il encourageait leurs talens, faisait valoir leurs moindres succès et démêlait mieux que personne les traits de l'envie et de la cabale dont les plus honnêtes gens savent le moins se défendre et qui offusquent si souvent leurs bonnes qualités auprès des Ministres.
Il écrivait poliment mais rarement aux officiers militaires, et uniquement lorsqu'ils étaient à la mer, chargés en chef de quelque commandement. Il les consultait alors sur des entreprises et sur les faits de leur métier, mais jamais sur tout ce qui concernait des points de police et de discipline. Il les regardait comme des instrumens plus ou moins tranchants, mais peu propres aux parties d'administration, et on ne voit aucune dépêche qui leur fut adressée sur ces matières là.
C'était avec les intendans qu'il traitait tout ce qui avait rapport au service des arsenaux et des ports. Il formait avec eux le plan de tous les armemens. Ils étaient seuls chargés de l'exécution dans les ports, il ordonnait aux commandans des escadres de les concerter avec eux, et il faisait presque toujours passer par leur canal les ordres qu'il adressait aux officiers qui commandaient des vaisseaux à la mer.
C'était cependant de bons intendans dont il manquait le plus, et l'on peut dire, que jusqu'au tems de M. de Vauvré et Desclouzeaux qu'il forma et qu'il mit en place, il n'en eut point sur qui il put faire un certain fond.
M. Colbert du Terron, intendant à La Rochelle, était celui de tous qu'il consultait le plus volontiers, et dont il paraissait faire le plus de cas. Il trouvait cependant qu'il lui manquait bien des parties. Les autres l'embarrassaient plus qu'ils ne l'aidaient. Il ne laissait pas de vouloir qu'ils fussent considérés et autorisés dans leurs fonctions, et il soutenait souvent pour le grade, ceux dont il faisait le moins de cas pour le caractère.
Il avait grand soin de ne jamais rien faire qu'au nom du Roi. Aucun Ministre n'a porté la circonspection plus loin sur cet article, il voulait même que les dépêches des officiers généraux qui rendaient compte de leur campagne, s'adressassent directement au Roi, et que les ordres qu'ils recevaient en réponse fussent signés de lui. Il faisait de même signer par le Roi la plupart des dépêches qu'il adressait aux intendans, pour peu qu'elles continssent des détails de quelque importance. Il évitait avec soin toute communication et tout conflit du service de terre avec celui de mer, et se dispensait autant qu'il pouvait d'employer des intendans de province pour les affaires de la marine, soit qu'il en eut reconnu l'inconvénient soit que les circonstances de son ministère l'exigeassent ainsi. Il en fit un point capital des instructions qu'il donna à son fils et c'est l'un de ceux sur lequel il insiste le plus et qu'il lui répète le plus souvent.
Telles sont les maximes que M. Colbert parait avoir suivi pendant le cours de son ministère, et dont il s'est servi pour porter la marine au plus haut degré de sa gloire. On a voulu former des objections et peut être pouvait t-il y en avoir quelques-unes de bonnes. On ne prétend point en faire ici l'apologie, ni la critique. Il embrassait beaucoup de parties et quoique le pus grand ministre de son tems, il a pu errer sur quelques points. Il avait les grands principes du service dans le cœur et dans la tête, mais il lui manquait la connaissance des détails qui ne peut s'acquérir que par l'expérience et par une longue pratique. Il y suppléa par la force de son génie, et il faudrait lui être bien supérieur pour oser relever des défauts dans sa conduite, sans être bien sûr d'en avoir pénétré les motifs.
On est quelquefois frappé des petits inconvéniens d'un parti, faute de connaître les grands avantages qui en résultent et qui en sont souvent inséparables. Cette discussion passerait les bornes d'un extrait. On s'est contenté d'exposer la route qu'il a tenue et dont on s'est écarté depuis sur plusieurs points, sans doute par de bonnes raisons. C’est aux ministres en place à juger par les effets, si ces changemens ont été avantageux ou nuisibles au bien de la marine.
M. Colbert mourut au 7 septembre 1683 et avant sa mort, il avait fait associer au ministère son fils le marquis de Seignelay qui lui succéda dans la partie de la marine. Pour parvenir au rétablissement de la marine, M. Colbert parait s'être fait d'abord un plan de conduite qu'il suivit avec une constance et une diligence incroyable et telle qu'en deux ou trois ans, il mit la marine dans l'état le plus florissant, où elle ait jamais été portée en France. Il commença.
1er par faire amasser d'immenses provisions de toutes espèces de munitions, tel que le bois, chanvre, fer, etc. et par rassembler et former des ouvriers de toutes sortes d'arts propres à la marine, qu'il chercha même à attirer des pays étrangers.
2e par faire bâtir ces arsenaux, où des munitions puissent être placées commodément et pour y établir un grand ordre pour leur conservation et leur emploi.
3e par faire construire dans tous les ports un grand nombre de vaisseaux dont il avait fixé l'état à 120, savoir 40 à Rochefort, 40 à Toulon et 40 à Brest.
4e par former un grand corps d'officiers, matelots et autres gens de mer de toute espèce et par établir une bonne police et une exacte discipline parmi eux.
5e par mettre en oeuvre toutes ces différentes parties en faisant faire de grands et fréquens armemens et en dirigeant toutes leurs opérations à la gloire de l'État et à l'avantage du commerce.
Voila quelles furent en général ses principales vues et voici en détail les maximes qu'il parait avoir suivies pour les bien remplir.
Armemens
Armemens en Général
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Les forces maritimes montaient en 1678 à 120 vaisseaux de ligne 12 du 1er rang, 26 du second, 40 du troisième, 26 du quatrième et 16 du cinquième. M. Colbert voulait que ces vaisseaux fussent toujours en état d'être armés et servissent à tour de rôle, sans égard aux fantaisies des capitaines qui voulaient toujours monter des vaisseaux neufs. Il estimait important pour la gloire du Roi et pour le bien du commerce qu'il parût des vaisseaux dans toutes les mers en tems de paix comme en tems de guerre. Il voulait accoutumer les capitaines à tenir la mer en hiver comme en été, et faisait croiser M. Duquesne pendant tout l'hiver entre les caps Ouessant, Finisterre et Saint Vincent. |
1671 |
Ce fut dans cette vue là, que pour assurer le commerce et encourager les marchands, le comte d'Estrées, vice amiral, eut ordre de tenir la mer pendant douze mois de suite. Il se proposait de tenir toujours à la mer en Ponant une escadre de 6 vaisseaux armée à Brest ou à Rochefort et lorsqu'elle rentrerait d'en faire sortir une autre. Il employait les voies les plus pressantes de récompense et de punition pour exciter les officiers à faire des actions d'éclat et cherchait à leur inspirer la chaleur et l'élévation nécessaire pour se distinguer et pour faire briller la marine. Il ne craignait pas même de risquer la perte des vaisseaux du Roi pour augmenter leur gloire et mandait aux commandans de les risquer pour des occasions distinguées et qu'en cas que l'événement ne fut pas heureux, sa majesté se consolerait de leur perte. |
1673 |
Il avait fait un plan d'une chaîne de 16 vaisseaux distribués deux par deux en différens parages, depuis Calais jusqu'à Bayonne, pour la garde des côtes et pour l'escorte des vaisseaux marchands. Il donnait les éloges les plus flatteurs aux actions brillantes et engageait le Roi à écrire lui-même aux officiers qui les avaient faites. Il accordait volontiers des gratifications aux capitaines, même marchands pour les encourager dans les armemens ou pour les récompenser des prises qu'ils avaient faites et ces gratifications montaient souvent jusqu'à 2000 écus et 12000 £, somme considérable pour ces tems là. |
1677 |
Il fit rendre une ordonnance du Roi qui promettait 30.000 £ de gratification pour aborder et enlever l'amiral d'Espagne, 20.000 £ pour le vice amiral, 15.000 £ pour le contre amiral, 10.000 £ pour tout autre vaisseau de guerre, 20, 15, 10 et 6.000 £ pour les brûler seulement. Il faisait prêter des vaisseaux du Roi aux armateurs particuliers à condition que sa majesté entrerait pour un tiers dans les frais de l'armement et que les prises seraient partagées 1/3 pour le Roi, 1/3 pour les armateurs et 1/3 pour les équipages, que les officiers seraient nommés par le Roi et le capitaine par les armateurs. Il fut fait un règlement très ample en 1681 sur l'escorte à donner aux bâtimens du Levant. |
1672 |
Il faisait entrer le Roi en part avec les compagnies de commerce pour donner une récompense aux armateurs qui prendraient des corsaires ennemis, à raison de 500 £ pour chaque pièce de canon, outre le vaisseau et les droits du Roi dont il leur faisait la remise. Il recommandait particulièrement aux capitaines d'escorter et de protéger les vaisseaux marchands et de les exciter par un bon traitement et par la sûreté de l'escorte à fortifier le commerce et à augmenter la navigation dans le royaume. |
1671 |
Il leur fit défendre par une ordonnance du Roi d'abandonner les vaisseaux qu'ils avaient à escorter, sous peine de la vie et aux capitaines des vaisseaux marchands de quitter leurs vaisseaux d'escorte, sous peine de 1000 £ d'amende. Lorsque des capitaines étaient chargés d'escorter des convoys, il leur recommandait de songer plutôt à les mettre en sûreté qu'à combattre les ennemis. Il tenait pour maxime qu'il ne fallait jamais mettre des vaisseaux à la mer pour trois mois, parce que le tems s'y consomme en aller et en retour, et qu'il fallait tacher de les tenir un an à l'exemple des Anglais et des Hollandais. Cette maxime est relative au tems et aux circonstances et a des inconvéniens et des avantages. Il est vrai que les Anglais et les Hollandais la pratiquent plus que nous. Il ne gênait point les commandans dans leurs opérations à la mer et leur mandait que leurs instructions ne devaient servir qu'à leur faire connaître les principales intentions du Roi dans les armemens, mais qu'il leur laissait la liberté d'agir dans les rencontres selon ce qu'ils estimeraient le plus avantageux au bien de son service. Il regardait la lenteur et l'incertitude comme le plus dangereux de tous les inconvéniens, il aimait mieux que l'on risquât de prendre un mauvais parti que de trop risquer pour en prendre un bon. Il s'opposait fortement aux relâches et aux longs séjours dans les ports, surtout dans la rivière de Lisbonne, à quoi les meilleurs officiers étaient fort sujets, particulièrement M. Duquesne à qui il ne faisait sur cela plus de grâce qu’aux autres, malgré sa grande réputation. Il ne permettait pas que les officiers et surtout les commandans des vaisseaux descendissent à terre pour aucune expédition militaire, à moins qu'ils n'y fussent autorisés par des ordres exprès. Il recommandait aux capitaines des vaisseaux et aux armateurs de ne pas recevoir si souvent les corsaires en composition, surtout lorsqu'ils se défendraient et d'en couler bas quelques-uns uns pour intimider les autres. Il fit combatte le scrupule du départ les vendredis. Il voulait que les commandans d'escadre écrivissent fréquemment et dans un grand détail, tout ce qui se passait à la mer, et rendissent compte des talens de chaque capitaine tant pour la manœuvre que pour le combat et qu'ils observassent tout ce qu'il y avait de bon à prendre de la pratique des vaisseaux des autres nations qu'ils avaient l'occasion de visiter, particulièrement pour les brûlots. Il prenait un grand soin des blessés et des hôpitaux et envoyait des médecins, des chirurgiens, des apothicaires de Paris pour les armemens considérables. Quelque faveur que le Roi accordât aux armateurs pour la course, il observait une justice sévère sur les prises, et en donnait main levée, lorsqu'il n'y avait pas lieu de les juger bonnes, ne voulant pas sous de faux prétextes laisser établir l'esprit de piraterie, parmi ses sujets. |
1673 |
Il regardait l'union entre les chefs comme de la plus grande importance pour le succès des opérations maritimes où les divisions portaient toujours un grand préjudice. Il fut très fâché de celle qui s'éleva entre le prince Rupert qui commandait la flotte anglaise et le comte d'Estrées, vice amiral de France. Pour prévenir ces divisions, il favorisait toujours le supérieur contre l'inférieur, même mieux fondé. Et pour lever toutes les difficultés sur le commandement entre les troupes de terre et de mer, le Roi avait décidé que lorsque les troupes de marine mettraient pied à terre, elles seraient commandées par des officiers de terre, et que lorsque les troupes de terre embarqueraient sur des vaisseaux, elles seraient commandées par des officiers de marine. Il ne voulait pas qu'on laissât aux capitaines la liberté de changer leurs vaisseaux, ni leurs officiers, ni d'en prendre de surnuméraires. Il fut mal secondé dans les commencemens de son ministère par les intendans des quatre ports : Toulon, Marseille, Rochefort, et Brest, et il leur en faisait souvent de vifs reproches, particulièrement à M. Arnoul. Il donnait quelque fois aux intendans des ordres très pressés et très difficiles à remplir, mais il leur donnait en même tems les fonds et les crédits nécessaires pour l'exécution, et ne souffrait point qu'ils fussent traversés. Ces ordres étaient souvent trop précipités, surtout quand ils venaient de la part de M. de Seignelay, et couraient quelque fois risque de mettre en péril les vaisseaux du Roi, ce qui ne pouvait provenir que d'un défaut de connaissance de ce dernier dans les commencemens de son association au ministère. Il n'approuvait point que les intendans s'intéressassent dans les armemens. Il traitait noblement les affaires d'intérêt avec les puissances étrangères en ce qui concernait le partage des prises, et plaçait l'économie dans le détail des marchés et des consommations journalières. Il savait discerner et repousser mieux que personne les traits de jalousie et d'envie qui faisaient écrire contre les gens de mérite qui étaient en place et en qui il connaissait des qualités principales mêlées même de quelques défauts. Lorsque l'état des fonds ne permettait pas qu'on paya régulièrement les équipages, il aimait mieux satisfaire aux anciennes dettes que d'acquitter le courant. |
1680 |
Il faisait venir des pilotes de Ponant en Provence pour apprendre aux Provençaux à naviguer par la hauteur, méthode plus sûre que celle de la connaissance des terres qu'ils avaient employée jusqu'alors. Il se faisait informer secrètement de tout ce qui regardait la marine des nations maritimes, et il envoyait pour cela des commissaires chez elles, sous d'autres prétextes. Il donne en 1683 une instruction très ample à M. Desclouzeaux allant en Danemark qui peut servir de modèle en pareil cas. Il était autrefois défendu aux capitaines par une ordonnance du Roi, d'embarquer aucun bestiaux sur les vaisseaux sous peine de cassation. Il faisait volontiers éprouver les méthodes et inventions particulières, mais il voulait qu'on les fit approuver auparavant et signer par les capitaines pour leur ôter tout prétexte d'excuse. Le Roi devant aller visiter les côtes et ports du Royaume, il donna des instructions amples et détaillées aux intendans sur les préparatifs qu'ils avaient à faire pour sa réception. |
Armemens
Police d'armement
1677 |
Il exigeait une grande célérité dans les armemens tant de l'intendant que des officiers, pensant que le moindre retardement dans les expéditions maritimes peut faire manquer les opérations les plus importantes. Il voulait qu'une escadre fut armée en 15 jours ou un mois au plus. Il se louait à cet égard du port de Toulon bien plus que de celui de Brest. Il se proposait de faire toujours mettre un commissaire et un ingénieur sur les grandes escadres, tant pour être instruit de ce qui s'y passait, que pour lever des plans des côtes et rades où l'on aborderait. Il trouvait que l'on donnait trop d'équipage aux vaisseaux français en tems de paix. Il était ennemi des superfluités à la mer, et des embarras des bagages et des cages à poules et refusa une troisième flûte que demandait le duc de Beaufort, amiral de France, pour la commodité de son escadre, prétendant que rien n'était plus au contraire au service de la marine que de souffrir que les capitaines eussent tant de choses pour leur usage, et adoptant la maxime des Anglais et des Hollandais qui pensaient que les capitaines devaient être traités comme des soldats et matelots. Il ne permettait aux officiers, passagers ou autres que d'emporter 40 livres pesant pour leurs équipages ou rafraîchissemens. Il voulait que non seulement les capitaines, mais les commandans des escadres et le vice amiral même assistassent à l'armement et au désarmement de leurs vaisseaux. Les commissaires embarqués à la suite d'une escadre avaient ordre d'examiner, de compléter et de choisir les équipages, d'avoir soin qu'ils fussent bien nourris et bien payés, de faire mention dans leurs revues des sujets bons, mauvais ou médiocres, de visiter armes et habits des soldats et d'en rendre compte, d'observer la qualité et distribution des vivres et de faire jeter à la mer ceux qui seraient gâtés, d'exciter les officiers à faire faire souvent l'exercice aux soldats et de marquer combien de fois ils l'auraient fait, de presser les capitaines de sortir des rades, de n'y point entrer ni séjourner sans nécessité, en un mot d'examiner si les officiers faisaient dans leur état, chacun leur devoir, de s'opposer aux consommations inutiles, surtout des câbles, de ne donner ni laisser prendre aux capitaines aucune connaissance du contenu dans les magasins, et en cas que les capitaines ne se rendissent point aux remontrances que les commissaires avaient ordre de leur faire sur tous ces points, ces derniers avaient ordre d'en donner avis au secrétaire d'état de la marine. Il pensait que les capitaines voulaient toujours embarquer plus de monde et d'agrès qu'il ne leur fallait pour l'exécution des ordres dont ils étaient chargés et que si on les laissait faire, ils emporteraient le magasin général sur leur bord. Il citait sur cela l'exemple des Anglais et des Hollandais qui donnaient dans l'excès opposé. Il n'était point d'avis d'affecter à aucun vaisseau en particulier les bas officiers entretenus, comme maîtres, pilotes, canonniers. Il consultait les intendans sur le choix des vaisseaux et des officiers à qui l'on pouvait confier le commandement des escadres et avait attention de mettre ensemble, autant qu'il se pouvait, des officiers qui se convinssent, préférant pourtant à cette convenance celle du service, quand il exigeait que l'on mit un lieutenant fort avec un capitaine faible. Il obligea les capitaines de signer les inventaires des vivres et agrès qu'ils embarquaient, sous peine de cassation et de se contenter de ceux de retour que les intendans leur donnaient quand ils étaient encore de service, et sans égard aux remontrances et difficultés des capitaines il leur fit défense de prendre à leur suite des petits bâtimens qu'ils armaient des équipages de leurs vaisseaux ce qui en diminuait la force. Il autorisait les intendans à refuser aux capitaines et commandans d'escadre, même aux officiers généraux dont il faisait le plus de cas et qui étaient à la tête de la marine (comme M. Duquesne,) les demandes superflues qu'ils jugeraient inutiles au service du Roi, et il les blâmait souvent de trop de complaisance pour les officiers. Il fit défendre aux capitaines et officiers de vaisseaux qui reviendraient caréner à Toulon de quitter leur bord et de mettre pied à terre. Il voulait que les commissaires embarqués et les intendans des ports rendissent compte de la conduite des capitaines par rapport à la propreté de leur navire et à la distribution des vivres, regardant ces deux points comme capitaux pour la conservation des équipages. Il voulait que les capitaines observassent les qualités de leurs vaisseaux et en rendissent compte à leur retour. Il fit armer en 1681 une escadre à Brest commandée par le Chevalier de Tourville, uniquement pour l'instruction des officiers et pour l'exercice des manœuvres et des évolutions militaires et maritimes. Il observait de ne point mêler l'infanterie de terre avec celle des vaisseaux. |
Armemens
Guerre d'Angleterre
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Prévoyant en 1678 une guerre avec l'Angleterre, M. Colbert songea moins à balancer ses forces, qu'il sentait être bien supérieures à la mer, qu'à ruiner leur commerce qui était très étendu alors en Levant et beaucoup plus considérable que celui des Français et il tourna pour cet effet toutes ses idées du côté de la course, et de la manière la plus avantageuse de la faire. Il regardait comme un objet principal dans cette guerre d'avoir toujours une escadre légère armée à Dunkerque. Il fit armer des vaisseaux exprès pour reconnaître la Manche et pour qu'ils le fissent secrètement, il leur fit donner d'autres destinations apparentes. On a toujours eu de grands ménagemens pour les Anglais, lorsque l'on était point en guerre avec eux, et les vaisseaux français avaient ordre de visiter tous les vaisseaux étrangers hors les Anglais. Quelques égards cependant que l'on eut pour eux, on ne faisait pas difficulté d'empêcher leurs vaisseaux d'entrer dans les ports des Barbaresques avec qui l'on était en guerre. L'on n'en vivait pas moins bien avec eux. On leur rendait même les matelots de leur nation embarqués sur des vaisseaux du Roi, et on leur demandait la même chose. |
Armemens
Guerre d'Espagne
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M. Colbert prévit même après la paix faite avec l'Espagne en 1678, que la guerre se renouvellerait incessamment et donna en conséquence une ample instruction à M. Gabaret, capitaine de vaisseau allant aux Indes occidentales pour s'informer de la manière dont on y pourrait ruiner le commerce d'Espagne. |
1682 |
Il fit attaquer, quoiqu'en tems de paix, les armadilles espagnoles dans le golfe du Mexique, sous les forteresses même des Espagnols, sur le fondement de ce qu'ils prétendaient eux-mêmes qu'il n'y avait jamais de paix dans ce pays là. |
1683 |
Quoique les hostilités par mer eussent lieu entre la France et l'Espagne, on laissait la liberté aux petites barques et aux petits bâtimens de commerce de faire leur trafic d'un port à l'autre. |
Armemens
Siège de Messine
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Cette guerre, comme beaucoup d'autres, fut entreprise plus par vanité que pour raison d'état. On voulut principalement faire une diversion aux forces espagnoles pour les empêcher de se réunir aux Anglais. |
1675 |
Les Messinois furent secourus dans leur révolte non seulement d'hommes, mais de vivres en abondance, et d'une forte escadre de vaisseaux et de galères. |
1677 |
On agita, si on laisserait les galères de France hiverner à Messine, mais ce parti fut jugé de trop de dépense et sujet à trop d'inconvéniens, les galères ne pouvant subsister longtems sans le secours d'une grande ville de commerce, comme Marseille. On usa d'artifice à la fin de cette guerre, lorsque des raisons obligèrent d'abandonner Messine, et on la livra avec peu de ménagement au ressentiment des Espagnols. |
Armemens
Guerre de Hollande
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La première guerre maritime que la France eu à soutenir sous le ministère de Colbert fut contre la Hollande, la France étant unie alors avec l'Angleterre. Il semble qu'il aurait du y avoir une grande supériorité dans les forces des deux nations sur celle de Hollande. Cependant, soit à cause de la nouveauté de la marine et du peu d'expérience qu'avaient alors les officiers de vaisseaux, soit à cause de la rareté des matelots et des soldats, on ne laissa pas de trouver plus de résistance que l'on avait cru de la part des Hollandais. |
1671 |
M. Colbert commença par envoyer en Angleterre un des meilleurs commissaires de marine, M. de Vauvré pour y prendre des mesures avec l'amirauté pour l'équipement, approvisionnement et relâche des vaisseaux du Roi dans la Manche et pour régler tout ce qui regardait la jonction, action, salut et police des escadres des deux puissances réunies. On se proposait alors de ne pas donner plus de six semaines de vivres aux vaisseaux armés, afin de les rendre plus légers, ce qui fut trouvé dans la suite sujet à inconvéniens de sorte que l'on doubla et tripla le tems de l'approvisionnement les années suivantes. Le Roi donna pouvoir dans cette guerre au duc d'York, et au 1er officier de l'armée anglaise en son absence, de commander l'armée de France qui était sous les ordres du comte d'Estrées, vice-amiral, et qui n'était qu'auxiliaire. Sur les deux partis proposés au Roi d'Angleterre d'armer en commun une grosse escadre, où la France fournirait le tiers ou de diviser l'étendue des mers, de sorte que les Anglais occupassent celles qui sont entre l'Angleterre et la Hollande, et les Français celles qui sont depuis la Manche jusqu'au détroit, on s'arrêta au dernier. La France tint une escadre commandée par le chevalier de Châteaurenault, pour croiser entre le cap St Vincent et de Finisterre. Une autre de vaisseaux et galères commandée par le marquis de Martel pour croiser dans la Méditerranée, tant contre les Hollandais que contre les Barbaresques depuis Smyrne jusqu'au détroit et pour escorter les marchands français. Et une autre commandée par le marquis d'Apremont pour protéger le commerce des Français aux isles. On prit de grandes précautions pour faire garder toutes les côtes de Normandie, Bretagne, Saintonge, et particulièrement la rade de Brest, sur l'avis que l'on eut que les Hollandais devaient y faire des descentes. M. Colbert écrivit à tous les commandans des provinces le long de ces côtes de se tenir sur leurs gardes. On fit garder particulièrement l'entrée de la Manche et celle du détroit par des escadres que l'on tenait dans ces parages pour empêcher les Hollandais d'y entrer et de pénétrer dans la Méditerranée. On établit des croisières de vaisseaux à l'entrée de la rivière de Bordeaux, sur la côte de Biscaye pour en chasser les corsaires et pour donner escorte aux bâtimens de Bayonne. |
1672 |
Une des principales attentions qu'eut M. Colbert fut d'envoyer des vaisseaux pour garder la pêche de Terre Neuve où les Hollandais faisaient des prises continuelles (il fit entrer le commerce dans cette dépense) et de tenir une escadre à Cadix au tems de l'arrivée des galions pour prendre les vaisseaux hollandais qui iraient tirer leur contingent. Il fit fermer les ports de France et ne permit la sortie des vaisseaux aux marchands qu'à ceux qui seraient assés forts de canons et d'équipages pour se défendre contre les corsaires hollandais ou qui seraient escortés par des vaisseaux marchands armés en guerre ou qui contribueraient aux frais d'une escorte armée par le Roi, à raison de tant par tonneau. |
1674 |
On fut longtems inquiet pour les descentes que les Hollandais pourraient faire sur les côtes de France principalement à Brest et à Rochefort, et M. Colbert écrivit pour cela à M. le duc de Chaulnes et au marquis de Gadagne d'assembler les milices et de prendre toutes les précautions possibles pour leur sûreté. Les Hollandais ne firent qu'une tentative inutile sur Belle Isle. M. Colbert prenait toutes les précautions possibles pour être informé par la voie de Dunkerque et par des intelligences dans le pays des forces et des démarches des Hollandais et pour en faire passer les nouvelles par des bâtimens marchands que les consuls avaient ordre d'armer dans les ports étrangers et d'envoyer aux commandans des escadres françaises qui étaient à la mer. Il se proposait de faire enlever des vaisseaux hollandais jusque dans la rade de Livourne et de Smyrne, et voulait qu'on risquât tout pour anéantir le commerce des Hollandais en Levant, et pour le faire passer entre les mains des Français, mais il observait cependant de ne point les faire attaquer dans les ports, moles, et sous les forteresses des puissances étrangères. Il n'hésita pas à donner des ordres pour faire attaquer neuf vaisseaux hollandais par six vaisseaux français de même force, se confiait sur la bonté des vaisseaux et la valeur des chefs et des équipages français. |
1674 |
Il masquait volontiers ses entreprises et fit semblant d'équiper pour le Levant l'escadre de M. de Vivonne qu'il destinait pour Cadix. |
1675 |
La flotte hollandaise était alors composée de 55 vaisseaux commandés par Ruyter, un des premiers hommes de mer qu'il y ait jamais eu. M. Duquesne était le meilleur officier que la France eut à lui opposer et ce dernier eut l'avantage en plusieurs rencontres. Le Roi n'était point satisfait lorsque les vaisseaux sortaient d'un combat avec les Hollandais à avantage égal, et sans une perte considérable de la part des ennemis. Pendant la guerre de Hollande les commandans des escadres eurent ordre de donner la même protection aux Anglais qu'aux Français. En 1674 les Anglais commençant à se détacher des intérêts de la France et ne voulant point armer cette année là, et les Espagnols s'étant joints aux Hollandais, on fut obligé de se réduire à une guerre défensive et à la garde des côtes et M. Colbert consulta séparément plusieurs officiers généraux et intendans sur les partis à prendre pour cette campagne, ne jugeant pas pouvoir tenir tête avec 30 ou 40 vaisseaux aux Hollandais seuls qui en avaient 72. |
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Armemens
Guerre de Gênes
1683 |
Le Roi était extrêmement jaloux en ce tems là des saluts et du point d'honneur, et sur le refus que les Génois avaient fait de saluer l'étendard de la patronne ou de laisser visiter les vaisseaux par ceux de sa majesté, M. Duquesne eut ordre d'arrêter tous les vaisseaux génois et de canonner Gênes et toutes les maisons des nobles situées le long de la rivière de Gênes et de combattre et enlever les bâtimens génois qu'il rencontrerait à la mer. Le Roi ayant résolu le bombardement de Gênes, le détail des mesures prises et des opérations exécutées à ce sujet est traité dans la suite. |
Armemens
Guerre avec les Barbaresques
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La guerre avec les Barbaresques fut une de celle qui occupa le plus M. Colbert dans son ministère. Le commerce du Levant s'y trouvait intéressé et même celui des isles pour les retours, c'est ce qui l'engagea à y porter la plus grande attention. Il se proposait deux moyens pour contenir les Barbaresques, l'un de faire masquer leur port et d'y brûler leurs vaisseaux sans entrer dans aucun accommodement avec eux qui ne fut très avantageux à sa majesté. L'autre, de leur faire la guerre à outrance à la mer, surtout aux corsaires de Salé et de Tripoli qui ne peuvent être contenus que par la crainte et pour cela d'armer contre eux des bâtimens très légers équipés d'avirons, et des galères qui fussent toujours en état pour cet usage à Marseille, de les espalmer tous les deux mois, ne pouvant espérer que par ce moyen de joindre les Barbaresques à la mer. Il croyait très inutile de traiter avec une de ces nations barbaresques, si l'on ne réduisait les autres en même tems, parce qu'elles prendraient le pavillon de celle avec laquelle on serait en paix, et il était persuadé qu'il n'y avait qu'une conduite très fière qui put leur en imposer. Il se proposait pour la soutenir d'avoir toujours 15 à 20 vaisseaux dans la Méditerranée jusqu'à ce qu'ils fussent réduits. Il désavoua M. de La Barre, capitaine de vaisseau, d'un traité bizarre et mal conçu qu'il avait fait avec le Roi de Maroc en 1681. Il faisait arrêter les bâtimens étrangers trafiquant dans la Méditerranée et entrant ou sortant des ports des Barbaresques avec qui la France était en guerre, et faisait attaquer les corsaires barbaresques dans les ports même de la domination du grand Seigneur à l'exception de ceux d'Alexandrie et de Smyrne. Il prenait cependant des mesures avec la Porte pour prévenir les incidens qui en pourraient naître et usait de beaucoup de ménagemens avec cette puissance. Il se faisait informer secrètement des sondes, des mouillages et des fortifications de leurs différens ports. Il regardait comme très important pour le commerce de Marseille de ne point rompre trop légèrement avec les Barbaresques, surtout avec ceux d'Alger où il n'y a qu'à perdre, parce qu'ils ne font que la course et point de commerce, et qu'il n'y a point de reprises à faire sur eux. Les affaires se brouillant de plus en plus avec Alger, le Roi résolut le bombardement en 1682. Quelque réussite qu'eut cette expédition, elle coûta beaucoup plus qu'elle ne rapporta à la France, sa plus grande utilité fut d'en imposer pour quelques tems aux Barbaresques. On pensa même perdre tout le fruit de cette expédition pour l'avoir voulu pousser trop loin et l'on fut obligé sur la fin à faire la paix à des conditions moins avantageuses que celles qu'on eut obtenues d'abord si l'on eut su profiter de la première terreur du bombardement et que l'on n'eut pas donné le tems de connaître leurs forces. |
1683 |
M. Duquesne eut ordre après ce bombardement de tenter une entreprise sur Bougie. Il n'approuvait pas que l'on permit à aucun esclave chrétien de se sauver à la nage sur les vaisseaux français à la côte d'Afrique et aux Échelles du Levant, jugeant que cette manœuvre pourrait occasionner des ruptures désavantageuses au commerce avec les Barbaresques et la Porte. |
Armemens
Guerre du Nord
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En 1683 le Roi envoya une escadre de 25 vaisseaux en Danemark pour agir contre la Gueldre. Il ne parait pas qu'elle y ait fait de grands mouvemens. Le Roi de Danemark désirant qu'elle hivernât à Copenhague, le pour et contre fut discuté amplement, et le Roi s'y opposa par les raisons expliquées au dit article. |
Armemens
Amérique
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Son principal objet dans l'envoi des escadres aux isles de l'Amérique était d'en éloigner les étrangers qui voulaient s'emparer de ce commerce. L'instruction donnée à M. le comte d'Estrées sur la conduite qu'il doit tenir aux isles d'Amérique pour reprendre Cayenne, attaquer Tabago, Surinam et Curaçao et en Afrique les rivières de Gamby, Sierra Leone et le Cap Vert, fortifier la Martinique et autres colonies françaises et troubler le commerce des espagnols au Mexique. L'entreprise sur Curaçao ayant échoué avec perte de 7 vaisseaux, il lui prescrit la manière d'en rendre compte. Il recommandait une extrême intelligence entre les commandans qui allaient aux isles et les commandans des dites isles, mais il ne voulait point qu'ils eussent aucune juridiction l'un sur l'autre ni qu'en aucun cas les gouverneurs des isles pussent commander aux vaisseaux. Il était d'une extrême sévérité pour empêcher que les vaisseaux du Roi qui étaient aux isles n'y portassent et n'en rapportassent des marchandises à fret, voulant laisser le commerce en entier aux marchands et le regardant d'ailleurs comme nuisible à la navigation des vaisseaux de guerre que cela rendait trop pesant. |
Armemens
Indes orientales
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Le Roi se proposa d'envoyer en 1669 aux Indes orientales une escadre de 12 vaisseaux de 40 à 50 pièces de canon, et non plus forte, pour qu'ils pussent entrer dans les rivières, et M. Colbert quoique ennemi du faste et des superfluités à la mer recommanda qu'ils fussent bien armés et bien tenus pour donner dans ce pays là une grande idée de la puissance du Roi. Il avait grande attention de faire partir à tems la flotte des Indes pour ne point perdre la saison des moussons et sacrifiait même à cette diligence le doublage des vaisseaux qu'il croyait convenable d'ailleurs, et le complet des équipages qu'il n'estimait pas absolument nécessaire pour cette navigation. 5 ou 600 hommes lui paraissant suffisant pour soutenir alors dans ce pays là le commerce des Français contre les Hollandais. Il faisait embarquer sur ces escadres pour un an de vivres secs, et pour plus de tems de vin et d'eau de vie, et faisait donner un an de solde aux équipages en s'engageant de faire donner le surplus aux femmes, veuves et enfans. Il ne croyait point que ces sortes de voyages, qu'il sentait bien avoir une sorte d'utilité pour les officiers qui les faisaient, leur dussent servir de prétexte pour demander d'être avancés de préférence dans les promotions. |
Armemens
Défense des côtes
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Le Roi se proposait d'avoir toujours en mer, même en tems de paix, une escadre de six vaisseaux qui croisassent depuis le détroit jusqu'au Conquet, et une autre à Dunkerque de six vaisseaux assés forte pour échouer dans les marées basses. |
Artillerie
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M. Colbert établit l'école des canonniers dans les ports et le prix de la butte. Il voulait que les commandans et intendans y assistassent de tems en tems et comptait fixer le nombre des entretenus à 4 ou 500. Il écoutait toutes les propositions qui tendaient à perfectionner l'artillerie et faisait faire l'épreuve de toutes celles qui promettaient d'augmenter la portée du canon, même celle des boulets creux à fusée quoiqu'il n'en eut pas grande opinion, doutant qu'ils eussent assés de force pour percer les membres d'un vaisseau. Il fit faire aussi des boulets d'artifice, des mortiers à grenades et des canons courts de volée. Il espérait rendre les canons de fer égaux en bonté à ceux de fonte et y faisait travailler. Il blâmait avec raison la trop forte épreuve des canons et pensait qu'une seconde épreuve ne pouvait qu'énerver la pièce (voir les instructions qu'il donnait en pareil cas). Il entrait avec les fournisseurs dans les plus grands détails sur la fabrique des canons, mais il ne recevait point d'excuses sur l'exécution de leurs marchés, et il les renvoyait sur cela aux intendans à qui il mandait de les examiner à fond, et il n'en jugeait que par leurs avis. Il était fort attentif aussi aux épreuves et à la confection des poudres et entrait sur cela dans les mêmes détails avec les fournisseurs. Il avertissait les intendans d'être en garde contre les fournisseurs qui voulaient toujours employer des matières trop fines et du cuivre de Suède de préférence à celui de Barbarie parce qu'il leur causait moins de déchet. Il regardait les ornemens sur les canons comme plus embarrassans qu'utiles. Il fit faire un règlement pour les canons de fonte qui devaient être donnés aux vaisseaux de chaque rang. Il mandait que l'on se défiât de l'opposition des capitaines pour les canons de fer, dans l'idée d'en avoir de fonte. Il ne comptait pas que les mousquetons dussent peser plus de 8 livres à 8.1/2 livres. |
Bâtimens et fortifications
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En même tems que M. Colbert formait ce grand amas de munitions pour la marine, il pensait à les loger dans des arsenaux, où ils pussent être conservés avec ordre et facilité pour l'usage qu'on en devait faire. Il aimait à travailler en grand et commençait par former un plan général, commode et magnifique, de tout les bâtimens qui devaient composer un arsenal. Il le suivait ensuite dans la même vue et à mesure que les fonds le permettaient et ne souffrait jamais que l'on s'en écartât pour faire des morceaux détachés, quelques convenables qu'ils paraissent, lorsqu'ils n'entraient pas dans le premier dessein et qu'ils n'avaient point de rapport au tout ensemble. |
1674 |
Il examina sur ces principes un plan envoyé par M. Arnoul pour la construction de l'arsenal de Toulon et ses observations pouvaient être utiles en pareil cas. La première attention en construisant des arsenaux était de les mettre hors d'insulte, et à couvert de toute entreprise en tems de guerre. Il prenait soin de faire concerter les ouvrages des fortifications maritimes avec les officiers de terre qui commandaient dans la place afin de ne point nuire à sa sûreté. Il fit construire à Rochefort une forme à l'anglaise et une salle d'armes qu'il estimait devoir contenir 12 à 1500 hommes. |
1669 |
Un lazaret à Toulon et il projetait un magasin d'entrepôt pour la marine à Belle Isle en mer. Il faisait faire des marchés solides et bien cautionnés pour l'entreprise des ces bâtimens, mais quand il voyait clairement que les entrepreneurs perdaient sur leurs marchés, sans qu'il y eut de leur faute, il croyait non seulement de justice, mais de la bonne politique, loin de leur tenir rigueur sur les payemens, de leur procurer des dédommagemens qui les tirassent de perte pour ne point décrier les entreprises. Il désapprouvait les marchés en bloc et sans un devis préalable de tous les différens marchés qui devaient le composer. |
Cartes et plans
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M. Colbert se proposait de faire lever non seulement des plans de tous les ports, côtes et rades du royaume, mais de tous les lieux où les escadres françaises abordaient et d'embarquer pour cet effet un ingénieur habile sur chaque escadre. On peut voir les instructions qu'il avait données sur cela à M. Arnoul, intendant à Toulon, aux Srs Pennes, ingénieur, Cogolin et Chevalier, capitaines de vaisseaux, et au Sr. De Combes, ingénieur aux isles d'Amérique. |
Chiourmes
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M. Colbert prenait grand soin de la conservation des chiourmes et cherchait à les bonifier par tous les moyens possibles en faisant acheter non seulement des Turcs à la côte d'Italie, en Sicile et à Malte, mais même des nègres du Cap Vert qu'il estimait plus propres à ce travail que ceux de la côte de Guinée, et en faisant des conditions avec des armateurs à qui il faisait prêter des vaisseaux du Roi pour que les Turcs qu'ils prendraient fussent remis aux galères. Il réclamait même en Savoye, les Savoyards condamnés aux galères, et il demandait au nom du Roi qu'ils fussent conduits à Marseille, suivant un ancien usage qui n'est plus suivi à présent pour le Roi de Sardaigne, mais qui a encore quelque fois lieu chez les Suisses. |
Classes
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Il n'y avait aucun ordre pour l'enlèvement, l'enrôlement le dénombrement et la levée des officiers mariniers et matelots avant M. Colbert. Il forma la première idée des classes en 1670. La division était anciennement de 4 et a été réduite depuis à 3 et à 2 et à rien. Différentes considérations ont fait tomber cet arrangement : la diminution de l'espèce de matelots, l'augmentation du commerce qui en consomme plus qu'il n'en employait alors, la considération de la dépense qui coûtait au Roi la demi-solde de la classe de service, et peut-être moins d'ordre qu'il n'y en avait dans la première ferveur de cet établissement. Le rôle des matelots était estimé alors à 36000, savoir 12000 au département de Brest, 12000 à celui de Rochefort et 12000 à celui de Toulon, sur quoi le Roi comptait en employer pour ainsi dire 3 à 4000 dans chaque département non compris les demi-soldes pour la classe de service. Il recommandait aux intendans de réprimer fortement les concussions des officiers qui prenaient de l'argent des matelots pour les exempter du service et qui leur revendait par là leur liberté que le Roi achetait fort cher, par le payement de la solde et demi-solde des classes de service. Il leur recommandait aussi d'avoir grande attention que les commissaires se conformassent aux règlemens des classes pour la levée des matelots, sans avoir égard à la faveur de ceux des terres des plus grands seigneurs qui voulaient les exempter. Il voulait que toutes les levées d'équipage se fissent de gré à gré, l'argent à la main, et il recommandait que l'on évitât d'employer la force pour obliger les habitans des côtes à s'engager pour matelot. Il aimait mieux qu'on les y attirât par un bon traitement et par l'idée d'une paye régulière moins forte que celle des marchands, mais plus forte que celle que l'on donnait d'ordinaire et par des gratifications aux veuves des matelots morts en campagne. Il ne croyait punissables comme déserteurs que ceux qui avaient touché de l'argent de leur solde. Il chargeait les consuls de retirer les officiers mariniers et matelots qui revenaient dans leurs Échelles, de les renvoyer en France et d'en prendre grand soin pour qu'ils ne prissent pas parti avec les ennemis. Il ne voulait point accorder d'amnistie aux officiers mariniers et matelots déserteurs dans les pays étrangers, mais il les faisait assurer par les consuls qu'ils ne seraient point poursuivis s'ils revenaient de bonne volonté dans les ports du royaume (il fit pourtant accorder des amnisties dans la suite en 1681) et il faisait agir en même tems sourdement l'ambassadeur de France en Hollande pour tacher de retirer tous les Français gens de mer et ouvriers qui s'y étaient réfugiés en leur promettant la même paye qu'en Hollande, mais il poursuivait et faisait condamner aux galères tous ceux que l'on retirait à la mer des vaisseaux étrangers où on les trouvait engagés. Il écrivait à M. de Pomponne de la part du Roi d'engager Mde Royale de permettre dans le gouvernement de Nice la levée des matelots français et autres dont on pourrait avoir besoin pour l'armement des vaisseaux du Roi. Il recommandait aux commandans des provinces de donner toute protection aux commissaires pour la levée des matelots. Il voulait que les intendans et commissaires fussent les maîtres dans les ports de la formation des équipages sans que les capitaines s'en mêlassent et quand on en envoyait de recrue pour les armemens, que les capitaines les choisissent un à un à tour de rôle pour éviter que les derniers capitaines n'eussent que le rebut. Les capitaines étaient chargés de répondre de la désertion à la mer et du libertinage des matelots qui leur avaient été donnés dans le port, et en cas qu'il en manquât qu'il fallut remplacer, le Roi voulait qu'ils fussent levés aux dépens des capitaines. Il permettait le cabotage dans la classe de service les armemens prélevés et lorsqu'il n'y avait point d'armemens pressés il permettait aux matelots de la classe de service de s'embarquer sur les vaisseaux marchands. Pour favoriser la construction, les armemens et la pêche de Terre Neuve, il faisait exempter des classes les maîtres de vaisseaux ou barques et tous ceux qui en faisaient construire du port de 50 à 60 tonneaux et au dessus, à condition que les maîtres prendraient avec eux deux jeunes apprentis pour les former. Il faisait exempter aussi les capitaines, saleurs et autres ouvriers qui travaillaient à la pêche de la morue, en cas qu'ils ne servissent point à la manœuvre pendant le voyage et non autrement. Il ne prétendait point empêcher que les matelots de Dunkerque, s'engageassent pour soldats, même dans les troupes de terre, pourvu qu'ils ne fussent point de service actuellement dans la marine (ce qui était particulier pour Dunkerque, les ordonnances du Roi défendant ces enrôlemens dans le reste du royaume). Il voulait qu'on réglât la paye des officiers mariniers, matelots suivant leur mérite, et non suivant leur ancienneté et leur grade. Le port des hardes des matelots devait être déduit sur leur solde. Les vacations des commissaires en tournée pour la levée des matelots étaient réglées à 12 £ par jour y compris leurs appointemens et à 6 £ aux écrivains sans entrer dans aucuns autres frais. Il donnait volontiers des acomptes aux femmes des matelots embarqués pour les voyages de long cours, et faisait payer la solde aux veuves des morts en campagne, jusqu'au jour du désarmement des vaisseaux. Il avait fait délibérer par les États du Languedoc que les matelots de la classe de service, ne seraient point employés dans les rôles d'imposition pour l'industrie. Il voulait que l'on employât de préférence les matelots de la classe de service pour journaliers dans les arsenaux, tant pour l'épargne qui en résulterait que pour qu'ils y apprissent des métiers qui pourraient leur être utiles à la mer. Il faisait augmenter à la taille comme contrôleur général les paroisses qui ne se portaient pas à la levée des matelots et ne fournissaient pas leur contingent. Il portait son attention jusqu'à se faire informer de la réputation des officiers mariniers servant sur les vaisseaux marchands, de leur capacité, de leur bravoure et en faisait quelques-uns officiers sur les vaisseaux du Roi avec espérance d'avancement. Malgré l'ordre qu'il avait voulu établir lui-même dans les classes, il ne s'y assujettissait pas toujours dans le cas d'armemens pressés, et faisait prendre quelques fois des matelots partout de gré ou de force, avec la plus grande sévérité, en voyant dans la maison de ceux qui se cachaient et faisant chasser de la ville les femmes et les enfans de ceux qui ne se présentaient pas à la réserve des étrangers et des matelots de rivières, particulièrement des Sables d'Olonne. Il lui avait été proposé de distinguer les matelots des galères de ceux des vaisseaux, ce qui fut jugé sujet à inconvéniens, quoique cela put avoir son avantage à bien des égards. Il établit les demi-soldes en faveur des invalides qui étaient réglées différemment suivant leur état d'infirmité à 4 £ 16 s par mois pour ceux qui ne pouvaient pas gagner leur vie et 3 £ pour les autres, qui passaient même aux veuves des matelots, pourvu qu'elles ne se remariassent pas. Il contenait sévèrement les officiers d'amirauté qui voulaient entreprendre sur les fonctions des commissaires des classes. |
Pilotage
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Il avait soin de faire former de bons pilotes, ce qu'il regardait comme un des articles plus important plus important de la marine et il faisait travailler à des tables exactes des marées sur toutes les côtes tant de France que d'Angleterre et autres pays étrangers. Il était revenu d'une erreur où l'on avait été jusqu'alors que les pilotes du Levant ne devaient naviguer que par la connaissance des côtes dans la Méditerranée et non par la hauteur. Il mandait aux professeurs d'hydrographie de l'informer des progrès de leurs écoliers, sans s'embarrasser des chicanes que leur faisaient souvent les officiers de l'amirauté contre qui il les soutenait. |
Colonies
Colonies en général
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M. Colbert s'occupait beaucoup des colonies et regardait comme important de les fortifier de forts et de troupes et de mettre à la tête des commandans et des intendans qui eussent du talent et qui fussent capables de bien prendre leur parti dans les cas douteux. Il ne plaignait point les premiers frais d'établissement, persuadé que l'état les regagnerait dans la suite par l'augmentation du commerce. Il croyait plus convenable d'envoyer en Amérique une escadre fixe qui y demeurât trois ans avec un bon commissaire, pour pourvoir sur les lieux à ses besoins, que d'y envoyer tous les ans des vaisseaux qui coûtaient beaucoup au Roi et perdaient un tems considérable en voyage. Ce parti qui peut avoir des avantages est sujet à bien des inconvéniens qui ont apparemment empêché qu'il n'ait été suivi depuis. Cette navigation d'ailleurs forme des matelots au Roi et des retours fréquens conservent leur santé et diminuent la crainte qu'ils auraient de ces voyages pour un plus long terme. Il faisait faire une rude guerre aux flibustiers qui portaient dans ce tems là un grand préjudice au commerce. |
Colonies
Canada
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Il se proposait de peupler le Canada, non seulement d'ouvriers et d'entrepreneurs, mais d'habitans qui s'y établissent. Il y fit passer pour cet effet des filles et des garçons au dessous de 30 ans, plus de filles que de garçons, à qui l'on donna des terres à cultiver. |
1669 |
Le commerce y avait été ci-devant fait par les compagnies, il le fit rendre libre. Il comptait utiliser des bois de construction, y faire construire des forges, y établir une marine, et y faire bâtir des vaisseaux tous les ans. Il comptait aussi établir des manufactures entre autre de potasse, espèce de terre propre aux teinturiers, et y faire fouiller les mines de plomb et d'étain. |
Colonies
Isles de l'Amérique
1677 |
On ne peut rien voir de mieux sur cette matière que l'instruction que M. Colbert donna au comte de Blénac envoyé gouverneur et lieutenant général aux isles de l'Amérique. Il lui recommanda quelques tems après de ne point prendre le même rang de lieutenant général sur mer que sur terre, de n'en point porter pavillon, de n'y prétendre aucun commandement et de se tenir subordonné au comte d'Estrées, vice amiral, même pour ce qui regarde la terre. |
Commerce
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C'est la partie où M. Colbert donnait le plus d'attention comme à une des principales ressources de l'état, et il ne regardait la marine que comme un moyen de l'étendre et de le protéger. Ses principes étaient: 1. De ne point tirer de l'étranger les marchandises que la France pouvait fournir de son cru, et de se passer des autres autant qu'il serait possible ou de ne les tirer que par échange pour éviter de faire sortir l'argent du royaume. 2. D'envoyer au dehors tout les superflus des nôtres et de mettre les étrangers dans le goût et dans la nécessité même de les tirer de France pour y faire rentrer des fonds. 3. D'établir pour cet effet beaucoup de manufactures et d'employer tous les moyens possibles pour les faire valoir, non par des privilèges souvent nuisibles au commerce en général qu'il croyait ne pouvoir laisser trop libre, mais par la diminution des droits d'entrée sur les matières premières que les vaisseaux français y portaient et par l'augmentation des droits sur celles qui venaient par les vaisseaux étrangers ; Par la facilité, liberté et sûreté des chemins de terre et de mer ; Par les fonds mêmes du Roi qu'il employait avec profusion, ne se souciant pas qu'il y perdit dans les commencemens, en vue de grands avantages qu'il en espérait par la suite, ;Par la perfection des fabriques qu'il cherchait à porter au plus haut degré, et où il voulait surpasser ou égaler les fabriques étrangères ; Et en général par la protection qu'il donnait au commerce tant en France que dans les pays étrangers établissant même des agens dans les cours de l'Europe aux frais du Roi, uniquement pour solliciter les affaires des marchands. Il favorisait extrêmement les compagnies de commerce, il cherchait à les concilier et à les unir entre elles pour qu'elles se servissent mutuellement. Il leur ôtait toute crainte de hasarder leur principal et faisait souvent charger le Roi de la perte qu'elles pourraient faire sur leur mise en cas qu'il y en eut, leur assurant quelques fois 5% d'intérêt dans les six premières années de leur établissement, mais il ne leur accordait ces avantages que dans les commencemens et pour engager un commerce où il comptait semer pour recueillir, car lorsqu'il était une fois établi, non seulement il leur retranchait leurs privilèges, mais il ne croyait plus les compagnies nécessaires et utiles, et il souhaitait que le commerce qu'elles faisaient seules, se repartit sur les sujets du Roi, et revint entre les mains de tous les négocians en général. Il regardait les Hollandais comme les plus habiles négocians et les plus dangereux pour le commerce de France et il cherchait à ruiner autant qu'il pouvait leur commerce ou du moins à diminuer les grands profits qu'ils faisaient à notre préjudice. Il exhortait les négocians à ne se servir que de correspondans français dans les pays étrangers et à préférer même pour cette fonction les naturels du pays aux Hollandais. Il voyait sans peine s'établir en Hollande des droits sur l'entrée des marchandises de France, persuadé que ces droits seraient plus onéreux qu'utiles aux Hollandais dans leur commerce, parce qu'ils diminueraient le prix de leur négoce, sur le transport de ces marchandises à l'étranger. Il voulait sur toutes choses éviter de passer par l'entremise des Hollandais pour les marchandises que l'on pourrait porter à l'étranger ou en tirer et c'était principalement dans cette vue qu'il avait fait établir la Compagnie du Nord. Il protégeait singulièrement le commerce du Levant contre les corsaires barbaresques et faisait son affaire propre d'obtenir la restitution des pillages qu'ils faisaient chez les marchands français. C'est dans cette vue qu'il faisait armer et croiser un si grand nombre d'escadres en Levant. Il regardait le fret des bâtimens et le transport des marchandises comme un objet également intéressant pour le commerce et pour la marine et il le favorisait par toutes sortes de moyens. Il voulait que l'on attirât le commerce des étrangers dans le royaume par des traitemens favorables, et il prenait soin dans cette vue que l'on ne les inquiétât pas trop dans ces visites. Il ne connaissait point de meilleur moyen d'établir le commerce et de détruire celui des autres nations que de donner les marchandises meilleures, et à meilleur prix, persuadé que l'on rebuterait par là ceux qui en étaient ci-devant en possession et qu'on gagnerait au double dans la suite ce que l'on risquerait de perdre des les commencemens. Il conférait avec les principaux négocians sur les intérêts du commerce maritime et sur les demandes que l'on pouvait faire aux puissances étrangères pour le soutenir et l'étendre, et il cherchait à y faire entrer de gros négocians de Lyon et de Paris en les y engageant par leurs intérêts propres et par les expressions les plus obligeantes. Il savait pourtant distinguer dans leurs avis ce qui était dicté par l'intérêt particulier ou par l'intérêt général du commerce, et [était] persuadé que leurs idées ne s'étendaient jamais plus loin que leurs fortunes. Il jugeait leurs opinions par des vues supérieures et savait en profiter sans s'y assujettir. Il mettait tout en usage pour s'opposer aux ventes simulées et pour découvrir les bâtimens masqués qui font le commerce sous la bannière de France, persuadé qu'indépendamment du préjudice que le commerce français en recevait, cette fraude était la principale occasion de fréquentes infractions aux traités de la part des Barbaresques. Il faisait accorder des gratifications par le Roi à tous ceux qui faisaient construire des vaisseaux à proportion de leurs parts. Il préférait souvent dans les armemens le service du commerce à celui du Roi, et n'était jamais plus content que quand on lui mandait que l'on ne pouvait former les équipages des vaisseaux du Roi, attendu le grand nombre des matelots qu'il y avait [d']employés sur les marchands parce qu'il en concluait l'augmentation du commerce. |
Constructions et radoubs
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La construction des vaisseaux est le plus étendu de tous les arts et celui qui demanderait les connaissances les plus compliquées de géométrie et de physique, jointes à une longue pratique et à une expérience dont partie ne peut s'acquérir qu'à la mer et dans les campagnes de long cours. Quoique l'on ait fait de grands progrès depuis son commencement, surtout dans ces derniers tems, il s'en faut bien que l'on ait atteint la perfection. Il était encore plus reculé du tems de M. Colbert. Il en sentit le faible et pour le perfectionner : |
1679 |
Il travailla d'abord à former des constructeurs dans le royaume, en excitant l'émulation par des récompenses, et en établissant des prix pour ceux qui feraient les meilleurs vaisseaux. Il cherchait en même tems à attirer de l'étranger à tout prix les meilleurs ouvriers de chaque espèce, principalement des maîtres charpentiers, et n'épargnait rien pour les engager à venir en France, même avec leurs familles, afin d'y former des élèves qui missent par la suite le royaume en état, non seulement de se passer d'eux, mais même de les surpasser dans leur art, persuadé que l'industrie française renchérirait toujours sur les inventions d'autrui. Dans cette vue, il envoyait secrètement en Hollande et en Angleterre des gens intelligens et entendus pour s'informer des meilleures méthodes de construction, de l'ordre qui se tenait dans les magasins et généralement de tout ce qui pourrait donner des lumières pour perfectionner la marine. Il recommandait surtout que l'on apprit des Hollandais l'économie et le débit des bois qu'ils entendent bien mieux que nous. |
1678 |
Il voulut faire faire un règlement sur les proportions des vaisseaux et il consulta pour cela les plus habiles constructeurs et officiers de la marine, mais il ne put y parvenir malgré tous ses soins et il reconnut bientôt que l'art n'était pas encore assés avancé pour pouvoir l'astreindre à des règles fixes. Il ne laissa pas de donner de tems en tems, dans les ports, différens avis sur les constructions à mesure qu'il le jugeait bon et qu'ils lui étaient suggérés par ceux qu'il connaissait les plus habiles dans ce genre. On ne s'est pas attaché à les relever, l'art étant s'étant beaucoup perfectionné depuis. Il recommandait en général une grande diligence dans les constructions sans qu'elle nuisit à la solidité. Il faisait pour cela préparer les bois d'avance et il ne croyait pas qu'un vaisseau dût être plus de sept à huit mois en chantier. Cette maxime a été bien combattue depuis avec juste raison. Il défendait tout accastillage et tout changement dans les soutes et dans les logemens. Principe dont on ne s'écarte que trop souvent dans la pratique et auquel on ne saurait trop tenir la main. Il souffrait avec peine les sculptures et exigeait qu'elles fussent légères et qu'elles s'assujettissent à la construction, sans occasionner des changemens ni des pesanteurs sur l'avant et sur l'arrière du vaisseau. |
1683 |
Il ordonnait de faire des plans et des modèles en carton et coupe perpendiculaire et horizontale de chaque vaisseau que l'on faisait construire et de les déposer au contrôle. Il recommandait pour la guerre de Hollande des bâtimens à plates varangues, comme plus propres à échouer sur leurs côtes. Il fit construire des caïches de 10 à 12 canons contre les Saltins qui n'en avaient pas de plus fortes. On y a suppléé dans ces derniers tems par des chebecs qui valent mieux. Il fit construire aussi des allèges et autres bâtimens de transport et de service, mais il voulait qu'elles fussent occupées et gagnassent ce qu'elles coûtaient. Il se pressait de faire campagne aux vaisseaux neufs pour en connaître les qualités et pour en tirer des conséquences pour les constructions qu'il devait faire dans la suite. Il recommandait que les vaisseaux d'un port fussent toujours bien radoubés à leur arrivée de la mer pour être prêts à repartir d'un moment à l'autre et se plaignait souvent des radoubs mal faits sur lesquels il recommandait la plus grande attention, n'approuvant cependant pas la pratique des Hollandais qui préféraient de construire des vaisseaux neufs à en radouber de vieux, par l'abondance où ils étaient de matières premières. Il proposait de faire goudronner tous les vaisseaux deux fois par an. |
1683 |
Il donna ordre de faire brayer tous les vaisseaux qui revenaient des mers chaudes avant de les faire entrer dans le bassin du havre pour les garantir des vers qu'ils pourraient y apporter. La police des constructions était toute dévolue aux intendans, et il ne permettait pas même aux officiers du 1er grade, et à ceux qu'il jugeait les plus expérimentés, d'en ordonner, mais seulement d'en dire leurs avis, et il l'exigeait au retour de leurs campagnes. Il recommandait aux intendans de faire élever le plus d'apprentis charpentiers qu'ils pourraient et de les porter adroitement au mariage, vu que les enfans qui en proviennent sont presque toujours du métier de leurs pères. Il ne voulait pas que l'on prit des charpentiers de force pour les ouvrages du Roi, persuadé que cela les éloignerait, et qu'il valait mieux les attirer par des bons traitemens. Son projet était d'avoir toujours des bois en provision dans un arsenal pour la construction de 10 à 20 vaisseaux. Il estimait qu'un vaisseau devait durer 30 ans et il trouvait qu'on les condamnait légèrement. Il défendait les ouvrages à la journée, à l'exception des constructions (question agitée souvent depuis). Il voulait que les intendans et officiers qui devaient monter un vaisseau assistassent au radoub et à la carène pour leur ôter tout prétexte de plaintes dans la campagne et il fit même établir des conférences sur la construction des vaisseaux et il fit donner ordre aux officiers d'assister à ces conférences, aux jours et heures marqués par les intendans. Il fit défense d'échouer les vaisseaux du Roi pour les radouber, pensant que rien n'en abrégeait plus la durée. Il portait aussi une grande attention sur l'article des copeaux (plus important qu'il ne parait d'abord) et faisait veiller soigneusement à ce qu'il ne s'en fit pas mal à propos, et qu'on ne les consommât point inutilement. Il ne permettait pas que les constructeurs entretenus fissent des bâtimens pour leur compte propre. Il favorisait la construction des marchands et ne se plaignait pas quand elle retardait celle du Roi parce qu'il en augurait l'augmentation du commerce. Il se proposait de faire bâtir un vaisseau devant le Roi en 24 heures et donna sur cela différens ordres dans les ports que l'on pourrait consulter en pareil cas. Le projet du Roi était d'entretenir dans les trois grands ports, cent vingt vaisseaux du premier au cinquième rang. |
Machines
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Il admettait volontiers à faire des épreuves des machines de nouvelle invention, entre autre pour les plongeurs. Il faisait prendre des modèles de toutes celles qui étaient chez les étrangers, et n'hésitait pas d'acheter leur secret fort cher, à condition que le prix n'en serait payé qu'après qu'ils auraient été éprouvés et trouvés conformes à la proposition qui avait été faite. |
Fonds
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Le premier mobile de toutes les grandes entreprises est les fonds. La place de contrôleur général qu'occupait M. Colbert lui fournissait à cet égard un avantage inexprimable dont aucun de ses successeurs n'a jamais joui au même degré, qui était celui non seulement de verser sans mesure dans la marine les fonds qu'il jugeait nécessaire à son rétablissement, mais de les y faire fournir à propos, et sans être jamais obligé de les attendre, ce qui redouble l'utilité et le produit. On peut voir dans les comptes de la marine et dans ceux du trésor royal de combien ils excédaient ceux qui y ont été employés depuis, quoique l'argent fut alors beaucoup plus bas et par conséquent toutes les munitions, vivres et marchandises à meilleur compte. Il est vrai qu'il avait une extrême attention sur l'emploi des fonds, et qu'il est le premier qui ait établi l'ordre et la règle dans les dépenses de la marine. On peut voir sur cela le mémoire en forme d'instruction qu'il adressa aux intendans en 1674 et qui sont la base du 21e livre de l'ordonnance de 1689 concernant la forme des pièces et acquits nécessaires pour la justification de la recette et dépense de la marine, mais il était persuadé que quelques bons règlemens qu'il fit, la grande économie dépendrait toujours de la probité, activité et intelligence de ceux qu'il mettrait à la tête des finances et du détail des ports. Et dans cette opinion après avoir formé des projets de dépenses dans chaque port, et expliqué aux intendans de la marine le plan de conduite qu'il devait tenir pour satisfaire divers besoins du service, il leur laissait une entière disposition des fonds qu'il envoyait dans leurs départemens, avec la liberté même d'en changer la destination dans les cas pressants et suivant les besoins du service, et il ne permettait en aucun cas aux trésoriers de se dispenser de leur obéir ou d'acquitter leurs ordonnances et de garder les fonds dans leur caisse sous prétexte que ces ordonnances n'étaient pas toujours conformes aux états de distribution envoyés de la cour. Au reste, il mettait l'économie, non à dépenser peu (aucun ministre n'a jamais été aussi libéral des fonds du Roi), mais à dépenser à propos et avec ordre, et à ne rien laisser perdre par les abus et à semer pour recueillir en formant des établissemens coûteux dans les commencemens, mais qui devaient rapporter de grands avantages ou épargner de grandes charges dans la suite. Ce fut lui qui fit l'établissement des quatre deniers pour livre des invalides. |
Honneurs, rangs et commandemens
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Le duc de Beaufort, amiral de France, allant [en] auxiliaire au siège de candie avec les vaisseaux du Pape, eut ordre de ne porter que le second pavillon qui est celui du Pape, mais de prendre les rangs sur toutes les autres nations en qualité de fils aîné de l'église, de faire prendre le rang immédiatement après lui au général des galères de France, ensuite au duc de Navailles, général de l'armée de terre en France, et de substituer l'un à l'autre le commandement en cas de mort, maladies ou autres empêchemens. Le Roi blâma à cette occasion le duc de Vivonne, général de ses galères, d'avoir voulu exiger de celui du pape qu'il envoyât toutes ses galères au devant de lui, même celle qui portait le crucifix, mais il l'approuva d'avoir exigé la main en lui rendant visite. Il fut convenu en 1672 que M. le duc d'York, comme grand amiral d'Angleterre, devait faire arborer le grand étendard royal ou le pavillon d'union par tous les vaisseaux français ou anglais sur lesquels il monterait, mais comme cette déférence était uniquement accordée à sa personne et non à sa charge et qu'en 1673 c'était le prince Robert, son cousin, qui commandait toutes les armées navales d'Angleterre et de France, sa majesté insista sur ce qu'elle ne fut rendue qu'à M. le duc d'York seul et non à celui qui le représentait dans sa charge. Il y eut ordre cependant de se relâcher sur cela en faveur du prince Robert, en cas que ces difficultés ne pussent se surmonter. Il fut décidé que lorsqu'un détachement de galères serait joint aux vaisseaux, les vaisseaux auraient le commandement, mais lorsqu'une escadre de vaisseaux commandée même par un lieutenant général, se joindrait à toutes les galères commandées par le général, le général des galères aurait alors le commandement. Il fut aussi décidé que le major ou aide major n'avait point de droit de faire tirer le canon sur l'amiral, les saluts devant être rendus par l'ordre de celui qui commande la garde, c'est à dire par le capitaine du bord lorsqu'il est sur l'amiral ou par son lieutenant. En cas de rencontre ou de jonction de deux puissances unies comme l'Angleterre et la France, M. Colbert voulait établir que le commandant de l'une des deux nations dont le nombre de vaisseaux serait supérieur à pavillon égal commanderait l'autre, mais les Anglais ayant peine à s'y soumettre dans la guerre de 1673, le Roi donna ordre à ses capitaines qui allaient aux isles de ne point insister pour prétendre le commandement sur les Anglais dans les cas ci-dessus. Il fut permis une fois et sans conséquence au duc de Vivonne de porter le pavillon d'amiral, de lieutenant général à M. de Preuilly, à M. Duquesne celui de chef d'escadre sur une escadre composée seulement de huit vaisseaux. Ces pavillons ne devant être arborés pour l'ordinaire qu'avec le nombre de vaisseaux convenable à leur dignité. Pour lever toute difficulté sur le commandement entre les troupes de terre et de mer, le Roi avait décidé que lorsque les troupes de marine mettraient pied à terre, elles seraient commandées par des officiers de terre et que lorsque des troupes de terre s'embarqueraient sur les vaisseaux, elles seraient commandées par des officiers de marine. |
Justice, Police & Discipline
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Cette partie était antérieurement dévolue aux intendans du tems de M. Colbert, et il les y soutenait avec la plus grande fermeté, non seulement eux, mais les commissaires en sous ordre et jusqu'aux écrivains des vaisseaux sur lesquels il écrivait à M. l'amiral de tenir la main à ce qu'ils ne fussent pas inquiétés dans l'exercice de leur charge à la mer et d'informer les capitaines que c'était la volonté du Roi. C'était les intendans et les commissaires des départemens que M. Colbert chargeait d'observer la conduite des officiers qui y étaient employés et de lui en rendre compte. C'était sur leurs avis qu'il les employait, les avançait, les récompensait ou les punissait suivant leur mérite. Il mandait aux intendans que sur le procès verbal qu'ils dresseraient du peu de diligence des capitaines dans les armemens, le Roi les interdirait sans retour, mais il leur recommandait en même tems de ne point mêler de passion dans le service et de se prêter quelquefois aux petites fantaisies même déraisonnables des officiers du premier ordre. C'était aussi les intendans qu'il chargeait d'employer les officiers qui restaient dans les ports et qu'il voulait toujours tenir occupés tant à l'égard des vaisseaux qu'aux autres fonctions de leur métier. Les officiers généraux recevaient souvent ordre du Roi d'exécuter ceux des intendans en général, sur la conduite qu'ils devaient tenir à la mer. Il voulait que les intendans contentassent les capitaines dans les choses justes, mais il leur mandait qu'après avoir rempli leur devoir à cet égard, ils envoyassent les noms de ceux qui feraient quelques mauvaises difficultés et qu'il les ferait casser. Loin d'autoriser les officiers dans les discussions qu'ils pouvaient avoir avec les commissaires pour des faits de service, il blâmait souvent les intendans de prendre trop légèrement le parti des officiers, de tolérer leur mauvaise conduite et de ne pas soutenir assés les écrivains contre les capitaines qui en voudraient faire leurs valets si l'on n'y tenait la main. Il mandait aux intendans que leur fonction n'était pas de tout faire par eux même, mais de diriger le travail de ceux qui sont employés sous leurs ordres et d'en répondre. Il faisait arrêter par les intendans les capitaines de vaisseaux qui s'étaient laissés prendre et d'autres qui avaient simplement perdu leurs vaisseaux par naufrage, et les faisait mettre au conseil de guerre, en établissant pour principe qu'il était du devoir d'un capitaine de laisser plutôt sauter son vaisseau que de se rendre. Il envoya ordre à l'intendant de Rochefort de faire arrêter par le major le comte de Blénac et le comte de Sourdis, chef d'escadre, qui avaient insulté des commissaires faisant les fonctions de leur employ et il en usa de même en plusieurs autres cas. Il pensait qu'un commissaire agissant pour les affaires du Roi ne pouvait jamais être condamné en son nom, et il exhortait les commandans dans les ports à donner l'exemple de la bonne intelligence qui devait régner dans le service et de ne jamais se joindre aux plaintes des officiers contre les intendans, qui ne pouvaient être agréables à sa majesté. Il entendait que les intendans fixassent l'heure & le jour des revues et qu'ils en fissent seulement avertir le major quelques heures devant, pour qu'il allât prendre du commandant l'ordre de faire assembler les troupes. Il envoya à M. de Vauvré, intendant de marine à Toulon, ordre d'obliger le lieutenant criminel de cette sénéchaussée à aller demander pardon et à faire des excuses à M. de Courcelles, gouverneur de Toulon, à qui ce lieutenant criminel avait manqué. Ne pouvant donner cet ordre comme secrétaire d'état de la marine, il le donna apparemment comme ayant le département de Provence. Il lui défendait en même tems de laisser faire l'exercice dans la place d'armes par les gardes marine au son du tambour et il lui enjoignait de ne leur laisser faire que dans l'arsenal. Il consultait quelquefois les officiers d'épée sur des entreprises de mer mais il ne les croyait point propres aux parties d'administration et de législation. Il ne faisait pas grâce aux officiers du premier grade et de la plus grande réputation qui voulaient se soustraire aux règles qu'il avait établies pour la discipline du service et il fut presque tenté de ne plus employer M. Duquesne, quoique le premier homme de France qu'il y eut alors, parce qu'il avait peine à s'y soumettre. Il parait qu'en 1671 tous les capitaines et officiers d'un département étaient subordonnés au capitaine du port qui l'était à l'intendant. Il était fort sévère avec les officiers sur les malversations et les pillages. Il défendait tout commerce aux isles de la part des capitaines et il approuva M. de Muyn, intendant, d'en avoir fait arrêter un qui avait rapporté 200 barriques de sucre, et il lui envoya les ordres pour les confisquer lui enjoignant de plus de l'interdire et de ne lui rien faire payer de ses appointemens. Il faisait rouler les gardes marine avec les officiers lorsqu'il n'y avait pas suffisamment d'officiers pour faire le service. En 1681, les officiers de marine étant obligés d'assister à un ou deux exercices par jour, sur la construction, l'exercice du canon et de l'hydrographie, il faisait armer des frégates remplies d'officiers uniquement pour leur apprendre l'exercice de la manœuvre. Il conseillait que l'on fit passer les commissaires d'un arsenal par tous les détails. Il ne pensait pas que la qualité d'entrepreneur ou d'armateur put jamais s'allier avec celle de contrôleur, ni d'aucune espèce d'officier employé au service. Il recommandait de ne point laisser d'écrivains inutiles dans les ports, de les occuper et de suivre leur détail, mais de ne point s'attacher aussi à les examiner trop scrupuleusement, et de prendre garde de porter la sévérité à l'excès. Il regardait comme le seul moyen d'avoir de bons ouvriers, celui de les occuper beaucoup, persuadé que par ce moyen, cher à la vérité dans les commencemens, il arriverait de deux choses l'une: Ou que les médiocres se feraient habiles ou que les habiles viendraient où il y aurait à gagner, tel homme tirant de son industrie de quoi faire un travail à un quart de moins qu'un autre avec une paye plus forte. Il avait reconnu qu'il y a des ouvrages que l'on ne peut faire qu'à la journée, comme les raccommodages et il observait que ce n'est pas tant la quantité que la qualité des ouvriers qui fait faire beaucoup d'ouvrages. Il aimait l'ordre en tout, et trouvait que rien ne faisait tant honneur et ne satisfaisait plus l'esprit que de voir un grand établissement, comme celui d'un arsenal de marine, bien réglé. Il recommandait l'extrême propreté dans les vaisseaux comme très importante pour leur durée, la saleté pouvant aussi contribuer aux maladies. Il avait pour maxime de faire ôter les mâts de beaupré et de misaine des vaisseaux dans les ports pour la garantie de tomber de l'avant. Il ne souffrait aucune boutique ni petit bâtimens adossé contre les magasins de l'arsenal dans la crainte du feu. Il était fort attentif à réprimer les duels et ne voulait point qu'on les dissimulât. Attendu l'importance du fait, il expédia même un arrêt pour faire juger un duel par le conseil de guerre au préjudice du sénéchal de Toulon qui s'était déjà emparé de ce corps. Il a été reconnu depuis que cette procédure devait être jugée par le parlement. Il voulait être informé des diverses opinions des juges dans les conseils de guerre. Il s'embarrassait peu des plaintes des consuls et des officiers de l'amirauté ni même des juges ordinaires des parlemens sur la juridiction qu'il avait fait attribuer aux intendans de marine, et il réprimait très fortement toutes les entreprises qui tendaient à la détruire, mais il n'était pas moins attentif à empêcher que les habitans ne fussent vexés par les officiers. Il nommait volontiers des commissaires pour juger les affaires de finance qui regardaient la marine, pour qu'elles ne traînassent point en longueur devant les juges ordinaires. Il n'aimait point les discussions, surtout des inférieurs avec les supérieurs à qui il donnait presque toujours raison, et il voulait que l'on secouât toutes les petites discussions et pointillés de formalités qu'il estimait fort contraires au service. Il n'admettait jamais de raison de résistance du contrôleur ou commissaire général à l'intendant pour se soustraire à l'obéissance qu'ils lui devaient, même sous le prétexte du bien du service. Il n'aimait point à employer ces gens qui faisaient naître ou qui découvraient partout des difficultés sans trouver en même tems les moyens de les résoudre. Il fit faire défense à tous officiers mariniers et matelots d'aller servir hors du royaume, sous peine de galères. Il se proposait de faire mettre les enfans trouvés de la ville d'Aix sur les vaisseaux et sur les galères. Il écrivait avec politesse mais avec force aux gouverneurs des provinces et aux commandans de terre, sur les objets qui regardaient leur département et ne ménageait point sur cela les gens de la plus grande faveur. Quelqu'exact qu'il fut sur l'observation des ordonnances, il recevait cependant volontiers des avis sur les modifications que l'on pouvait y faire et y avait égard quand elles étaient fondées |
Manufactures
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M. Colbert était persuadé qu'un des choses qui pouvaient le plus contribuer au bien du royaume et à celui de la marine en particulier, c'était l'établissement de manufactures qui missent la France en état de se passer de celles de l'étranger, de consommer pour ses besoins toutes les matières premières qui s'y trouvent, de n'employer celles de l'étranger qu'au défaut des nôtres et de reporter même à l'étranger tant le superflu des matières premières que celles que nous serions obligés de tirer de lui après les avoir fabriquées dans nos manufactures, au moyen de quoi nous y gagnerions la main d'œuvre, et l'emploi d'un grand nombre d'ouvriers. Dans cet esprit il travailla à en établir de toutes espèces dans le royaume, particulièrement de celles qui pouvaient être les plus utiles à la marine. Il fit établir: Celle des armes en Forez Celle du goudron en Dauphiné Celle des étamines à Reims Des forges de canons en Nivernais et en Bourgogne Des boulets, ancres et crics en Dauphiné et à Brest Des fils de laiton et d'acier en Bourgogne Des mines de fer et de cuivre en Dauphiné Des toiles à Rochefort Et il voulait faire fouiller des mines de plombs et d'étain en Terre Neuve. Il contribuait aux premiers frais et faisait venir à tous prix des ouvriers habiles des pays étrangers pour perfectionner ces établissemens en France. Il donnait souvent des gratifications aux entrepreneurs, même qui n'avaient pas réussi, pour les encourager dans la suite à se procurer un meilleur succès. Il ne regardait cependant les manufactures que comme un moyen de former les ouvriers et d'établir la pratique des arts utiles au royaume, mais dès qu'il était parvenu à ce point là, il diminuait leurs privilèges et abandonnait ce commerce au public et à l'industrie des ouvriers. |
Munitions et marchandises
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M. Colbert ayant trouvé les magasins forts dégarnis au commencement de son ministère, songea d'abord à les fournir abondamment de toutes les espèces de munitions nécessaires à la marine mais une de ses principales attentions et ce qu'il recommanda avec le plus de soin aux intendans était de n'employer autant qu'il se pouvait que celles du royaume et de n'en tirer aucune de l'étranger qu'à l'extrémité afin d'être en état de s'en passer en cas de guerre. Il les exhortait par cette raison à se priver même des matières premières qui viendraient de l'étranger ou à faire fabriquer dans le royaume toutes celles que l'on serait obligé d'en tirer, et à se servir toujours du goudron, bois, mâts, ancres et chanvres du royaume préférablement à ceux du Nord. Loin d'économiser sur les marchandises propres à la marine, il cherchait à en multiplier l'employ, persuadé qu'on les cultiverait et perfectionnerait à mesure du débit que l'on en trouverait, et pour augmenter l'abondance de ces munitions dans le royaume et engager les particuliers à les faire valoir, il faisait acheter par le Roi tous les bois, chanvres et autres matières de même espèce qui pouvaient se trouver dans les provinces et ne craignait pas de s'en surcharger sauf à y perdre dans les commencemens en revendant le superflu aux particuliers. Il en tirait plusieurs avantages: 1. Celui d'augmenter la circulation du commerce intérieur du royaume par l'abondance de ces marchandises et par le débit qu'il leur procurait ce qui engageait les particuliers à les cultiver. 2. Celui d'augmenter la facilité du commerce extérieur et maritime en procurant aux négocians des moyens aisés de faire construire des vaisseaux marchands dans les ports où ils trouvaient pour cela tous les secours nécessaires, ce qui tendait à augmenter l'état de la marine et à former un plus grand nombre de gens de mer. Il faisait semer beaucoup de chanvre dans les provinces à bled, autant pour augmenter le chanvre que pour diminuer la trop grande abondance du bled. Il se proposait d'avoir toujours dans les ports les magasins fournis pour l'armement de 30 à 40 vaisseaux dans chacun. Il voulait que tous les marchés se fissent par adjudication, affiches et publications. Il en prescrivait la forme et les moyens d'éviter les abus. Il voulait avec raison qu'on divisât les fournitures et que les marchés se fissent à courts termes autant que faire se pourrait, et il en explique les raisons fort en détail. Il était d'une grande fidélité dans les engagemens qu'il prenait avec les marchands, surtout étrangers. Il ne recevait plus d'offres au rabais, quelqu'avantageuses qu'elles pussent être quand une fois il avait passé un marché. Il voulait que les marchands se chargeassent du transport des marchandises par mer, autant pour en décharger les vaisseaux du Roi que pour donner cet objet de fret de plus aux négocians. Il recommandait surtout que l'on ne chicanât pas les marchands mal à propos sur la réception de leurs fournitures, ce qui arrivait souvent par des motifs d'envie, de jalousie ou par intérêt d'association et qui éloignait les marchands. Il fixait les profits des commissionnaires par économie à 1%. Il faisait un grand usage des foires, persuadé qu'elles procuraient l'abondance et augmentaient le commerce. Il faisait décharger de tous droits du Roi les marchandises servant à la marine et ne souffrait sur cela aucune mauvaise chicane de la part des fermiers, à quoi la charge de contrôleur général lui donnait beaucoup de facilité. Les bois étant la principale des munitions qui s'employe dans la marine, et celle qui exige le plus d'attention, on a cru en devoir faire ici un article à part. |
Bois
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M. Colbert commença par faire faire sous divers prétextes la visite de toutes les forêts le long de la Loire et des diverses provinces voisines de la mer ou traversées par des rivières navigables pour examiner celles dans lesquelles l'on pourrait trouver des bois pour les constructions et radoub des vaisseaux, la quantité qui pourrait en être tirée, la facilité ou difficulté du transport tant par terre que par eau, et le prix où il reviendrait au Roi, de même pour les mâts. Il fit veiller à ce que les bois situés à deux lieues de la mer, et à deux lieues des rivières ne fussent point coupés sans la permission du Roi, et sans avoir été visités préalablement par la marine, conformément aux ordonnances des eaux et forêts. Il se faisait même informer si dans la coupe des forêts on observait de laisser dix baliveaux par arpent et seize dans les taillis conformément aux dites ordonnances. Et si les fournisseurs des bois ne commettaient point d'abus dans leurs exploitations.iI entrait dans les plus grands détails avec les commissaires qu'il chargeait de la visite des forêts et leur mandait dans ses instructions que la marque la plus certaine que le cœur d'un arbre est bon, est lorsqu'il a la tête bien vive et belle, et qu'il fallait surtout éviter de se servir des bois sur le retour. Il ne croyait point que l'on dût donner une entière exclusion aux mâts du royaume, quoiqu'il se trouvât des défauts, et il pensait qu'il fallait les mettre avec ceux du Nord, le Roi gagnant beaucoup à s'en servir quoiqu'ils revinssent presque au même prix que ceux du Nord. Il trouvait les mâts du Nord venant par l'Elbe extrêmement pesant et préférait ceux qui venaient de Norvège, par Gottembourd ou de Livonie par Riga ou Dantzig. Quant aux bois de construction, il était d'avis qu'on préférât toujours les bois du royaume à ceux du Nord, non seulement pour l'avantage du royaume, mais parce qu'il les croyait meilleurs. Il se prêtait cependant à en faire venir de l'étranger pour ménager ceux de France dont il voulait toujours avoir une grande provision en magasin. Il faisait arrêter pour le Roi tous les bois qui arrivaient dans les ports en les payant un prix raisonnable, et n'en permettait point la sortie du royaume, croyant plus convenable de les prendre tous pour le Roi, même sans nécessité, que de les laisser passer à l'étranger, sauf à les revendre ensuite aux marchands français pour la construction de leurs vaisseaux. Il fallait avoir pour cela des fonds bien abondans à employer dans la marine, ce qui n'a jamais eu lieu depuis M. Colbert. Il regardait comme un très grand avantage pour la marine de France et pour le commerce de tirer des bois du canada, d'où il jugeait aussi facile d'en faire venir que de Konigsberg ou de Riga. Il envoyait des maîtres charpentiers de marine dans les forêts pour suivre le débit du bois et pour en examiner les proportions afin qu'il ne fut point envoyé de pièces inutiles dans les ports. Il faisait marquer toutes les pièces de bois coupées pour le Roi dans les forêts d'une fleur de lys à chaque bout, pour empêcher les fraudes de la part des voituriers. Il entrait dans le plus grand détail sur l'exploitation et l'économie des bois, et faisait observer par les commissaires que l'on ne sciât point de grosses pièces d'un gabarit convenable à de gros vaisseaux pour les employer à de petites frégates. Quoiqu'il fut porté pour les prix faits, il en exceptait la fabrique des mâts à cause de l'importance de l'objet et des accidens qui en peuvent résulter pour les vaisseaux, et il faisait établir un habile commissaire ou un écrivain pour voir faire ces mâts à la journée, et pour qu'il ne fut employé que des arbres de bonne qualité. Il faisait tenir la main à ce que les bois ne fussent coupés dans les forêts qu'à mesure qu'ils seraient demandés dans les ports, et qu'ils fussent voiturés immédiatement après leur coupe, pour ne point les laisser trop longtems exposés dans les forêts où ils peuvent se gâter. Il cherchait à assurer, à faciliter & rendre libre les chemins nécessaires pour l'extraction des Pyrénées et autres et à donner pour cela toute assistance aux fournisseurs. Il s'informait si les métayers et voituriers n'apportaient point par des difficultés mal fondées du retardement au transport des bois. Il prévenait les commissaires départis dans les provinces des difficultés que les mauvais chemins pouvaient causer afin qu'ils les fissent rétablir par les habitans des paroisses les plus prochaines. Il fit de grands amas de bois dans tous les ports pendant la paix et voulait en avoir toujours en provision dans un arsenal pour huit ou dix ans non seulement pour la construction des vaisseaux du Roi, mais pour en fournir aux marchands et pour les exciter par-là à bâtir et à augmenter la navigation et le commerce. Il recommandait l'ordre et l'arrangement des bois dans un port comme la chose du monde la plus importante, non seulement pour leur conservation, mais pour la facilité de les trier et de les choisir, ce qu'il regardait avec raison comme un objet de grande économie. Il exhortait les intendans à profiter de l'exemple des hollandais qui rangeaient dans un petit espace les bois de 4 à 500 vaisseaux. Jugeant que le bois le plus sec est ordinairement le meilleur, mais qu'étant négligé il pourrit promptement, il proposait de prévenir cet inconvénient en mettant les bois à couvert sous les hangars ou sous des croûtes, et en les faisant empiler de façon qu'il y eut du jour entre chaque pièce ou en les tenant dans l'eau sous la vase, et il consultait sur cela les maîtres charpentiers et les officiers les plus entendus dans la construction. Les avis ne sont pas encore réunis sur le parti le plus avantageux à prendre pour la conservation des bois, entre les tenir sous l'eau ou à l'air ou empilés à jour et couverts autant qu'il est possible par des hangars ou par des croûtes. Toutes les observations faites avec grand soin pendant vingt ans à Marseille sont favorables au second parti. M. Duhamel qui en a connaissance, travaille maintenant à un ouvrage qui pourra procurer sur cela de nouvelles lumières [Voir les ouvrages: "De l'exploitation des bois" et "Du transport, de la conservation et de la force des bois" de Duhamel du Monceau]. Il s'informait avec grande attention des meilleures précautions à prendre pour la conservation des mâts et agitait lequel était le plus convenable de les mettre sous des hangars à sec ou dans des fosses d'eau salée. Pour les mâts, les sentimens de les tenir sous l'eau et calés, pour que l'eau les couvre, à prévalu jusqu'à cette heure. Il se proposait deux moyens différens de faire exploiter les bois pour la construction: 1. Celui de faire marquer les bois, de les couper, débiter et voiturer sur le bord des rivières aux frais du Roi en payant les journées de tous les ouvriers et en observant deux choses: l'une de faire couper à tire et aire une certaine quantité de bois et l'autre de vendre les souches, branchages et généralement tous les bois qui ne pourraient servir à la marine. 2. Celui de vendre une certaine quantité de bois tous les ans à des marchands à condition de rendre aussi sur le bord des rivières, tous les bois nécessaires à la marine marqués et équarris, sur les proportions des charpentiers dans les forêts, en observant de ne vendre aux marchands que la quantité de bois nécessaire pour y trouver les pièces utiles aux vaisseaux et de leur laisser le bénéfice des souches, branchages, bois blanc et autres inutiles à la marine pour les dédommager des frais de journées d'ouvriers et autres dépenses qui ne seraient plus à la charge du Roi. Il jugeait ce dernier parti plus avantageux. Il envoyait le commissaire destiné à la visite des bois avec le marchand chargé de la fourniture et un maître charpentier du port dans la forêt où l'exploitation devait être faite pour dresser un procès-verbal des bois propres à la marine et pour que le marchand n'y put commettre aucun abus sous prétexte de la fourniture. Il excitait les marchands à acheter les forêts qui seraient à vendre en Provence ou en Dauphiné et leur proposait de faire marché avec eux pour la fourniture des bois nécessaires à la marine, ayant reconnu par expérience que les achats des forêts aménagées aux frais du Roi ne pouvaient jamais lui être avantageux. Il ne voulait pas que l'on obligea les paroisses à fournir les charrois de bois à prix fait pour la construction des vaisseaux du Roi, et croyait que l'on ne devait se servir de ce moyen qu'à la dernière extrémité. Il aimait mieux que l'on fit des marchés de gré à gré avec les paysans, et qu'on les engageât à ce service pour le Roi, en les payant plus chèrement que ne font les particuliers. Il fit décharger de tout droits les bois de construction pour les vaisseaux du Roi, même ceux dont les voituriers pourraient avoir besoin pour composer les radeaux, en exceptant ceux des particuliers que les voituriers pourraient emmener en même tems. Les plus gros arbres ne coûtaient alors que 3 £ 10 s en Bourgogne, les quilles 20 s le pied, les baux 13 s et toutes les pièces quarrées de 2 à 3 pouces 5 £ 10 s à 3 £ la pièce. Il avait une grande attention à ne point faire couper sans une grande nécessité les bois d'ornement des maisons des particuliers ni aucuns autres contre leur gré et sans être convenu auparavant du prix avec eux de gré à gré ou devant l'intendant de la province sur rapport d'experts. |
Officiers
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Il chercha à placer dans l'épée comme dans la plume des jeunes gens de bonne famille bien élevés qui eussent de l'ambition, persuadé qu'on ne pouvait jamais avoir des gens habiles dans la marine à moins de les y avoir introduit de bonne heure. Il avait eut l'idée très utile au service de confondre les deux corps de l'épée et de la plume, et de prendre des commissaires parmi les enseignes. Il voulait aussi introduire dans le service et faire officiers des vaisseaux, des officiers marchands habiles et du premier ordre, pour donner de l'émulation aux uns et de l'instruction aux autres. Il s'informait particulièrement aux intendans des caractères, du mérite, et des bonnes et mauvaises qualités de tous les officiers de leurs départemens. C'était principalement sur leur rapport qu'il réglait leur avancement et les employs de quelque importance dont il voulait les charger, mais il ne souffrait pas qu'on lui en imposât sur leur compte, et marquait aux intendans qu'il était aussi dangereux d'en dire du bien trop légèrement que du mal par passion ou sans un examen suffisant. Il tâtait le caractère de ces officiers et ne faisait nul cas de ceux qui avaient peu d'émulation. Il cherchait à inspirer l'esprit contraire et faisait grâce à quelques défauts en faveur des bonnes qualités. Il recommandait surtout la bonne intelligence et l'union entre les officiers de terre et de mer, et entre les officiers d'épée et de plume et leur expliquait les bornes de leur autorité, ne jugeant rien de si contraire au service que les discussions. Il insistait principalement sur la subordination nécessaire dans toute espèce de service et ne recevait pas volontiers des plaintes, même bien fondées, des inférieurs contre leurs supérieurs. Il relevait avec soin le prix de toutes les belles actions pour encourager les officiers et les récompensait largement. Il faisait considérer aux officiers qui se plaignaient de leur traitement combien il était plus avantageux proportion gardée que celui des officiers de terre du même grade. Il rassurait avec douceur ceux d'entre les bons officiers qui se plaignaient des passes droits qu'il était quelque fois obligé de faire dans les promotions. Mais il ne souffrait point de menace de retraite et tout officier qui demandait son congé sous prétexte de mécontentement, l'avait sur-le-champ et sans retour. Les grâces et les avancemens étaient alors accordés bien plus aux actions qu'à l'ancienneté. Il se plaignait souvent du caprice et des mauvaises difficultés des officiers, et contenait également les vieux et les jeunes, mais par des voyes différentes. Il tolérait les uns quoiqu'incommodes pour montrer le métier aux jeunes, et il modérait la vivacité des autres, surtout des jeunes gens de qualité qui croyaient devoir être avancés en grade à chaque campagne. Il avait pensé à attacher les officiers et les équipages aux vaisseaux, mais il était revenu de cette idée avantageuse à certains égards mais sujette d'ailleurs à plusieurs inconvéniens. Il se proposait de faire changer souvent les officiers de département, persuadé qu'ils résideraient plus volontiers dans les ports lorsqu'ils seraient éloignés de leurs provinces. Il faisait rayer des registres tous les absens des revues sans permettre qu'ils rentrassent dans le service. Quoique la marine fut plus en vigueur et qu'il se fit beaucoup plus d'armemens alors que dans les derniers tems, le nombre des officiers était beaucoup moindre. Il ne montait en 1673 qu'à 367 dont 1 amiral 2 vices amiraux, 2 lieutenans généraux et 5 chefs d'escadre. Il établit les compagnies de gardes de la marine composées de tous gentils hommes âgés de 16 ans. Il se proposait de faire réunir les biens de l'ordre de St Lazare à la marine pour procurer des récompenses aux officiers nobles de quatre degrés qui les auraient méritées par leur service. Il excita par menaces et par promesses tous les officiers protestans de se faire catholiques, sans être parvenu par-là à faire beaucoup de prosélytes et ne pouvant les convertir, il fit un règlement sur l'exercice extérieur de leur religion à la mer. Il s'était proposé de ne mettre sur les galères que des chevaliers de Malte qui eussent servi à Malte. |
Ports, Côtes & Rades
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En 1669, la ville de Toulon était chargée de la cure du port, et M. Colbert la menaça de lui faire ôter ses octrois, si elle n'y faisait travailler. Mais il sentait dès ce tems là l'inconvénient des vers dans la darce et cherchait les moyens de l'en préserver. Il avait fort à cœur l'établissement du port de Dunkerque, dont il sentait toute l'importance. En 1680 il projeta de faire faire un port à Port Vendre qui put contenir toutes les galères et quelques vaisseaux de 40 à 50 canons. |
Prises
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Il parait qu'en 1674 les intendans de marine faisaient toutes les procédures des prises où le Roi avait intérêt, mais il y a été dérogé depuis et même à l'ordonnance de 1689 et la procédure a été renvoyée aux officiers de l'amirauté. Ce qui a été fait sans doute pour augmenter la confiance du public dans les armemens, mais qui est sujet à inconvénient en tems de guerre. Le Roi faisait alors donner caution à tous les armateurs qui voulaient armer en course, pour être en état de répondre aux alliés de toutes les prises que les armateurs pourraient faire mal à propos et contre les règles. Il était défendu à tous les capitaines de laisser aucune de leurs prises dans les pays étrangers sans absolue nécessité. Les Hollandais ayant fait leur paix avec l'Angleterre, et étant encore en guerre avec la France, se masquaient du pavillon anglais pour rétablir leur commerce. Le Roi fit sentir au Roi d'Angleterre combien cette conduite était contraire aux intérêts de l'Angleterre même. M. Colbert refusa à un capitaine de vaisseau turc la permission de vendre en France des marchandises d'un vaisseau qu'il avait pris sur les Anglais, sur le fondement que le Roi n'avait jamais demandé de retraite dans le port d'Alger pour des prises faites par des armateurs français sur les Turcs avec qui il était en guerre. En 1681, le Roi fit réclamer des Turcs que les armateurs français avaient fait échouer sur la côte de Portugal et que le Roi de Portugal voulait retenir à son profit. |
Saluts
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L'article des saluts a fait de tout tems un objet important dans la marine et y a occasionné de grandes discussions. Il a été soutenu différemment suivant les diverses circonstances où l'on s'est trouvé. En général la France a toujours prétendu exiger le salut des autres nations à pavillon égal, et l'a souvent obtenu par la force, mais cette possession n'a jamais été bien constatée ni avouée des autres nations. On s'est relâché cependant plusieurs fois du droit de se faire saluer à Cadix par les différens vaisseaux qui y abordaient pour ne point troubler la liberté du commerce, mais on soutenait le même droit et les mêmes prétentions en sortant du port. Les Anglais sont les seuls avec qui l'on soit convenu de ne rien se demander de part et d'autre. Ils portaient leurs prétentions plus loin et prétendaient se faire saluer les premiers dans les mers qu'ils appelaient de leur domination et qu'ils étendaient depuis le Nord, jusqu'au cap Finisterre et même jusqu'au Cap St Vincent, ce qui a toujours été constamment refusé par la France, mais avec ordre cependant d'éviter les occasions et la rencontre des vaisseaux anglais. Par les règlemens sur les saluts, le Roi ordonna que les vaisseaux salueront les 1ers les places et forteresses des Rois. Qu'à l'égard des moindres états, ils se feront saluer les premiers à l'exception des villes de Nice et Villefranche, que le vice amiral saluera le premier, et qui rendront coup par coup, sans tirer à conséquence pour les places des autres états. Que les pavillons d'amiral et de réale rendront le salut par un moindre nombre de coups, et les autres pavillons coup par coup, mais de ne saluer aucune place sans être assuré que le salut sera rendu en cette forme. Il fut donné ordre à un capitaine de vaisseau du Roi armé en course de saluer tous les vaisseaux de guerre anglais qu'il rencontrerait dans sa navigation, mais d'éviter surtout de porter aucune marque qui le fit connaître pour capitaine de vaisseau du Roi, et d'entrer dans les ports d'Angleterre. On peut voir la convention particulière qui fut faite avec le Roi de Danemark pour les honneurs à rendre au pavillon de France en Danemark. Il fut rendu en 1674 un règlement qui ordonne que les saluts dans une escadre, seront rendus par le 1er vaisseau seulement et que l'étendard réal des galères sera salué séparément et après le pavillon d'amiral. Le comte d'Estrées, lieutenant général de terre montant un vaisseau, voulut en cette qualité refuser le salut par mer au pavillon du contre amiral porté par M. Duquesne. Il en fut blâmé par M. Colbert qui lui fit dire que ce grade ne lui donnait aucun caractère sur mer qui le dispensât d'être subordonné à un simple capitaine de vaisseau, de même qu’un lieutenant général de marine le serait sur terre au dernier officier de terre. |
Troupes
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M. Colbert fit rendre un règlement sur le service de l'infanterie de terre embarquée sur les vaisseaux qui la subordonne aux officiers du vaisseau où elle sera embarquée. Et une ordonnance pour que les sergens et soldats des compagnies entretenues servissent à tour de rôle et ne fussent point choisis par les capitaines qui monteraient des vaisseaux, mais par les intendans ou commissaires des armemens. Il recommandait à l'intendant de Brest de ne point laisser faire les sergens et caporaux par faveur, mais par la seule considération de la bravoure et du mérite afin de relever le cœur des troupes et de les faire espérer leur avancement. Il parait que c'était alors les intendans qui donnaient les congés aux soldats. Il faisait employer les soldats comme journaliers dans les ports pour épargner leur paye et pour leur faire trouver un plus grand profit et pour les avoir plus sous la main et au fait du service de mer. Il ne faisait aucun état des soldats de terre pour servir sur mer. Il reprochait à M. de Seuil, intendant à Brest, que les recrues pour la marine, revenaient à plus de 100 £ par homme, et qu'ils ne devaient pas communément revenir à plus de 30 £. Il approuvait au chef d'escadre d'avoir fait demander au grand maître de Malte un déserteur qui s'était sauvé dans le port, mais il le blâmait d'avoir voulu faire visiter un vaisseau de Livourne dans ce port au préjudice de la franchise. Il estimait que la plainte du major pouvait être reçue comme celle du capitaine dans une procédure contre un déserteur, et qu'elle suffisait pour fonder la procédure. Il tenait pour maxime qu'un déserteur ne pouvait être condamné comme tel s'il n'avait reçu de l'argent du Roi. La paye des soldats des galères était alors de 6 £ à terre et de 7 £ 10 s à la mer. On donnait en 1677 12 s par jour de subsistance à chaque officier d'infanterie embarqué et 2 s par jour et le pain aux soldats de vaisseaux qui descendaient à terre. L'ancien habillement coûtait 22 £ 14 s, y compris l'épée et le baudrier. |
Vivres
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Anciennement les capitaines de vaisseaux étaient chargés de la fourniture des vivres pour les officiers et équipages de leurs vaisseaux, même celle des troupes de terre qu'ils embarquaient pour différentes expéditions. La ration des soldats se payait au capitaine 4 s 6 d et celle des officiers 20 s. Les équipages en souffraient et M. Colbert en ayant reconnu l'abus, établit un munitionnaire général. Mais il examinait avec autant d'attention le caractère que les conditions de ceux qui s'offraient pour entrepreneurs et il préférait les honnêtes gens au bon marché. Il aurait même souhaité que les capitaines et officiers eussent pu être nourris par un munitionnaire pour éviter le luxe et les embarras des tables dont les inconvéniens se faisaient sentir dès ce tems là et ont bien augmenté depuis. Il protégeait beaucoup les munitionnaires surtout dans les commencemens de leur établissement où il trouva de grandes oppositions, et il les assurait sur les plaintes qu'ils faisaient de la connivence entre les capitaines et les commissaires à leur préjudice mais il était exact en même tems à leur faire faire leur service et les rendait responsables du retardement des armemens qui arrivait par leur fait. Il punissait sévèrement les officiers qui insultaient les commis du munitionnaire et il voulait que le fond de cale fut à leur disposition pour les vivres et non à celle des officiers pour leur commerce et commodités particulières et que la police des vivres même sur les vaisseaux fut dévolue aux intendans et aux commissaires d'escadres. Il ne voulait point qu'on embarquât d'argent pour faire des vivres en pays étrangers et préférait dans les voyages de long cours d'en envoyer de France par convoy. Il voulait que l'on emportât aux isles le bœuf salé de France de préférence à celui d'Irlande. Il fit régler l'article du bois à brûler tel qu'il est à présent par l'ordonnance de 1689. Il recommandait la qualité de l'eau dans la confection du biscuit et que les galettes fussent entières pour les ranger plus facilement. Il ne voulait pas que l'on donnât plus de deux mois de vivres aux vaisseaux armés contre les barbaresques pour les rendre plus légers à la course. Il fit défendre aux équipages de divertir aucune partie de leur ration, et leur fit ordonner de laisser à bord ce qu'ils ne pourraient consommer. Il fit donner double ration à l'aumônier et au chirurgien qui mangeraient à la table des officiers d'infanterie recommandant toujours aux capitaines de n'embarquer aucune superfluités indécentes à des gens de guerre et nuisibles au service des vaisseaux. Il défendit aux capitaines d'exiger des rations en argent du munitionnaire et au munitionnaire de leur en donner, d'enfoncer les futailles vides et de les mettre en paquets, de laisser établir des tavernes sur les vaisseaux, de faire peser la viande cuite à la mer ou de renvoyer des vivres jugés bons après la visite du commissaire général, de passer une ration ou demi ration aux mousses qu'il prétendait être suffisamment nourris aux plats des matelots qu'ils servaient. La ration en 1673 était à peu près la même pour la qualité que celle d'à présent, et l'on abusait également de la machemoure pour la nourriture des bestiaux, ce que M. Colbert reprenait sévèrement. |
Ministère de M. le Marquis de Seignelay.
Principes sur la Marine
Tirés des dépêches et des ordres du Roi donnés sous le Ministère de M. le Marquis de Seignelay.
1756
Discours préliminaire
M. Colbert ayant ouvert et tracé le chemin pour le rétablissement de la marine, M. de Seignelay, qu'il avait formé sur ses principes, n'eut qu'à suivre la même route et à mettre en oeuvre les matériaux que son père n'avait fait pour ainsi dire, qu'assembler et dégrossir. Il avait beaucoup d'esprit naturel et un grand exemple à suivre, mais son extrême jeunesse et un peu trop de vivacité et de présomption le firent écarter dans les 1eres années de son ministère de ces règles de sagesse et de modération si nécessaires dans les 1eres places, et que M. Colbert lui avait si fort recommandé de son vivant.
Il était né ardent et ambitieux. Il servait un Roy encore jeune, heureux, avide de gloire et dans les plus brillantes années de son règne. Il prit l'esprit de son tems, ne forma que des projets hardis, souvent téméraires, et ne consulta pas toujours avec assés de prudence les moyens de l'exécution. Plus courtisan et moins citoyen que son prédécesseur, il chercha plus à faire briller la marine par des armemens en guerre qu'à la rendre utile au royaume par la protection qu'elle pouvait donner au commerce. Il ne négligea pas cependant cette dernière partie, mais il ne la regardait que comme un moyen de procurer des fonds plus abondans à la marine, au lieu que M. Colbert en avait fait son premier objet pour le bien de l'état (différence essentielle dans l'esprit des deux ministres).
Les circonstances le servirent à souhait. Il eut plusieurs guerres à soutenir, presque toutes avec des puissances maritimes. Il contribua à quelques-unes et le bombardement de Gênes où il se porta avec tant d'ardeur fut regardé alors dans toute l'Europe comme l'effet de l'impétuosité d'un jeune homme qui voulait signaler son entrée dans la marine plutôt que comme celui d'une vengeance légitime pour des griefs, dans le fond assés médiocres.
L'affaire de Papachin, vice amiral d'Espagne, qu'il fit forcer de saluer le pavillon de France, à pavillon égal et même inférieur, fut vue du même oeil.
Ces coups d'éclat, et sa fortune qui lui fit trouver dans M.M. Duquesne, de Tourville, de Châteaurenault, d'Amfreville, de Nesmond, Gabaret et des officiers du 1er ordre, capables de seconder ses grandes vues, augmentèrent à la vérité la gloire de la marine et la portèrent au point d'élévation dont M. Colbert n'avait eu que la simple idée, mais ils éveillèrent en même tems la jalousie des nations maritimes, excitèrent la plupart des guerres que l'on vit éclater depuis, et épuisèrent d'autant plus les fonds de la marine que M. de Seignelay n'avait ni la même économie dans ses dépenses, ni les mêmes ressources pour y subvenir que M. Colbert qui disposait des finances de l'état à titre de contrôleur général.
Le commerce qui commençait à se rétablir, en reçut aussi un préjudice notable. M. de Seignelay ne l'ignorait pas, mais né sous un ministère craint et estimé, accoutumé à tout entreprendre et à tout pouvoir parce qu'on n'y voulait que des choses justes, prévues et préparées de longue main, il ne connut point assés dans les commencemens les difficultés des opérations où il s'engageait. Il donnait des ordres précipités, sans égard aux circonstances ni aux moyens, s'irritait des moindres résistances et rejetait presque toujours sur les subalternes le défaut de succès des entreprises qu'il n'avait pas ménagé d'assés loin.
Son style était dur, impérieux, souvent déplacé vis-à-vis même des officiers du 1er grade. Il hasardait légèrement les reproches et les menaces, et s'exposait par là à des désaveux toujours fâcheux pour un homme en place, mais moins dangereux cependant que l'obstination à soutenir un mauvais parti. Il en résultait encore un plus grand inconvénient qui était celui de dégoutter de bons sujets et de leur ôter par là le courage et l'élévation nécessaire pour servir avec ce zèle et cette distinction qui ne se trouvent jamais dans les âmes faibles, capables de souffrir un vil abaissement.
Sous M. Colbert, les récompenses étaient plus fréquentes que les punitions. Sous M. de Seignelay, ce fut le contraire. Il y eut plus d'officiers cassés et emprisonnés dans les six 1er mois de son ministère qu'il n'y en avait eu sous son père dans les douze années précédentes. Il faut observer aussi que l'un créait une marine et que l'autre la disciplinait, et qu'il faut plus de patience pour le premier et plus de fermeté pour le second.
On ne sait s'il se servit des mêmes bureaux que son père ou s'il y porta un autre esprit, mais on ne reconnaît point dans ses dépêches cette même sagesse, cette même suite des principes et surtout ce même amour du bien public que M. Colbert inspirait, bien plus par les idées d'honneur et par l'espoir des récompenses qu'il y attachait, que par la crainte des châtimens;
M. Colbert avait senti par lui même combien la connaissance des détails, qu'il n'avait jamais été à portée d'acquérir, lui manquait pour l'administration d'une partie qui n'a rien de commun avec toutes les autres, et pour laquelle un bon esprit et des lumières ordinaires ne suffisent point. Il avait compris qu'un ministre qui doit toute son attention aux grandes vues et qui est toujours emporté par un grand courant, ne peut sans s'épuiser s'appesantir sur des minuties qu'il doit pénétrer rapidement, et que s'il n'a pas acquis de bonne heure la facilité de les saisir dans le grand, et de les percer d'un coup d’œil, il s'expose à être gouverné par des subalternes souvent peu instruits ou intéressés à lui cacher la vérité.
Pour éviter cet inconvénient, il se proposa d'envoyer son fils fort jeune dans les ports et même en Italie pour y prendre des connaissances de toutes les différentes branches du service. Il le munit de bonnes instructions qui se trouvent encore parmi ses dépêches. Heureux s'il eut pu faire ce voyage comme particulier et non comme fils de ministre, il en eut retiré plus d'instruction et moins d'honneur et la vérité qui se cache toujours aux gens en place se serait montrée à lui plus à découvert, mais il était jeune, vif, il aimait le plaisir. Ceux à qui il fut adressé cherchèrent plus à l'amuser qu'à l'instruire, et lui firent perdre en fêtes et en cérémonies un tems précieux pour son travail.
Cependant, comme il avait beaucoup de génie, il ne laissa pas d'en rapporter des idées, entre autres celles du local et celle des hommes qui lui servit beaucoup dans la suite. Immédiatement après son retour, son père le fit associer au ministère et le Roy lui confia le département de la marine. Il connût encore mieux pour lors le besoin qu'il avait à apprendre aux autres, et il résolut de faire de nouvelles tournées dans les ports, flatté d'ailleurs du pouvoir absolu qu'il portait avec lui. Se regardant comme homme de guerre et homme de cabinet, il monta des vaisseaux, se mit à la tête de quelques escadres et y fit également le rôle de général et de ministre (il est vrai qu'il faut être un peu l'un et l'autre pour exceller dans l'un des deux). Il datait de Versailles et de Marly les ordres qu'il expédiait dans son vaisseau, et les faisait exécuter en sa présence.
Ce fut au retour d'un de ses voyages à Brest qu'étant excédé de fatigue, et s'étant trop livré aux plaisirs et aux affaires, il tomba malade et mourut à la fleur de son âge, n'ayant alors que 39 ans, et faisant perdre à l'état l'espérance du grand ministre qu'il eut rempli vraisemblablement s'il avait eu le tems de se mûrir.
Armemens en Général
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M. de Seignelay fit son principal objet des armemens en guerre, soit que son goût ou que les circonstances l'y portassent. Pour avoir de bons vaisseaux, et pour jeter de l'émulation entre les constructeurs, il en faisait tous les ans armer un neuf de chaque port, y faisait embarquer les constructeurs et les chargeait de l'arrimage pour leur ôter tout prétexte d'excuses, faisait naviguer ces vaisseaux ensemble et comparait ainsi leurs bonnes qualités et leurs défauts. Il faisait aussi embarquer des gardes marine dans les voyages de long cours pour servir de dessinateurs et pour lever les plans des côtes et des mouillages. Il donnait souvent des ordres précipités pour les armemens dans les ports, et n'y voulait point trouver d'oppositions, surtout quand il les avait prévues d'avance, et qu'on lui avait fait espérer qu'ils seraient prêts. Il n'admettait alors aucune excuse quoiqu'il y en eut quelquefois de très légitimes et en écrivait durement aux intendans. Il en usait de même avec les capitaines et avec les officiers généraux du 1er mérite qui n'avaient pas réussis à son gré assés promptement dans les expéditions dont il les chargeait. Son extrême vivacité et son peu d'expérience dans les commencemens de son ministère lui faisaient hasarder des reproches et des menaces dont il était obligé de rabattre beaucoup peu de tems après. Il ne voulait point que les officiers généraux ou capitaines se donnassent la liberté de faire aucun changement dans la mâture ou garniture de leurs vaisseaux, ni qu'ils refusassent celles qui leur seraient données par les officiers de port et défendit aux intendans de le souffrir. Cet article conforme aux ordonnances de la marine, est une occasion de fréquentes discussions dans les ports. Il faisait veiller exactement à la garde des côtes tant dans la Méditerranée que dans l'océan, et y employait de petits bâtimens légers et à rames propres à les défendre contre les corsaires biscayeux et ostendois. Il avait eu l'idée de faire embarquer un mortier à bombes sur les vaisseaux pour y servir en cas d'abordage. Cette idée n'a pas été suivie, les inconvéniens en ayant été reconnus. Il recommandait aux intendans et capitaines de vaisseaux de s'informer soigneusement des mouvemens des ennemis, de ne point se laisser aller aux terreurs paniques des marchands, et de garder toujours de préférence les croisières d'Ouessant, Belle isle et le Cap Lizard, qui sont les parages des vaisseaux qui reviennent de long cours et qui sont le plus richement chargés. Il a dressait presque toujours ces ordres aux intendans. Le Roi ayant besoin de tous ses vaisseaux de guerre en 1689, [il] fit passer son ambassadeur à la Porte par une flutte de 30 canons et de 120 hommes d'équipage. Il fit faire en 1687 la visite des Échelles par un commissaire de marine à qui il donna le titre d'envoyé et qui fut conduit par deux vaisseaux dont les capitaines eurent ordre d'agir de concert avec l'envoyé pour la navigation et les séjours. Il ordonna en 1690 le désarmement des galères au Havre, et les fit hiverner à Rouen. |
Police d'armement
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M. de Seignelay était extrêmement sévère sur les états d'armemens et ne permettait ni aux commandans des escadres ni aux intendans des ports d'y faire aucun changement tant en officiers et équipages qu'en agrès ou armement des vaisseaux. Il défendait toute complaisance aux intendans à ce sujet pour les officiers, même du 1er grade, et les menaçait de les rendre eux et les officiers, responsables des dépenses superflues et faites sans ordre, et des consommations inutiles tant à terre qu'à la mer et il enjoignait aux commissaires embarqués d'en rendre compte aux intendans. Cette sévérité tend à retrancher les abus mais ne doit pas s'exercer avec trop de rigueur, et un intendant qui suivait ces ordres à la lettre ferait mal les affaires du Roy, se commettrait en pure perte et en serait blâmé le 1er par les ministres mêmes. Il recommandait surtout aux intendans d'être en garde contre l'extrême désir qu'ont les officiers d'avoir toujours leur armement tout neuf, de remédier aux désordres causés par la vente des agrès de retour. Cette vente en effet a été souvent une source de très grands abus, mais il n'y a que la vigilance d'un intendant éclairé et autorisé qui puisse y remédier. Il voulait cependant que l'on embarquât des draps et des matelas pour l'usage des malades et qu'on remplaçât les munitions dans les magasins à mesure qu'on les consommait pour des armemens. Cela devait être, mais cela dépend autant de la remise des fonds que de la vigilance de l'intendant. Il défendait qu'on laissât les mâts et les antennes sur les galères après la campagne, et voulait qu'on les mit dans les magasins. C'est le meilleur parti, mais les opinions ont varié fréquemment sur ce sujet entre les officiers et quelque fois d'une année à l'autre. Il manda aux commandans des ports qu'ils n'avaient point d'ordre à donner aux commandans d'escadres qui allaient en mer. Il prétendait que les galères devaient embarquer toujours pour deux mois de vivres. C'est l'usage à l'eau près dont elles ne peuvent porter cette quantité. Il refusait une felouque, même sans matelot, à un commissaire général embarqué, persuadé qu'elle servirait de prétexte dans la suite pour demander une augmentation d'équipage. Il est impossible qu'il s'en passe pour faire son service, aussi cet ordre n'a jamais été suivi. Il fit régler que les détachemens de chaloupes se feraient par les officiers à tour de rôle suivant l'ancienneté. Il désapprouva un capitaine de vaisseau d'avoir fait donner la cale à un patron, prétendant que son pouvoir n'allait pas jusque là, et qu'il ne pouvait que recevoir les plaintes contre eux, pour en faire faire justice par les juges au retour des campagnes. On a été moins scrupuleux depuis ce tems là. Il fit ordonner à tous les officiers de tenir un journal de leur navigation. Il refusait les vaisseaux du Roy à fret pour la pêche de la baleine, par les inconvéniens de la puanteur qui y restait. Il portait son attention jusque sur les vaisseaux marchands, et ayant appris qu'il s'en perdait tous les jours faute de radoubs, il donna ordre au commissaire des classes d'y veiller et de n'en point laisser partir qui ne fussent en état et muni de vivres et agrès nécessaires à proportion de leur voyage. |
Armemens
Guerre d'Espagne
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Une des 1eres guerres que la France eu à soutenir sous le ministère de M. de Seignelay fut contre l'Espagne, seule dans les commencemens, mais unie dans la suite avec l'Angleterre et la Hollande. Les forces maritimes d'Espagne n'étaient pas alors à redouter pour celles de France et cette nation quoique remplie de valeur et pourvue abondamment et plus qu'aucune autre de l'Europe de toutes les matières nécessaires à la formation d'une marine, n'avait pas alors eu l'espèce de génie et d'activité propre à ce service et ne tirait pas tout le parti qu'elle aurait pu de sa situation et de ses ressources. Mais sa navigation aux Indes occidentales, le commerce qu'elle y fait, l'or et l'argent qu'elle en retire, ont été de tout tems un objet important pour la France non seulement par la part indirecte que les Français ont à ce commerce qu'ils font sous le nom des Espagnols (comme il sera expliqué plus amplement dans un autre chapitre), mais par les prises considérables qu'ils donnent lieu de faire sur eux en tems de guerre, surtout au retour des galions et de la flottille. D'ailleurs, quoique les gros vaisseaux de ligne des Espagnols fussent plus considérables par leur masse que par l'habileté des officiers dans leurs manœuvres, ils avaient de petits corsaires biscayens très braves, très agiles et très expérimentés à la mer, qui gardaient leurs côtes et qui désolaient notre commerce, dont une partie se faisait dans le Levant, passait nécessairement à portée de leurs ports et pour ainsi dire sous leurs canons tant en allant qu'en revenant, ce qui les rendait plus à craindre pour la France qu'ils ne l'eussent été en corps d'armée et en bataille rangée, et c'est de quoi elle eut principalement à se défendre pendant la guerre. Malgré la paix de Nimègue en 1678, il subsistait un levain d'animosité entre la France et l'Espagne, fondé sur ce que cette dernière puissance n'avait pas exécuté fidèlement les conditions du dernier traité au sujet des équivalences qu'elle devait donner à la France pour le comté d'Alost. Ces discussions donnèrent lieu à l'armement de diverses escadres en Levant et Ponant. A Brest, M. de Bethune, commandant une escadre, eut ordre d'arrêter et de visiter les vaisseaux de toutes les nations qu'il trouverait sur la route depuis Ostende jusqu'à Cadix à l'exception des Anglais seuls, et en cas qu'il en trouva chargé d'argent, de les envoyer dans un des ports de France. A Toulon, M. Duquesne fut chargé avec une escadre de vaisseaux et 30 galères de s'opposer au transport des troupes de Naples et du Milanais en Catalogne, et au cas que les ennemis se servissent pour cela de vaisseaux anglais, de les arrêter, de faire prisonnier de guerre les troupes qui y seraient embarquées et de déclarer aux capitaines anglais qu'ils seraient remboursés du prix de leur fret que M. de Vauvré eut ordre de leur faire payer à Toulon sur le certificat de M. Duquesne. Les vaisseaux des autres nations qui se trouvaient dans le même cas devaient être arrêtés et conduits à Toulon, sans nul dédommagement pour leur fret. Il eut ordre de passer ensuite à Cadix pour s'opposer avec M. de Tourville au départ des galions pour assurer le retour de la pêche de Terre-neuve, et pour observer et combattre s'il pouvait, Papachin, commandant les vaisseaux d'Espagne. Il est à remarquer que le duc de Mortemart, beau-frère de M. de Seignelay, qui commandait les galères comme général et qui en cette qualité aurait du commander toute l'armée navale, se soumit à cause de son extrême jeunesse à n'y servir que comme simple officier général et à laisser le commandement à M. Duquesne, dont la réputation et l'expérience méritaient cette distinction. M. de Seignelay manda au maréchal de Bellefonds, commandant en Catalogne, qu'il pouvait se servir des troupes de la marine de l'escadre de M. Duquesne et les faire descendre à terre, s'il en avait besoin pour quelque expédition, en leur donnant un poste séparé pour éviter la discussion du commandement. Et à M. de Vauvré, intendant à Toulon, de veiller sur le projet que l'on présumait qu'avaient les Espagnols de faire une descente sur les côtes de Provence, et de fournir au comte de Grignan, qui commandait dans la province, tous les secours d'armes, de munitions et même de troupes nécessaires en cas d'occasion pressante, en informant la cour par des courriers extraordinaires de toutes les nouvelles intéressantes. Il eut ordre aussi de faire mettre à la chaîne sur les galères tous les Espagnols qui seraient pris à la mer sur des vaisseaux étrangers ou de leur nation. Cet ordre eut été trop violent s'il n'eut été question que de représailles et il parait que l'on avait d'ailleurs pour prétexte une des conditions du traité dont il est parlé plus bas. M. de Tourville qui avait eu le même ordre que M. Duquesne de passer de Toulon à Cadix pour s'opposer au départ des galions, fut retenu dans sa route par des vents contraires ou par diverses autres circonstances, et ne put remplir cette commission aussitôt que M. de Seignelay l'aurait souhaité. Il lui en fit des reproches très vifs et vraisemblablement très injustes. Enfin on signa une trêve le 24 août 1684, entre l'Espagne et la France, et M. de Seignelay en donna avis à M. de Tourville, mais comme il ne cherchait qu'un prétexte pour continuer la guerre, et que la ratification n'était pas encore arrivée, il lui manda que s'il pouvait remonter l'escadre espagnole commandée par Papachin, il profita de cette circonstance pour la combattre à moins qu'il ne fut bien informé de la publication de la paix auquel cas il devait toujours exiger qu'on le saluât le premier, et désarborer toute sorte de marque de commandement et de dignité supérieure pour se faire saluer en cet état ou pour combattre en cas de refus. Ce combat n'eut pas lieu dans l'année parce que l'occasion ne s'en trouva point, mais quatre ans après en pleine paix, cet ordre donna lieu au fameux combat de M. de Tourville contre Papachin où ce dernier fut forcé de saluer. L'année 1685 se passa sans événement, sinon que les habitans de Fontarabie ayant voulu se rendre maître de la rivière de Bidassoa pour empêcher ceux d'Andaye d'y faire leur commerce, le Roi fit armer une frégate et deux corvettes pour protéger ces derniers et pour se tenir à l'entrée de la rivière pour attaquer les Espagnols en cas d'opposition de leur part au commerce d'Andaye et non autrement. En 1686 survint la fameuse affaire de l'indult détaillé assés amplement à l'article du commerce. En général il s'agissait d'obliger la cour d'Espagne d'abolir ou de réduire un impôt extraordinaire qu'elle avait mis sur les marchandises étrangères envoyées au Mexique dont celles des Français faisaient la meilleure part, et d'obtenir que la répartition de l'impôt qui subsisterait fut faite également sur les marchandises de toutes les nations et non sur celles de France en particulier. On employa successivement les raisons et la force, on fit parler les ambassadeurs, on envoya des escadres devant Cadix pour bloquer le port et saisir les vaisseaux, on menaça et l'on se mit même en devoir de bombarder la ville. Enfin la cour d'Espagne céda, donna main levée des effets saisis ou séquestrés et fit pour une somme modique une espèce d'accommodement avec les négocians Français que le Roy approuva sous main, mais dans lequel il ne voulut point paraître entrer. Au fond, il paraissait dur de vouloir donner des lois à l'Espagne pour l'administration du commerce dans ses propres états, mais l'intérêt général du commerce des deux nations et les forces supérieures de la France firent prévaloir ses prétentions. Dans toutes les expéditions qui se faisaient pour cet objet là, M. de Seignelay témoignait toujours son impatience d'une façon très vive. Pour éluder l'effet de l'accommodement la cour d'Espagne voulut augmenter d'un quart le prix de ses monnaies et ne payer les marchandises de France que sur le pied de cette augmentation. Le Roi s'y opposa formellement et ne voulut entrer dans aucun tempérament pour ce qui était dû jusqu'alors, prétendant que cette ordonnance d'augmentation ne pouvait avoir lieu que pour le prix des marchandises qui seraient vendues à l'avenir, mais sans aucun effet rétroactif pour ce qui était du passé dont la valeur convenue devait être payée sur l'ancien pied. Cette prétention était très juste, mais ne pouvait cependant être soutenue que par une force supérieure. Cet accommodement forcé et les prétentions de la cour de France pour le salut, dont le combat contre Papachin, vice amiral d'Espagne, fut une suite, donnèrent lieu à l'association de la cour d'Espagne à la ligue d'Augsbourg et laissèrent toujours subsister malgré la trêve une semence de jalousie entre les deux nations qui éclata par une déclaration de guerre en 1689. On soupçonnait depuis quelques tems des intelligences entre la cour d'Espagne et la Hollande. Pour s'en assurer, on fit armer une frégate pour saisir les paquets et intercepter le commerce de lettres qui se faisait sur des barques d'Espagne en Hollande. Enfin la guerre étant déclarée en 1689, M. de Tourville qui était alors devant Alger eut ordre de revenir croiser sur la côte d'Espagne entre Majorque et le cap de Gate, d'y interrompre le commerce des Espagnols avec les Anglais et les Hollandais et de se porter même jusque devant Cadix, s'il se sentait supérieur en force, sinon de se retirer à Toulon pour y attendre de nouveaux ordres. M. de Châteaurenault eût un pareil ordre à Brest, de se rendre avec 5 vaisseaux devant Cadix. On fit déclarer en même tems aux Génois que le Roy prétendait que les galères et escadres espagnoles ne séjournassent pas dans leur port, sinon que sa majesté y enverrait aussi une de ses escadres. On déclara à l'envoyé d'Espagne à Gênes sur ce que le duc de Tursin, génois et général espagnol avait fait mettre aux fers l'équipage d'une tartane française sous prétexte que des Siciliens habitués à Marseille avaient noyé l'équipage d'une felouque de Majorque, que cette violence des Siciliens n'avait point l'aveu de la France, que ces Siciliens ne pouvaient être que des forbans qui avaient pris le pavillon de France pour pirater, que l'intention du Roi n'était point que la guerre se tourna à de pareilles cruautés mais que si les Espagnols les continuaient, il userait de représailles, Cette espèce d'hostilité ne devant s'exercer suivant les traités que contre des forbans. Malgré la guerre avec l'Espagne, le commerce fut libre de France en Espagne sur la côte de Bayonne, de province à province seulement car les vaisseaux trouvés en pleine mer revenant des voyages de long cours étaient de bonne prise. Le Roi permit au duc de Grammont de signer ce traité et de prendre même de l'argent à l'exemple des Espagnols pour leurs passeports. |
Armemens
Guerre de Hollande
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Les vues du prince d'Orange sur la couronne d'Angleterre étaient déjà suspectes au commencement de 1688. Les mouvemens qu'il se donnait en Hollande, les ressorts qu'il faisait jouer en Allemagne et les grands préparatifs d'armemens dont on eut avis firent juger à la France que l'on ne serait pas longtems sans avoir la guerre avec cette république. On en parut pas trop fâché, et l'on chercha plutôt à l'accélérer qu'à l'éviter. Pour être mieux instruit de ses desseins, M. de Seignelay envoya sous d'autres prétextes un commissaire en Hollande, avec ordre de visiter ses ports et de s'informer exactement du nombre et de l'état de ses bâtimens, magasins, et de tout ce qui concernait ses forces maritimes. Il fit faire en même tems d'amples provisions de toutes les marchandises du Nord nécessaires en France pour la marine, prévoyant que ce commerce en allait devenir plus difficile. Il manda en particulier au consul de France en Hollande de faire partir sous divers prétextes tous les bâtimens français qui s'y trouveraient sans qu'on put s'apercevoir qu'il en avait des ordres secrets. Il prévint les commissaires des classes de retenir dans les ports de France ou sur des bâtimens français, le plus d'officiers mariniers et de matelots qu'il pourrait et d'empêcher qu'ils ne s'engageassent dans des voyages de long cours, et surtout qu'ils ne passassent point en Hollande où le prince d'Orange faisait son possible pour les attirer. Il prévint aussi tous les intendans et ordonnateurs des départemens de se précautionner contre des descentes, de s'entendre avec les gouverneurs à qui le Roy avait écrit pour mettre les côtes de France en défense et de fournir aux arsenaux de marine toutes les munitions qu'ils demanderaient pour garnir les postes. Ces préparatifs faits et les nouvelles qu'on recevait d'un moment à l'autre faisant juger la guerre inévitable, on crût qu'il y aurait plus à gagner de commencer les hostilités que de les attendre, et avant qu'il y eut une déclaration de guerre dans les formes, M. de Seignelay envoya dans tous les ports des ordres d'arrêter tous les matelots hollandais qui s'y trouveraient et de les envoyer par escouades à Toulon pour être employés avec précaution, soit sur les vaisseaux du Roy, soit sur les marchands ou aux travaux de l'arsenal, en leur fournissant la simple nourriture sans aucune solde. Il écrivit en même tems à tous les commandans d'escadre à la mer d'arrêter tous les bâtimens hollandais qu'ils pourraient rencontrer et de les envoyer en France, mais d'agir comme de leur chef et par manière de représailles de quelques infractions aux traités, et de ne pas déclarer qu'ils en eussent l'ordre du Roy. Une pareille conduite ne blessait-elle pas un peu la bonne foi et le droit des gens?. Il leur enjoignait cependant de ne rien laisser détourner de dessus ces bâtimens, pour que l'on fut à portée de les restituer en cas d'accommodement. Il fit armer dans la même vue trois vaisseaux pour aller enlever dans la Méditerranée tous les bâtimens hollandais qui faisaient commerce dans le Levant et principalement le convoy qui avait coutume de repasser par le phare de Messine en Xbre. Il leur enjoignit de parcourir toute la côte d'Italie et d'aller jusqu'en Chypre et à Smyrne s'il était nécessaire pour les y trouver, et il donna les mêmes ordres à MM. de Châteaurenault et de Tourville pour attaquer les vaisseaux de guerre hollandais à Cadix et à Messine. Il fit exciter dans tous les ports et dans toutes les villes de commerce tous les officiers de marine et armateurs particuliers à faire des armemens pour leur compte. Il leur fit sentir les avantages qu'ils y trouveraient dans le commencement d'une guerre où il y avait beaucoup à gagner et peu à risquer, les ennemis n'étant point encore sur leurs gardes. Il leur fit offrir en prêt des vaisseaux du Roi tout gréés sans en exiger aucun fret, sans rien prétendre dans les prises et sans les rendre en aucun cas responsables de leur perte. Il arma lui même un vaisseau pour son compte, d'abord seul, ensuite avec MM. de Louvois et de Croissy. Une pareille démarche de la part d'un intendant avait été fort blâmée, non sans sujet, par M. de Colbert en...... On en conçoit assés la raison. Il permit aux armateurs de couler bas tous les bâtimens hollandais qu'ils prendraient mais à condition de sauver les équipages qu'il défendit expressément de noyer. Il fit armer une frégate de trente pièces de canon, quatre plus petites, et trois barques, pour enlever trois cents bateaux hollandais qui faisaient la pêche à Yarmouth avec ordre de couler bas les bâtimens et de sauver les équipages. Il fit faire aussi au Havre de petites frégates de 14 canons pour garder la côte et la pêche de Normandie contre les petits corsaires capres. Ayant eu avis que le prince d'Orange voulait masquer l'ouverture du canal de Dunkerque par quatre flûtes maçonnées qu'il voulait y faire couler bas, il fit faire des batteries de 24 à la tête des jetées et y fit tenir des chaloupes armées et des troupes pour les empêcher d'approcher. Il manda aux commissaires ordonnateurs des ports que le Roi voulait qu'on se conformât au règlement de la dernière guerre pour la sûreté du port de Ligourne, et qu'il ne s'y commit aucun acte d'hostilité entre les Français et les Hollandais, tant dans la rade que dans le mole et que les bâtimens des deux nations qui s'y trouveraient en eussent l'entrée et la sortie libre, sans pouvoir être poursuivis qu'au bout de vingt quatre heures. |
Armemens
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Sur la fin de 1688 et au commencement de 1689, les vues du prince d'Orange parurent à découvert pour l'usurpation du royaume d'Angleterre où il avait déjà un grand parti de formé. Il y employa toutes les forces de la Hollande. L'Espagne se déclara pour lui au mois d'avril de cette même année, ravie de profiter de cette occasion de s'unir contre la France, dont la jouissance lui était depuis longtems à charge. Le Roi, lié par le sang, l'amitié et la religion avec le Roi d'Angleterre, regardant sa cause comme celle de tous les Rois intéressés d'ailleurs à ne pas laisser réunir dans la même main les forces de deux états déclarés contre lui, s'opposa ouvertement à cette entreprise et eut à combattre à la fois la Hollande, l'Espagne et le parti anglais du prince d'Orange qui fut bientôt celui de toute l'Angleterre. Il soutint seul l'effort de ces trois puissances et si le Roi Jacques second, plus soldat que capitaine, n'eut pas gâté lui même ses affaires autant par sa témérité que par un zèle indiscret et mal dirigé pour la religion, il fut remonté sur son trône où la France cherchait à le replacer. Le 1er soin de M. de Seignelay lorsque la guerre fut prête à déclarer, fut d'avoir des intelligences en Hollande et en Angleterre pour être informé de tout ce qui s'y passait, d'établir une correspondance à Ostende pour l'échange des prisonniers hollandais avec les Français et d'engager par de bons traitemens et sans violence les matelots de toutes les nations du Nord à rester ou neutre ou à prendre parti dans la marine de France. Il fit avertir [en] sous main tous les marchands français à Cadix de mettre leurs effets à couvert. Il fit solliciter les Algériens et les Tripolitains de profiter de la circonstance pour se déclarer contre les Anglais et les Hollandais et leur en fit sentir les avantages, le Roi leur offrant retraite pour leurs prises dans ses ports. On a pas cru dans ces derniers tems devoir employer de pareils moyens. On faisait servir aux travaux du port de l'arsenal de Toulon les prisonniers anglais que l'on y envoyait. Il fit partir dès le mois de février de Brest pour l'Irlande, où le Roi Jacques deux s'était retiré, des munitions immenses de guerre et de bouche suivies de troupes commandées par M. de Berwick et escortées de huit vaisseaux commandés par le maréchal d'Estrées. Elles débarquèrent heureusement en Irlande à Cork. On n'était point en peine du passage de nos vaisseaux, les mêmes vents qui les portaient ne permettant pas aux Anglais et Hollandais supérieurs en forces de les venir chercher, mais bien du retour, les ennemis pouvant attendre entre Ouessant et les Sorlingues, et c'est ce dont on prévint le maréchal d'Estrées pour qu'il fut sur ses gardes. On ordonna à M. Gabaret de recevoir le Roi d'Angleterre sur son bord pour le passer en Irlande, de lui obéir, et d'arborer et faire arborer le pavillon anglais à toute son escadre. Et à M. de Châteaurenault de l'aller joindre avec un renfort de vaisseaux et 10 brûlots pour s'opposer au prince d'Orange qui voulait couper la communication de la France avec l'Irlande, et de prendre le commandement de toute la flotte. L'escadre de France réunie devait se trouver de 24 gros vaisseaux sans les brûlots. Il établit une correspondance par des bâtimens dont deux allaient et deux revenaient perpétuellement de Kinsale à Brest pour porter les dépêches d'Irlande. Il excita en même tems tous les armateurs à faire la course, et pour en donner l'exemple, il arma lui même deux vaisseaux dont il fit faire les avances par le trésorier de la marine, et prit intérêt dans l'armement de six. Cet exemple était peut être plus dangereux qu'utile. Il se plaignait aux intendans de la lenteur des armemens et voulait qu'en tems de guerre, tous les 120 vaisseaux que le Roi comptait entretenir dans tous ses ports, fussent toujours prêts à armer et en état de sortir au 1er ordre. Ce projet était beau, mais l'exécution en devait être souvent difficile dans un état où le défaut de fonds ou de munitions fournis à tems peut le faire échouer sans qu'il soit possible aux intendans d'y mettre ordre. Dans des cas pressés il donnait ordre aux intendans de la marine de prendre tous les ouvriers d'une province et toutes les munitions propres au service de la marine. A la fin de may 1689, M. de Châteaurenault battit la flotte anglaise à la hauteur des îles de Wight, commandée par le vice amiral Herbert et prit 7 vaisseaux anglais richement chargés. M. de Seignelay en lui en faisant compliment lui fit une espèce de reproche de n'avoir pas poussé sa victoire plus loin et lui manda de tenir la mer et de croiser à l'entrée de la Manche avec dix vaisseaux. Il excita en même tems le maréchal d'Estrées à aller brûler à Plymouth les 14 vaisseaux de l'escadre anglaise contre qui M. de Châteaurenault s'était battu et qui étaient désemparée et en mauvais état, mais il l'exhortait en même tems à ne point tenter cette entreprise témérairement et à la bien consulter auparavant. Il lui marqua ensuite qu'il pouvait aller attaquer avec ses 40 vaisseaux les Anglais qui s'assemblaient au nombre de 42 ou 43 à l'isle de Wight et qu'il ne doutait pas qu'étant mieux armé, il ne les battit, ce qui déciderait du sort de la campagne, et il écrivit vivement aux intendans pour presser l'armement. Dans cette vue il se rendit lui même à Brest, y fit venir de Toulon M. de Tourville avec une escadre de 20 vaisseaux en lui donnant tous les avis nécessaires pour qu'il évita avant la jonction, des ennemis qui l'attendaient sur Ouessant et qu'il atterrât sur Belle Isle et passât par le raz. Il lui manda qu'il l'attendait avec 42 bons vaisseaux dont il lui destinait le commandement. Cette jonction réussit par l'habile manœuvre de M. de Tourville et dès qu'il fut arrivé, M. de Seignelay lui donna le commandement général de la flotte comme il le lui avait promis et l'ôta au maréchal d'Estrées avec qui il n'était pas bien. Il le consulta sur les croisières qu'il fallait tenir et régla avec lui les opérations du reste de la campagne. M. de Relingue fut envoyé au Nord d'Écosse pour s'opposer au passage de six vaisseaux danois qui devaient porter des troupes en Irlande. M. d'Amfreville fut envoyé au sud avec 40 vaisseaux pour s'opposer au passage de la reine d'Espagne de Rotterdam à la Corogne, et s'emparer d'un convoy de 3 à 400 voiles qui ne devait être escorté que par vingt vaisseaux de guerre. Il eut ordre dans l'intervalle de transporter six mille hommes de troupes en Irlande. Mais étant venu de là radouber à Brest, M. de Seignelay l'en blâma vivement comme d'une manœuvre très préjudiciable aux intérêts du Roi et qui pouvait lui faire le plus grand tort, et il lui ordonna de se remettre sur le champs en mer et de la tenir jusqu'au 10. Xbre. 1689. Le Roi avait envoyé dès le commencement de l'année M. Ducasse avec deux vaisseaux et deux flûtes et avec des lettres patentes pour détruire la colonie hollandaise à Surinam à condition d'en transporter toutes les munitions et marchandises à Cayenne. Il fit armer à Brest 5 vaisseaux et 2 barques longues destinés uniquement à garder les côtes du royaume depuis Dunkerque jusqu'à Bayonne et à protéger le commerce et la pêche du hareng sur la côte de Normandie. Les deux autres à Rochefort pour protéger la pêche du grand banc et détruire celle des Anglais. Il fit arrêter en représailles des Anglais et des Hollandais et dans la vue de troubler leur commerce, tous les vaisseaux neutres qui sortaient de leurs ports. Les Rochelais ayant demandé à armer à leurs frais contre les corsaires biscayens, le Roi leur accorda trois vaisseaux, et imposa pour cet armement un droit d'un écu et d'un sol pour livre par tonneau sur les bâtimens naviguant dans les pertuis de La Rochelle et de Marennes. On voulait malgré la guerre d'Espagne, continuer le commerce à Cadix sans risque. Les marchands consultés proposèrent un entrepôt à faire et de renouveler le traité de 1684 qui autorisait ce commerce. Ce commerce avait toujours eu lieu jusqu'alors, même en cas de guerre entre les provinces de Guipúzcoa et de Biscaye. Les marchands espagnols le désiraient, mais la cour d'Espagne s'y opposait. M. de Seignelay manda au maréchal de Bezout, commandant à Bordeaux, que le moyen le plus sûr de rétablir et de conclure le traité de bonne correspondance, était d'empêcher d'abord le transport des blés de France à St Sébastien. En 1690, la guerre se poussa encore avec plus de vigueur. Elle occupait une partie des forces d'Angleterre et faisait par là une division favorable à la France qui tenait tête alors à tout le reste de l'Europe. M. d'Amfreville eut ordre de passer un nouveau renfort de 6000 hommes de troupes en Irlande commandés par M. de Lauzun et de les débarquer à Kinsale ou à Cork, de rembarquer 5000 Irlandais en se concertant avec lui pour que le débarquement se fit avec ordre et pour éviter toute discussion pour le commandement entre les officiers de terre et de mer. On en donna avis au comte d'Avaux. On prit pour faire ce transport le tems du départ de la reine d'Espagne qui devait passer de Rotterdam à la Corogne, escortée par une partie de la flotte anglaise et hollandaise. M. de Tourville avait au commencement de la campagne 84 vaisseaux et 15 galères sous son commandement. Il eut ordre d'entrer de bonne heure dans la Manche, avant que les Anglais fussent sortis de leurs ports, de tâcher de les y surprendre et de les y brûler, d'aller d'abord à Plymouth, de faire des détachemens vers Torbay et Portland pour y enlever le plus de vaisseaux marchands qu'il pourrait et de rassembler ensuite tous ces détachemens pour fondre sur la flotte ennemie aux rades de Portsmouth et de Spithead, d'aller de là croiser à l'entrée de la Tamise pour empêcher la jonction des flottes anglaises et hollandaise, de mouiller pour cet effet près du banc des Gaspes pour couper le commerce et la communication de l'Angleterre avec la Hollande en envoyant des détachemens à Torbay et à l'entrée du canal royal et dans le Nord d'Écosse et d'Angleterre pour rompre aussi le commerce de ces deux puissances dans la mer baltique. Il lui fut recommandé de ne point s'engager dans un combat, même à nombre égal, du côté des Dunes, mais si on l'attaquait, de se retirer dans la Manche, entre Ouessant et les Sorlingues et de tâcher d'y attirer les ennemis pour les combattre dans ce parage là, mais surtout de ne point s'engager dans la côte du Nord aux approches de l'arrière saison, de quitter la Manche et de se retirer à Brest avec toute l'armée dans le mois de 7bre au plus tard. Tel était le plan des opérations de la campagne que l'on sent n'avoir pu être que conditionnel, surtout à la mer où mille circonstances peuvent faire changer l'objet des opérations d'un moment à l'autre. Aussi le furent t'elles souvent dans le courant de cette campagne. Deux mois après cette instruction, le Roy ayant eu avis que l'armée des ennemis était inférieure à la sienne, envoya ordre à M. de Tourville de la chercher partout et de la combattre même dans la Tamise et sur les Dunes et les galères eurent ordre de l'aller joindre. On lui manda de tâcher d'engager l'action avant la jonction du prince d'Orange. On ne peut exprimer la vivacité des dépêches de M. de Seignelay pour engager M. de Tourville à se porter à cette action où il n'avait pas besoin d'être excité, mais qu'il conduisait avec une prudence qui ne s'accordait pas avec l'impétuosité du ministre qui l'accusait souvent de lenteur et de faiblesse, disant de lui qu'il était poltron d'esprit et brave de cœur. Il en faisait ses plaintes à M. de Bonrepaus, il le pressait lui même dans les termes les plus forts et lui envoyait coup sur coup des ordres absolus et capables de faire échouer une entreprise où la trop grande précipitation est souvent aussi nuisible que la lenteur. Il semble que quand on a bien représenté une fois à un homme de volonté et de génie l'objet et l'importance d'une expédition qui roule sur lui, tout est dit et qu'il faut le laisser le maître de choisir son tems et ses moyens. Dans la vue d'un combat M. de Seignelay avait fait disposer des hôpitaux pour les malades et blessés à Dunkerque, Boulogne et Calais avec ordre, aux dits d'hôpitaux, de prendre les maisons et les lits des particuliers et de traiter avec eux de gré à gré pour le logement et la nourriture des malades. Enfin le combat eut lieu le 10 juillet 1690. M. de Tourville battit les flottes combinées d'Angleterre et de Hollande, leur brûla trois vaisseaux, en démâta 15 et remporta une victoire complète. M. de Seignelay lui en fit compliment en l'excitant encore à de plus grands succès, et lui envoya ordres réitérés et très précis de tenir la mer pour profiter de sa supériorité, avec défense de renvoyer d'autres vaisseaux dans le port que ceux qui seraient hors de combat, lui enjoignant de se tenir aux rades de Portland et Torbay où on lui enverrait des munitions pour se radouber et d'où il pourrait entreprendre un second combat ou une descente au port d'Amon ou en Katwater. Il lui faisait cette entreprise facile, l'assurait que le Roi ne lui saurait point mauvais gré de risquer ses vaisseaux et l'exhortait à avoir plus de confiance dans ses entreprises. M. de Seignelay ayant eu nouvelle que nonobstant ses ordres il était rentré à la fin d'août dans la rade de Bertheaume, l'en blâma très vivement, le menaça de lui ôter le commandement de l'armée et de le donner au comte d'Estrées, lui ordonna de se remettre sur le champs à la voile et lui laissa le choix des parages qu'il voudrait garder pour s'opposer aux entreprises des ennemis. |
Juillet 1690 |
Les affaires avaient changé de face en Irlande. Le Roi Jacques 2, pour s'être trop pressé de donner bataille (comme l'avait prévu M. de Seignelay) avait été battu à plate couture, son armée détruite et lui obligé de se sauver en France, dont le prince d'Orange lui avait [en] sous main favorisé le passage, n'étant pas fâché d'en être défait. Aussi, loin de penser à envoyer de nouveaux secours dans ce pays là, on ne s'occupa qu'à retirer les troupes et les munitions que l'on en put sauver. M. d'Amfreville et M. de Nesmond furent chargés du rembarquement avec de gros détachemens et M. de Tourville, avec le corps de l'armée navale composée de 45 vaisseaux, de tenir la mer dans ces parages pour favoriser le passage de M. de Nesmond et empêcher qu'il ne fut attaqué par toutes les forces de l'armée ennemie. M. de Châteaurenault eut ordre en même tems d'aller brûler avec 12 vaisseaux, onze vaisseaux anglais retirés à Plymouth et nombre de vaisseaux marchands. Cette expédition n'eut pas lieu. M. de Tourville en représenta l'impossibilité, ce qui déplut beaucoup à M. de Seignelay. M. de Relingue eut ordre d'aller avec huit vaisseaux au devant de la flotte des Indes hollandaises qui devait passer par le nord d'Écosse et de tacher de s'en emparer. Cette expédition n'eut pas lieu, la saison étant trop avancée et M. de Relingue reçut un contre ordre pour revenir joindre l'armée de M. de Tourville. Le comte d'Estrées avec un détachement fit une descente en Angleterre à Teignmouth, y brûla quatre vaisseaux de guerre et plusieurs marchands. M. de Seignelay lui en fit compliment. M. de Seignelay ayant eut un faux avis que la flotte ennemie était rentrée dans ses ports, envoya ordre à M. de Tourville le 28 août de venir désarmer à Brest. Dix jours après, ayant appris que les ennemis étaient sortis des Dunes et rentrés dans la Manche avec 61 vaisseaux, il dépêcha une frégate à MM. d'Amfreville, de Nesmond et Forant qui étaient encore à la mer avec de forts détachemens sur les côtes d'Irlande pour leur en donner avis et leur recommander d'être sur leurs gardes de se tirer d'affaire du mieux qu'ils pourraient et de ramener même les troupes à La Rochelle s'ils croyaient plus de sûreté qu'à Brest. Il y eut dans cette campagne et dans la précédente plusieurs autres expéditions particulières toutes à l'avantage des Français : Le chevalier Dumené prit un vaisseau anglais plus fort que le sien et le fit sauter, ne pouvant le garder. M. Duquesne Mosnier avec 3 frégates attaqua 5 vaisseaux anglais dont deux de guerre et en prit quatre. Le chevalier d'Amblimont attaqua avec 4 frégates cinq vaisseaux hollandais, en coula 2 à fond, fit sauter le 3e et prit le quatrième. Le chevalier de Forbin et M. Jean Bart, avec une frégate et un vaisseau de 24 canons, prirent un gros armateur hollandais qui fut reprit avec eux à la fin de la campagne par deux gros vaisseaux anglais, mais leur résistance fut si belle que le Roi les fit capitaines de vaissaux. Enfin, [c’est] dans ce tems là que le fameux M. Dugué Trouin, armateur de St Malo, commença à se signaler par sa valeur, et à mériter les honneurs où il est parvenu depuis. Et ce fut à la fin de cette campagne que mourut M. de Seignelay et que la marine passa dans les mains de M. de Pontchartrain. |
Armemens
Guerre de Gênes
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La république de Gênes, liée secrètement avec l'Espagne au préjudice des engagemens qu'elle avait avec la France, fournissait [en] sous main aux Espagnols des secours de munitions et les favorisait dans toutes leurs démarches contre la France. Le Roi fut même informé qu'il se tenait publiquement dans Gênes des discours injurieux à l'honneur de sa couronne et qu'on y construisait des galères qui devaient se joindre à celles d'Espagne. Il leur en fit porter plainte par son ambassadeur et leur fit déclarer que s'ils mettaient leurs galères à l'eau, il regarderait cette démarche comme une hostilité. Les Génois passèrent outre, regardant cette défense comme un attentat à leur liberté. |
1684 |
Le Roi résolut de les châtier et M. de Seignelay en confia le projet à M. de Tourville, l'homme de la marine en qui il avait le plus de confiance. Il lui ordonna de se rendre d'abord devant leur ville avec deux vaisseaux pour ne point leur donner d'ombrage et sous prétexte de chercher les corsaires algériens, de faire sonder la rade et de lui envoyer le plan. Il lui marquait que cette entreprise n'était point du goût de M. Duquesne et qu'il devait par conséquent s'attacher à lever toutes les difficultés que ce dernier pourraient faire naître pour l'éluder ou la retarder, le Roy l'ayant fort à cœur. M. de Tourville lui ayant fait quelques objections sur la sûreté du mouillage, il lui marqua qu'il était bien informé, que les vaisseaux pouvaient y mouiller sans peine, qu'il devait vaincre toutes les difficultés, et se mettre au dessus de l'esprit de la marine qui cherchait toujours des raisons pour ne point faire ce qui était résolu. L'escadre n'ayant pu être aussitôt prête qu'il s'en était flatté, il s'en plaignit vivement à M. de Tourville et à M. de Vauvré au nom du Roi qu'il dit être fort mécontent de cette négligence, ajoutant qu'il était de la plus grande importance qu'il mit à la voile et que l'armée navale fut en mer du 10 au 15 avril pour exécuter l'entreprise de Gênes et passer ensuite sur la côte de Catalogne pour une opération qui ne pouvait réussir que dans le mois de juin, à cause des grandes chaleurs de juillet et août. Il lui recommandait le plus grand secret et de disposer toutes choses pour une descente de 3000 hommes en Catalogne. Par l'instruction qu'il envoya à M. de Tourville, commandant l'escadre pour Gênes, il lui prescrivit la conduite qu'il devait tenir pour empêcher cette ville de recevoir aucun secours d'aucune nation, lui donna ordre d'arrêter tous les vaisseaux chargés de marchandises ou de munitions qui se présenteraient pour y entrer, de les envoyer en France avec leurs connaissemens, de forcer tous les vaisseaux neutres à prendre une autre route, et de veiller particulièrement à ce qu'il ne s'y fit aucun transport de troupes espagnoles, de visiter tous les vaisseaux, même anglais, et de les arrêter sans difficulté, de saisir les troupes dont ils seraient chargés, et de leur renvoyer leurs vaisseaux. L'expédition de Gênes eut lieu, toutes les histoires en font mention. M. de Seignelay y fut présent et y fit exécuter sous ses yeux les ordres qu'il avait reçu du Roy en partant. Après le bombardement, M. de Tourville eut ordre de rester devant cette ville et de ne permettre à aucun vaisseau étranger d'y entrer et en cas que les Anglais s'y présentassent de leur remontrer qu'une ville bloquée par des vaisseaux de guerre ne peut avoir aucun commerce avec le dehors, d'employer toutes les voyes de douceur pour les déterminer à se retirer, mais d'user de force pour les y obliger s'ils voulaient passer outre. M. Duquesne eut enfin ordre de paraître devant Gênes avec son armée navale avant que la trêve qui se traitait à Ratisbonne avec l'Espagne fut ratifiée, pour faire voir à toute l'Italie et aux Génois ce qu'ils auraient à attendre de la colère du Roi lorsqu'ils seraient seuls à lui résister puisque la jonction de leurs galères à celles d'Espagne ne l'empêchait pas de les chercher partout pour les combattre. Le Roi avait si fort à cœur la vengeance contre les Génois qu'il ne se borna pas à celle qu'il venait d'en tirer. Il voulut encore leur faire la guerre pendant l'hiver, et M. de Seignelay manda aux intendans d'exciter les particuliers à armer en course contre eux, de leur fournir des vaisseaux avec leurs agrès et les munitions de guerre. Cela produisit l'effet que le Roy désirait. Il y eut beaucoup d'armemens particuliers. On recommanda aux armateurs de naviguer dans la rivière de Gênes où ils pourraient faire le plus de prises et donner le plus d'inquiétude aux Génois. Ils eurent ordre d'arrêter tous les vaisseaux chargés d'effets pour les Génois, excepté les Anglais, et de les conduire à Toulon, mais peu de tems après, le Roy ordonna de saisir et arrêter les Anglais comme les autres. M. de Vanoré eut ordre de faire mettre à la tour de Toulon le consul de Gênes qui résidait à Toulon. Les Génois ayant 3 vaisseaux de guerre qui croisaient à l'entrée du détroit, le Roy envoya ordre à M. de Béthune de tenir la mer les mois de Xbre et janvier pour assurer le retour des vaisseaux de Terre Neuve. Pendant l'hiver de 1684, le pape intercéda auprès du Roy pour les Génois, et sa majesté consentit à leur accorder la paix aux conditions d'envoyer leur doge accompagné de quatre sénateurs lui faire satisfaction, et que le doge, contre la loi de Gênes, conserverait sa dignité et son titre, ce qui fut exécuté le 15 may 1685. |
Armemens
Guerre de Venise
1686 |
Les Vénitiens ayant exercé plusieurs hostilités contre les Français, le Roy ordonna à son ambassadeur d'en porter plainte à la République, et comme elle différait d'en faire la réparation, sa majesté manda à M. de Mortemart d'arrêter tous les vaisseaux vénitiens qu'il rencontrerait sur sa route, mais peu de jours après, sur la réparation promise par le sénat, l'ordre d'arrêter les vaisseaux vénitiens fut révoqué et M. de Mortemart eut celui de les visiter seulement et d'en retirer les Français qui pourraient être dessus. |
Armemens
Guerre des Barbaresques
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M. de Seignelay, suivant son caractère vif et audacieux, pensa d'abord que les Barbaresques devaient être traités avec une extrême hauteur. Il les regardait comme gens de mauvaise foi qui n'étaient fidèles aux traités qu'autant qu'ils croyaient ne pouvoir les rompre impunément (en ce cas il ne se trompait pas), mais il méprisa trop leur forces. Il crut pouvoir les écraser trop facilement, et ne sentit pas assés l'importance de les ménager pour l'intérêt du commerce. Il est bien vrai que leur puissance ne saurait balancer celle de la France. On peut les humilier, mais on ne saurait les détruire. C'est une hydre qui renaît à tous les momens et la meilleure façon d'agir avec eux et de leur faire craindre la guerre et de ne la leur faire qu'à la dernière extrémité. Cette conduite est souvent difficile à tenir et demande beaucoup d'adresse, ces peuples étant les gens du monde qui connaissent le mieux leurs avantages et qui en savent le plus tirer parti. On usait aussi contre eux d'artifices, on cherchait à les diviser et à n'être jamais en guerre avec toutes ces républiques à la fois. Pendant que l'on armait contre une, on ménageait l'autre. M. de Seignelay jugea avec fondement que la meilleure façon de la réduire était d'employer contre eux des vaisseaux aussi légers à la course que les leurs, ce qui est très difficile sur le pied où est la marine de France. Il pensait qu'il fallait en venir avec eux à l'abordage le plus tôt qu'on pourrait au lieu de s'attacher à les canonner de loin, parce que leur milice était fort inférieure à la notre. Il avait soin, quand il proposait quelque capture avec ces Barbaresques, et qu'il se préparait quelque entreprise secrète, d'en prévenir d'avance les consuls et les marchands pour qu'ils missent à couvert leurs personnes et leurs effets. Du reste, il faisait supporter au commerce tant à St Malo qu'à Marseille une partie des frais des armemens qui se faisaient contre eux, et il engageait des particuliers à armer pour leur compte en leur offrant des vaisseaux du Roy gratis et n'exigeant aucune rétribution dans les prises. Il s'obligeait même à prendre pour le compte du Roy les esclaves qu'ils feraient à 350 £ pièce. Le peu de profit qu'il y avait à faire dans cette course n'excita pas beaucoup d'armateurs. Il évitait d'attirer en France des ambassades de ces nations qui y sont fort onéreuses pour les frais et de peu d'utilité pour le commerce. Il ne voulait pas qu'il entrât jamais de canons ny autres munitions de guerre dans les présens qu'on leur faisait au renouvellement des traités ou autres occasions, ni que ces présens se fissent jamais au nom du Roi. Cette défense ne pouvait regarder que des affaires particulières ou des privilèges momentanés car il est d'usage dans toute la Turquie et chez les Barbaresques que les ambassadeurs, consuls et autres gens en place eussent des présens au nom du Roy à leur avènement ou au renouvellement des traités. Il s'engagea à ne plus faire sauver d'esclaves aux rades d'Afrique par des chaloupes des capitaines français, mais il fit déclarer en même tems aux Barbaresques qu'on ne refuserait point dans les vaisseaux du Roi ceux qui s'y sauveraient à la nage. Il tenta de faire venir des chevaux et des perdrix de Barbarie pour le Roy, et d'envoyer des mulets à Constantinople pour en employer le produit en achat d'esclaves et de chevaux. |
Armemens barbaresques
Guerres d’Alger
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Cette nation est une des plus puissantes de la côte d’Afrique et des plus difficiles à réduire parce qu’elle fait le moins de commerce, qu’elle ne vit que de pirateries, qu’elle a plus de vaisseaux à la mer et mieux aguerris et que la ville en est mieux fortifiée que celle des autres nations. Leurs fréquentes infractions aux traités avaient obligé de les bombarder pour la seconde fois en 1683. On les avait forcé de faire venir des envoyés en France pour demander grâce au Roi. Ils débarquèrent à Marseille en 1684, & M. de Vauvré eut ordre de traiter avec eux avec beaucoup de hauteur et de les faire passer à Toulon avant le retour des galères qui étaient alors à la mer pour leur ôter la connaissance des gens de leur nation qui seraient dessus. Une des conditions du dernier traité avec Alger étaient qu’ils rendraient tous les esclaves français qui s’y trouveraient. Pour éluder l’exécution de cet article, ils en avaient envoyé une grande partie à Constantinople. M. de Vauvré fut chargé de leur en faire de vifs reproches et de leur marquer que dans la restitution qu’on devait leur faire d’un certain nombre d’esclaves de leur nation, on en retiendrait autant qu’il y aurait de Français absens. M. de Seignelay marquait à M. de Vauvré que cette restitution ne devait se faire que d’invalides de leur nation, sans comprendre de Tunisiens ni de Tripolitains qu’il fallait garder pour traiter avec ces autres puissances et il le blâmait d’avoir excédé en cela ses pouvoirs. M. d’Amfreville fut chargé de ramener à Alger les envoyés et les esclaves qu’on leur rendait, de remettre au Dey la lettre de M. de Seignelay et de requérir la punition du capitaine d’une barque rencontrée armée dans la rade de Marseille, leur étant défendu par les traités d’approcher de plus [sic] de dix lieux des côtes de France. Il paraît qu’il s’acquitta très bien de la commission et qu’il résista avec fermeté à toutes les nouvelles instances que lui fit le Dey. Le maréchal d’Estrées fut chargé d’aller renouveler les traités avec Alger l’année suivante, sur un projet qu’on lui remit et qui lui permettait de recevoir des esclaves chrétiens de toutes les nations en compensation des conditions qu’il ne pouvait obtenir. En 1686, M. de Seignelay, prévoyant une guerre avec les puissances maritimes de l’Europe qui occuperait alors la marine du Roy, chercha à les ménager, et leur écrivit d’un style moins dur et moins menaçant. Il leur renvoya quelques esclaves qu’ils demandèrent par grâce au delà des conventions. Les Algériens ayant recommencé en 1689 leurs pirateries, on crut inutile de négocier d’avantage avec eux. M. de Mortemart eut ordre de les poursuivre sans les prévenir, et de séparer son escadre en plusieurs croisières, la plus forte au détroit, une autre sur Yoin, une autre sur les caps de St Vincent et de Finisterre, et une quatrième aux isles St Pierre, suivant les avis qu’il aurait de leur marche, mais surtout de tacher de ne commencer les hostilités que par un coup d’éclat. On proposa en même tems à M. d’Amfreville de bloquer Alger. Cette entreprise est difficile, par l’ouverture de la rade et par les vents qui y règnent. Et de couler bas deux flûtes menacées à l’entrée de leur port. L’embarras était de les y conduire à la vue d’une ville en défense et bien munie d’artillerie. On reprit encore le dessein de les bombarder en 1688 pour la 3e fois, et pour ne point donner lieu aux cruautés de la dernière guerre où ils avaient mis des esclaves chrétiens à la bouche du canon, on fit embarquer sur la flotte les principaux turcs qu’on leur avait pris et on les fit menacer de les traiter comme ils faisaient des chrétiens. Le maréchal d’Estrées eut ordre de se rendre devant Alger avec 8 vaisseaux et 8 galères, d’y jeter 11000 bombes, de ruiner leur ville, de pénétrer dans le môle, d’y brûler leurs vaisseaux, d’en faire autant à Suscelles [Cercelle?] et à Bougie, le tout en 15 jours, de se répandre de là dans toutes leurs croisières, et de tacher d’y prendre leurs vaisseaux qui étaient dehors. Il remplit sa commission au mois de juillet, jeta 10000 bombes dans Alger et coula bas 5 vaisseaux dans le port. Il eut ordre ensuite d’envoyer les galères de France au port de Bône pour en brûler trois d’Alger qui s’y étaient retirées et de faire un détachement de vaisseaux pour enlever six corsaires algériens dans le port viel d’Alexandrie. Le Roy avait fait prévenir la cour d’Angleterre de ne point envoyer de vaisseaux anglais à Alger pendant cette expédition parce que l’on serait obligé de s’opposer à leur entrée. Les Algériens ayant souffert le bombardement avec la plus grande opiniâtreté et sans se soumettre, on laissa 10 vaisseaux dans la Méditerranée pour les poursuivre et on les sépara en plusieurs escadres qui occupèrent les différens parages dont on vient de parler. Elles firent plusieurs prises. Les galères furent destinées à garder la côte de Provence. Cette guerre toute avantageuse qu’elle était troublait cependant le commerce et fatiguait beaucoup la marine. Le Roy chercha les moyens de la finir sans se commettre d’autant plus qu’il prévit qu’il aurait bientôt besoin de toutes ses forces contre des puissances plus formidables. On négocia par la voye de Tunis avec qui l’on était en paix alors. |
1689 |
La matière étant disposée, on envoya M. de Tourville à Alger avec une forte escadre, on lui ordonna d’en laisser la plus grande partie au large pour ôter tout ombrage de surprise et de ne paraître devant la ville qu’avec 2 ou 3 vaisseaux, de le faire remarquer au Divan avant de traiter avec lui, et de lui faire valoir ce ménagement pour disposer les esprits à la paix. On se relâcha sur les conditions, on alla même jusqu’à offrir aux Algériens des retraites dans les ports de France en cas de tempête ou de besoin de vivres. On leur permit d’hiverner et de radouber dans les ports de France quand ils feraient la course dans l’océan contre les Anglais, à quoi on les excitait en leur démontrant les avantages et combien il leur serait utile de pouvoir se dispenser par là de revenir chez eux pour se ravitailler. On leur promit que leurs malades seraient reçus dans les hôpitaux, qu’on leur fournirait des munitions aux prix du Roi et qu’on leur rendrait leurs esclaves homme pour homme, ce qui fut exécuté dans la suite au point que n’ayant pu compléter le nombre d’algériens nécessaires pour équivaloir les esclaves français qu’ils avaient pris, on obligea les communautés de Provence de racheter le surplus. Tous ces ménagemens montraient la faiblesse et le besoin qu’on avait de finir la guerre avec eux. Les Algériens, subtils sur leur intérêt, en pénétrèrent les motifs et en profitèrent. Enfin la paix se fit aux conditions ci-dessus et on obtint à peine qu’ils rétabliraient un consul français qu’ils avaient dépossédé pour en établir un autre de leur choix. Il faut toujours en venir là avec ces Barbaresques et pour avoir poussé les choses trop loin, on fut obligé après beaucoup de dépenses d’armement en pure perte, après un grand préjudice porté au commerce, de rechercher la paix par des démarches plus contraires à la gloire et à l’intérêt de la nation que celles que l’on eut pu employer d’abord. |
Armemens barbaresques
Guerres de Tunis
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Cette nation est plus aisée à réduire que celle d’Alger, parce qu’elle a moins de force, qu’elle fait plus de commerce et donne par là plus de prises contre elle à la mer. Les Tunisiens avaient fait cependant quelques pirateries dont on envoya M. d’Estrées leur demander raison en 1685 et on lui remit un mémoire des conditions auxquelles le Roy voulait bien leur accorder la paix. La crainte d’être bombardés leur fit impression. Ils se soumirent à tout ce qu’on voulait, restituèrent tous les esclaves français qu’ils avaient pris, et payèrent une partie des frais de l’armement. Ils accordèrent aussi les privilèges qu’on leur demandait pour la traite des bleds, et pour la pêche du corail au Cap Nègre à l’exclusion des autres nations. Ils firent encore quelques infractions dans la suite, mais les circonstances du tems obligèrent à les dissimuler. Il faut convenir que l’on jouait aussi d’adresse avec eux et que l’on y était guerre de meilleure foi qu’ils l’étaient avec nous car s’étant plaint que malgré les traités de paix nos armateurs prenaient le pavillon des autres puissances pour courir sur eux, on les payait d’assés mauvaises raisons en leur disant qu’on ne pouvait empêcher des armateurs français de prendre commission des princes étrangers et que cela n’était point compris dans les traités. On parlait un autre langage à Salé en même tems dans des circonstances pareilles. |
Armemens barbaresques
Guerres de Tripoli
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Les Tripolitains sont la plus faible de toutes ces nations et celle qui donne aussi le plus beau jeu au châtiment, leur ville étant disposée très favorablement pour être bombardée. On les choisit en 1685 pour en faire un exemple sur tous les Barbaresques. Ils avaient commis beaucoup de pirateries. On envoya contre eux le maréchal d’Estrées avec ordre d’exiger des conditions fort dures et presque impossibles, telle que la restitution des pillages, sinon de les bombarder et de brûler la ville. N’ayant pu y satisfaire, on les bombarda pendant trois nuits, on brûla leur ville et on leur causa beaucoup de dommages dont la fin fut l’obligation où on les mit de restituer tous les esclaves français qu’ils avaient pris et payer 500.000 £ pour dédommagement de leurs pillages. Ils en acquittèrent 50 mille écus le lendemain du bombardement et le reste quelques tems après. |
1687 |
Les guerres maritimes que la France eut à soutenir les années suivantes furent cause qu’on dissimula les petites infractions qu’ils firent dans la suite et qui sont inévitables par la constitution de ces nations. |
Armemens barbaresques
Guerres de Salé
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Les Saltins sont une puissance à part, plus incommode pour l’Espagne que pour la France parce qu’ils sont plus voisins de ses côtes. Ils ont de petits bâtimens fort légers et fort bons voiliers que l’on ne peut atteindre et avec lesquels ils désolent le commerce de leurs voisins. Ils sont pirates nés, en guerre perpétuelle avec presque toutes les nations. Ils ne laissent pas de faire quelque commerce et ils ont cela de particuliers qu’on peut assés librement aller dans leur pays et commercer avec eux dans l’intérieur. Ils n’insultent personne dans leur port, mais à une certaine distance et au delà de ce qu’ils appellent la barre de Salé, ils ne connaissent personne et prennent également amis et ennemis. Ils sont sous la domination du Roi de Maroc à qui l’on doit s’adresser pour ce que l’on a à traiter avec eux. Un sujet du Roi de Maroc étant venu en France en 1685 à titre d’envoyé et sans caractère, on ne voulut point le recevoir et M. de Vauvré eut ordre de le renvoyer et de le charger de dire à son maître que s’il ne contenait ses corsaires, non seulement en les empêchant de courir avec son pavillon sur les Français, mais même de prendre pour cela des commissions des autres Barbaresques, le Roi enverrait une forte escadre sur ses côtes pour prendre tous les bâtimens qu’on trouverait de sa nation et qu’il prendrait pour contravention aux traités le refus que l’on ferait chez eux du rachat de tous les esclaves français à cent écus par homme. Ces menaces étaient difficiles à mettre à exécution. Au reste ce reproche sur les commissions masquées était de même nature que celui que nous faisaient les Tunisiens dans le même tems et où l’on n’eut aucun égard. Les Saltins continuant leurs pirateries, le Roi en 1686 donna ordre au maréchal d’Estrées qui était alors devant Cadix, d’envoyer une frégate au Roi de Maroc pour lui en demander raison et de le menacer qu’il irait avec toute l’armée devant Tanger pour se la faire faire. Il fut proposé en 1687 de rompre tout commerce avec cette nation qui subsistait encore malgré la guerre, espérant que cela [les] contiendrait plus que tout autre moyen. M. de Mortemart eut le même ordre cette année que le maréchal d’Estrées avait eu l’année précédente, de demander raison au Roi de Maroc des pillages de ses corsaires et en cas de refus de diviser son escadre pour les attaquer dans tous leurs parages et de tenter même une descente sur leurs côtes, de brûler leurs vaisseaux et d’y faire le plus d’esclaves qu’il pourrait. |
1688 |
Tout cet appareil n’eut aucun effet et les circonstances étant pressantes pour faire la paix, on fut heureux d’écouter la proposition du Roi de Maroc, faite par un esclave français qu’il envoya en France pour offrir un échange d’esclaves. On donna ordre à M. de Châteaurenault d’aller à Maroc pour conclure la paix et de faire traiter avec ce prince pour la restitution des esclaves français sur le pied d’homme pour homme ou de 300 £ pour le rachat du surplus, s’il ne pouvait faire mieux. On donna ordre en même tems aux consuls dans tous les ports d’Espagne d’acheter tous les esclaves qu’ils pourraient trouver sujets de Maroc pour compléter l’échange, et on fit passer des pères de la merci à Salé sur un vaisseau de guerre pour y traiter du rachat. C’était descendre bien bas après avoir pris un ton si haut. |
Armemens
Guerres d’Amérique
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En 1684, les Iroquois ayant déclaré la guerre à la colonie française de Canada, le Roy y envoya en diligence de Rochefort un secours de 150 soldats avec leurs officiers et leur fit entendre qu’ils n’étaient point destinés pour y rester, dans la crainte qu’ils ne désertassent. En 1685, ayant eu avis que des forbans troublaient la pêche de Terre Neuve et avaient pillé quelques vaisseaux, le Roi fit assurer les marchands qu’il protégerait leur commerce et ordonna à l’intendant de Rochefort d’examiner avec eux s’il était nécessaire d’envoyer des frégates sur le grand banc, mais de prendre garde en même tems de céder trop facilement au désir qu’avaient les marchands de voir toujours des vaisseaux du Roi à la mer pour les garder, même sans nécessité. La même année les Espagnols ayant commis quelques actes d’hostilité à la côte de St Domingue, M. de Seignelay ordonna au gouverneur de cette isle de rassembler sous quelque prétexte 1000 ou 1200 flibustiers comme de son chef et de faire tenter une entreprise sur eux. Il ne paraît pas que ce dessein ait été exécuté pour lors. Il envoya dans la même année un vaisseau aux isles avec ordre au capitaine d’y faciliter le commerce, d’y suivre les ordres du commandant des isles, d’empêcher le commerce étranger sous quelque prétexte que ce fut, et de chercher à se rendre maître des forbans anglais flibustiers et autres corsaires qui étaient dans ces parages, et de les remettre lorsqu’ils les auraient pris, entre les mains des juges des isles pour leur faire leur procès. En 1686, quoiqu’on ne fut pas en guerre avec l’Angleterre et qu’on y traitât même une neutralité pour les pays de l’Amérique en cas de rupture entre ces deux puissances, les Français s’emparèrent des forts anglais dans la baye de Hudson. M. de Seignelay en donna avis aussitôt à l’ambassadeur de France à Londres pour hâter le traité avant que les Anglais fussent informés de cette nouvelle et lui marqua, s’ils s’en plaignaient, de leur faire connaître l’injuste usurpation qu’ils en avaient fait en 1683 et que le Roy était prêt à s’en rapporter à ce que les commissaires nommés de part et d’autre régleraient. Peu de jours après, on reçut la nouvelle qu’un vaisseau de guerre anglais s’était emparé de l’isle de Ste Alousie [Sainte Lucie]. M. du Barillon, ambassadeur de France en Angleterre eut ordre de s’en plaindre et de représenter que la propriété de cette isle était incontestablement acquise aux Français et que le Roy ne doutait pas que ce ne fut sans l’ordre de sa majesté britannique qu’on eut commis cet acte d’hostilité, d’insister pour que les choses fussent remises au même état où elles étaient avant l’entreprise, et pour qu’il fut nommé ensuite des commissaires des deux nations pour régler leurs droits. En 1688, le Roi fit armer un vaisseau pour protéger le commerce de la Compagnie du Sénégal et pour prendre les interlopes sur la côte avec ordre d’escorter les vaisseaux de la Compagnie sous 60 lieues au delà des Canaries, d’aller de là au cap Blanc et à Porto Rico, d’arrêter tous les navires qu’il trouverait sans commission de la Compagnie de quelque nation qu’ils fussent et de ne laisser descendre personne à terre, de se rendre ensuite au Sénégal, et de là à Gorée et à Gambie, de concert avec les commandans des places et les directeurs de la Compagnie pour y faire le bien de son commerce. La guerre étant déclarée en 1689 à la Hollande, l’Espagne et l’Angleterre, le Chevalier d’Arbouville fut envoyé avec une escadre pour courir les isles de l’Amérique. Il eut ordre de ne pas quitter ces mers jusqu‘à la saison des ouragans auquel tems il se retirerait à la Martinique où il serait à portée de secourir les isles qui pourraient avoir besoin de son escadre. Le Roy fit aussi armer trois vaisseaux pour escorter les vaisseaux du Canada jusqu’aux rades de La Rochelle. |
Armemens
Armemens des Indes orientales
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Le Roi de Siam avait envoyé pour la seconde fois en 1684 des ambassadeurs au Roy, lui offrir un traité de commerce et des établissemens dans ses états. Comme on s’était formé une idée de ce pays bien différente de ce qu’il était en effet, on saisit avec ardeur l’offre de ce prince. On y envoya le chevalier Chaumont avec une instruction fort étendue sur la conduite qu’il devait tenir pour y former des établissemens utiles et pour engager un commerce avec la Chine & le Japon. On lui recommanda d’éviter tout démêlé dans sa navigation pour le salut, de n’en rendre ni d’en demander à aucun vaisseau. On ajouta qu’on ne doutait pas qu’il ne fut salué le premier par les places du Roi de Siam, mais en cas que cela ne fut pas, on le laissa le maître de prendre le parti le plus convenable au service de sa majesté. Il partit au commencement de 1685 et revint en France l’année suivante avec de nouveaux ambassadeurs chargés de présens et de promesses. L’illusion n’était point dissipée. On se flatta qu’un traité avec cette puissance ne pouvait que procurer de grands avantages au commerce. On fit partir M. Duquesne Guitton, malgré sa répugnance pour y aller. On leva toutes les difficultés qu’il opposait à ce voyage, on lui recommanda de partir au commencement d’avril pour arriver dans la bonne saison et de relâcher au Brésil en cas qu’il fut arrêté par les calmes de la ligne, de gagner la baye de tous les Saints et d’éviter Pernambouc. Il ne paraît pas que M. Duquesne ait été aussitôt prêt qu’on le lui avait ordonné. L’armement qu’il devait commander était composé de six vaisseaux chargés de troupes, une partie pour le Roi de Siam, et l’autre pour mettre la France en état de se maintenir dans les postes que le prince lui aurait donné, mais la nouvelle que M. de Seignelay reçut de la révolution arrivée à Siam en 1688 renversa tous les projets d’établissement pour l’avenir et détruisit même ceux qui étaient déjà commencés. Le Roi de Siam était mort. Un des grands du pays s’était emparé du trône et avait fait mourir M. Constance, Premier ministre du feu Roi et le seul qui eut attiré les Français dans ce pays là. Les jésuites qui avaient saisi cette occasion pour établir la religion chrétienne y perdirent de plus des avantages considérables du commerce qu’ils devaient y établir. Le père Tachard connu par son zèle pour la foi et par ses talens pour les affaires politiques, était à la tête de la mission. Il ne tint pas à ce religieux de renouer la partie quelques tems après. |
Artillerie
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L’artillerie de la marine était encore asses imparfaite dans les commencemens du ministère de M. de Seignelay. Il en fit cependant un grand usage, surtout des bombes, tant à Gênes qu’à Alger, et ce fut cet exercice fréquent qui contribua le plus à la former. Il continua l’établissement des écoles commencé par M. Colbert. Il faisait faire de fréquens exercices dans les rades et recommandait aux officiers et aux commandans même d’y être assidus, de dresser des projets d’exercices avec l’intendant, et pour user d’économie, de ne charger les bombes d’exercice que de terre pour qu’elles puissent resservir, et de ne tirer qu’à de petites distances pour consommer moins de poudre. On en use de même aujourd’hui, mais il faut convenir que l’instruction en est moins complète. On se plaignait dès lors de la qualité des poudres qui n’a jamais été aussi parfaite en France que chez l’étranger, et l’on défendait d’employer de la chaux dans le raffinage. On agitait aussi si celle de menus grains n’aurait pas plus de force que celle à gros grains, mais si d’un autre côté elle ne prendrait point plus d’humidité dans les vaisseaux. L’ambassadeur de Constantinople fut chargé d’obtenir du grand seigneur la permission de tirer des salpêtres d’Egypte où ils sont abondans. On préférait dans ce tems là les mousquets aux fusils, comme moins sujets à se rouiller et à se déranger à la mer. On est revenu de cette idée. On commença en 1684 à charger les canons avec des chaînes en place de boulets pour couper les cordages et désemparer les vaisseaux que l’on voulait aborder et le Roy ordonne d’en embarquer. On fait de cette manœuvre que quand on était fort prés de l’ennemi. On en a peu usé dans ces derniers tems. M. de Seignelay préférait pour les canons de fer ceux de St Gervais à tout autre et pour les fusils à arme blanche, celles de la manufacture d’Angoulême. Il préférait aussi les canons de fer à ceux de fonte qui étaient plus légers et qui se tourmentaient plus sur leurs affûts. Ceux de fonte ont tant d’autres avantages, entre autre celui de crever plus difficilement et de moins charger le haut des vaisseaux qui sont l’économie de la matière. Il n’y aurait pas à hésiter de les préférer. Il fit accorder des lettres de noblesse à un excellent fabriquant d’Angoumois à conditions de faire au moins 1000 fusils par mois. |
Cartes et plans
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M. de Seignelay exécuta le dessein que M. Colbert avait formé de faire lever des plans de tous les ports, côtes et rades, où les vaisseaux pouvaient aborder, et principalement de toutes les côtes de la Méditerranée et de celles d’Espagne. Il fit embarquer pour cet effet sur des bâtimens destinés à cet emploi les meilleurs ingénieurs des ports. Il faisait charger des marchandises sur ces bâtimens afin que sous le prétexte du commerce ils pussent librement longer les côtes et faire leurs opérations dans les ports où ils seraient obligés de relâcher sans donner aucun soupçon de leur dessein. |
Chiourmes
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Les galères furent augmentées sous le ministère de M. de Seignelay du nombre de 22 à 32. Et pour augmenter les chiourmes à proportion, on envoya des vaisseaux dans l’archipel sous pavillon de Venise pour faire des prises sur les Turcs, et l’on s’entendit avec les consuls pour en faire acheter. Ils étaient devenus d’autant plus nécessaires que la paix que l’on fit dans ce tems là avec Alger obligea d’en restituer plusieurs. On en faisait aussi acheter en Hongrie que l’on faisait conduire à Trieste et que l’on faisait embarquer sur des vaisseaux sans dire leur destination pour ne se point brouiller avec la cour ottomane. Cette manœuvre ne blessait-elle pas un peu la foi des traités. M. de Seignelay y était peu scrupuleux avec les Turcs. On pensait dès ce tems là à employer les chiourmes aux travaux de l’arsenal et les entrepreneurs des bâtimens en demandèrent jusqu’à 1500 qu’on leur refusa en totalité attendu le risque des entreprises qu’ils pourraient former pour s’évader. On pouvait prendre un milieu entre 1500 et rien, et en employer la moitié utilement en les faisant bien garder par des troupes. C’était même un moyen convenable d’épargner de la dépense au Roy et de faire gagner la chiourme, ce qui tourne encore au profit du Roy en bien des manières. On faisait encore passer en France les prisonniers faits sur les sauvages en Canada dont on recrutait également les chiourmes. M. de Seignelay refusa la proposition qu’on lui faisait d’augmenter les mariniers de rame sur les galères et préférait de beaucoup l’augmentation des Turcs. Cette proposition d’augmenter les mariniers de rame a été souvent renouvelée sous prétexte de l’avantage des galères, mais réellement pour celui des capitaines qui voulaient avoir un plus grand nombre d’hommes entretenus et à leurs ordres hors le tems de campagne. L’expérience a prouvé que cette dépense onéreuse au Roy était presque en pure perte pour le service. Celui des mariniers de rame pouvant être facilement remplacé par des matelots et ces premiers étant si peu propres à la vogue qui devait être leur principal objet qu’on n’en put tirer aucun parti sur le Rhin ni sur le lac de Garde où ils furent envoyés dans la dernière guerre d’Italie en 1744 et que l’on fut obligé d’y substituer des matelots. |
Classes et bas officiers
ou officiers mariniers et matelots
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M. de Seignelay soutint autant qu’il put l’établissement des classes formé par M. Colbert. Il fit comprendre dans les rôles tous les jeunes gens de 20 ans et au dessus qui avaient servi deux ou trois ans sur mer. Il fit faire un rôle séparé des maîtres de navire, mais il obligea tous ceux qui avaient un équipage de 10 hommes, de prendre sur leur bord un garçon de 15 ans et au dessous pour l’instruire et un plus grand nombre proportionnellement pour ceux qui auraient des équipages plus forts. Il fit choisir dans les matelots les jeunes gens les plus propres à être charpentiers et calfats et les fit servir de journaliers sous les maîtres dans l’arsenal pour apprendre leur métier, les faisant payer à proportion de leur travail et de la capacité qu’ils acquerraient. Quant aux pilotins, il les faisait choisir parmi les canonniers et avait soin également de leur faire apprendre l’art de la navigation. Il recommandait que dans les revues des matelots on ne mit point les rendez-vous trop loin pour ne pas les détourner et fatiguer inutilement. Il faisait donner de l’argent aux veuves et aux enfans des matelots morts au service et tachait d’animer la profession par toutes sortes de bons traitemens. Mais il ne souffrait pas que les matelots de la classe de service en substituassent d’autres à leur place pour les campagnes où ils étaient nommés, ni qu’ils servissent dans cette année là pour les marchands sans permission. Il défendait aussi d’employer pour officiers mariniers ceux qui n’avaient pas subi l’examen. Il s’était détaché de l’idée d’établir l’ordre des classes à Dunkerque, à St Jean de Luz, Libourne et en Béarn et ne voulut point forcer la résistance qu’il y trouva. Il blâma très vivement un commissaire de St Malo de ne pouvoir remplir à la fois le service du Roi et celui des armateurs sans déranger l’ordre des classes. Ces reproches vagues semblent mal fondés. Que pouvait faire un commissaire si l’étoffe manquait dans les deux classes. C’est de quoi il fallait se faire rendre compte et lui fournir ensuite des expédiens pour y remédier. Il recommandait aux consuls d’envoyer une liste de tous les matelots français qui s’arrêteraient dans leurs Echelles ou qui y résideraient, et de les engager par toutes sortes de voyes à repasser en France, en leur en facilitant les moyens, rien n’étant si important que d’empêcher qu’ils ne prissent parti avec les étrangers. Il s’était formé une sédition à Marseille par des matelots qui, fatigués de la mer ou n’étant pas achevé de payer de leur solde d’une première campagne, refusaient de s’embarquer pour une seconde. Le service était pressant, M. de Seignelay proposa à l’intendant de les ramener si l’on pouvait par voye d’autorité et en leur faisant subir quelques punitions pour l’exemple, mais que si l’on ne pouvait y parvenir par la rigueur, on leur fit donner trois mois d’avance quoique cette indulgence fut contraire au service mais que les circonstances l’exigeaient. Ordonnance portant que les commissaires de la marine ayant soin des classes visiteront les vaisseaux marchands pour connaître s’il n’y a point de matelots de la classe de service. Ordonnance qui défend à tous maître de vaisseaux marchands de recevoir aucuns passagers engagés qu’ils n’ayent auparavant donné leurs noms au commissaire ou commis aux classes du département. |
Colonies
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Les principales discussions que la France a eu pour obtenir l’établissement des colonies en Amérique ont été avec les Anglais. Elles se traitaient souvent en Angleterre avec des commissaires français. MM. de Barillon et de Bonrepaux y étaient en 1686 et sa majesté approuva qu’ils ne parlassent point de la Dominique dans le traité qu’ils devaient conclure, et qu’on n’y insérât aucun terme qui put servir à autoriser les prétentions que les Anglais pouvaient avoir sur cette isle qui avait toujours été censée de l’obéissance de sa majesté. En 1687 les commissaires reçurent une instruction pour régler en Angleterre les principaux points qui regardaient l’invasion de l’isle de Ste Alousie [Sainte Lucie], l’affaire de la baye d’Hudson, les limites de l’Acadie que les Anglais cherchaient à étendre, et l’échange à faire de quelques isles françaises sous le vent avec la partie anglaise de celle de St Christophe. Le gouverneur de la Barbade avait envoyé en 1686 un vaisseau de guerre anglais qui s’était emparé de l’isle de Ste Alousie [Sainte Lucie]. Ils avaient ordre d’insister sur la restitution, la propriété en étant prouvée à la France, et les Anglais (après l’avoir prise en 1684) l’ayant déjà restituée par le traité de Breda suivant le 12e art. qui porte que les Anglais restitueront tous les pays et forteresses, isles et colonies en quelques parties du monde qu’ils fussent situés. Ils avaient ordre d’insister pour le rétablissement de la compagnie formée de la baye d’Hudson, qui avait été chassée par les Anglais de cette baye et du fort Nelson, de faire voir les actes d’hostilité que les Anglais y avaient commis les premiers et les efforts qu’ils avaient fait pour détruire le commerce des pelleteries des Français, un des plus considérable du Canada, et de demander la propriété entière de toutes les terres, côtes, rivières et ports de la dite baye du Nord, pouvant établir leurs droits sur la prise de possession en 1524 et par le récit de différens auteurs. Que si les Anglais s’obstinaient absolument à garder quelques établissemens dans cette baye, de leur offrir en ce cas la restitution des trois forts que les Français avaient pris en représailles de celui de Nelson et en échange de ce fort. Comme les Anglais n’avaient pas les mêmes avantages dans la Nouvelle Angleterre qu’ils trouvaient dans l’Acadie, ils conservaient toujours le dessein de s’en rendre entièrement les maîtres et voulaient en étendre les limites jusqu’à la rivière de St George et s’emparer peu à peu de la côte orientale de l’isle de Terre Neuve pour tâcher d’aller jusqu’à l’embouchure du fleuve St Laurent. Il était ordonné aux commissaires de faire à ce sujet de vives représentations, et de faire leur possible pour convenir de ses limites. La partie de l’isle St Christophe occupée par les Anglais étant à la bienséance des Français tant pour le repos et l’avantage de ceux qui habitaient la partie française que pour la sûreté des isles françaises et principalement de la Martinique et de la Guadeloupe, il leur était recommandé de faire leur possible pour déterminer les Anglais à un échange et de leur offrir l’isle de Ste Croix, la moins utile aux Français et la plus commode aux Anglais par sa situation. Sur le trouble qu’un capitaine anglais voulait causer aux Français dans la possession de l’isle de la Dominique en voulant l’assujettir à l’Angleterre, il leur est recommandé de représenter le traité fait en 1660 et par lequel il est convenu par les Anglais et les Français de laisser aux Caraïbes les isles de St Vincent et de la Dominique, avec promesse de ne s’y point habituer. Que si quelques puissances y avaient quelque droit, ce serait assurément la France qui l’avait achetée en 1635 de la Compagnie d’Occident. M. de Seignelay mande à M. de Bonrepaux que l’isle de Tabago, ayant été prise par le maréchal d’Estrées sur les Hollandais, et la restitution n’en ayant point été stipulée par le traité de Nimègue, elle appartient à la France et qu’il peut l’offrir aux Anglais en échange de la partie anglaise de St Christophe, ce qui leur serait d’une grande utilité par sa proximité. Sur l’avis que les Hollandais faisaient un armement pour aller reprendre possession de Tabago, le Roy leur fait déclarer qu’il regardera cette entreprise comme une contravention formelle au traité de Nimègue, et qu’il s’y opposera de toutes ses forces. Sa majesté fit porter plainte au Roy d’Angleterre contre un commandant anglais qui soutenait les Iroquois et leur fournissait des armes et des munitions pour faire la guerre aux Français, ce qui pouvait occasionner des voyes de fait de la part des Anglais et des Français (le Roi d’Angleterre révoque ce commandant). M. de Seignelay voulant peupler Cayenne, permit le commerce aux soldats et leur fit donner une année de solde et de farine pour les engager à se faire habitans. |
Commerce
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M. de Seignelay quoique porté à favoriser le commerce n’en faisait pas son capital comme M. Colbert, moins touché de l’opulence de la nation que de la grandeur du Roi. Il cherchait plus à faire briller la marine par des armemens en guerre qu’à la rendre utile à l’état par la protection qu’elle pouvait donner au commerce. Il ne laissa pas d’en sentir les avantages et d’y donner une partie de ses soins. Il avait chargé M. de Merci, commissaire départi pour les villes maritimes, de visiter toutes les manufactures du royaume, d’y établir un bon ordre, et de les encourager par des récompenses. Il prit les mêmes mesures pour l’établissement du commerce de France en Portugal, et donna en conséquence d’amples instructions à M. le vidame d’Esneval, ambassadeur extraordinaire, en lui recommandant de se servir de la teneur des traités pour maintenir les Français dans la jouissance des mêmes privilèges dont les autres nations jouissaient en Portugal et dans la possession où ils étaient d’envoyer au Brésil des vaisseaux hors de flotte à l’exclusion des Anglais et des Hollandais. La plus grande affaire de commerce qu’il y ait eu en Espagne sous le ministère de M. de Seignelay est celle de l’indult. En général on sait que l’Espagne a toujours voulu interdire à toutes les nations, surtout aux Français, le commerce des Indes occidentales et que malgré ces défenses elles l’ont toujours fait sous le nom des Espagnols même dont on ne peut trop louer la fidélité à cet égard. La cour d’Espagne ne l’ignorait pas et ne pouvait ni ne voulait pas même l’empêcher totalement parce que ce commerce lui était utile d’ailleurs pour fournir ses colonies des marchandises qui lui manquaient, mais sous prétexte des défenses générales, elle légendit autant qu’elle pouvait pour en tirer un plus grand parti de l’étranger et dans cette vue elle fit séquestrer en 1683 tous les effets de la flotte de retour des Indes, sous prétexte qu’il y avait des marchandises appartenant aux étrangers. On publia des monitoires pour les découvrir. Ils ne produisirent rien. Enfin, la chambre du commerce d’Espagne accommoda l’affaire avec la cour moyennant 1.500.000 £ qu’elle donna au Roi d’Espagne et dont elle se remboursa sur le champ par une répartition générale sur tous les effets de la flotte. C’était tout ce que la cour voulait, mais la chambre, non contente de ce 1er remboursement, employa l’autorité du Roi pour en obtenir un second de la même somme et même d’une plus forte, sur les marchands espagnols soupçonnés d’être au Mexique les commissionnaires des Français, ce qui était non seulement une injustice en soi, mais qui portait un préjudice considérable au commerce de France. La cour de France s’y opposa d’abord par les raisons de droit et d’équité qu’elle fit exposer par ses ambassadeurs et ses ministres. Ensuite, n’ayant pu rien gagner par cette voye, elle y employa la force, fit armer des escadres, les envoya devant Cadix, se mit en devoir de la bombarder et d’enlever les galions jusqu’à ce que la cour d’Espagne, poussée à l’extrémité, s’engagea de rendre justice aux Français et de se désister de ce second indult moyennant une légère somme dont les marchands français traitèrent avec la chambre de Séville, et dont le Roy ne voulut prendre aucune connaissance. M. de Seignelay voulant s’informer à fond de la nature du commerce d’Espagne aux Indes occidentales, envoya M. Patoulet, commandant général à St Malo et à Cadix, et lui donna une instruction fort étendue pour se mettre au fait de tout ce qui regardait ce commerce, tant en Amérique qu’en Europe. Il donna aussi une autre instruction sur le même sujet à M. de Rébénac, ambassadeur de France en Espagne. Ces deux instructions sont très bien dressées et méritent d’être lues, surtout la dernière qui donne une idée très nette du commerce que les Français peuvent faire en Espagne, et de la manière dont ils doivent s’y conduire. M. de Seignelay fit aussi insister beaucoup en Espagne pour y maintenir le commerce des colporteurs français à quoi le ministère d’Espagne s’opposait. Mais lorsque des marchands français s’engageaient dans quelques mauvaises affaires ou étaient surpris dans des contraventions aux ordonnances d’Espagne, loin de les soutenir, il mandait qu’on les abandonna à la justice du pays pour ne point décréditer la protection de la France. Le Roi permettait pendant la guerre le transport des grains de France en Espagne pour empêcher les Anglais de s’emparer de ce commerce à notre préjudice. Il aurait bien voulu pouvoir empêcher que les marchands français ne se servissent du pavillon anglais et hollandais pour faire ce commerce et celui des vins et eaux de vie par l’inconvénient où cela les jetait de prendre une partie de leurs équipages chez l’étranger, mais plutôt que d’abandonner ce commerce, il dissimulait et tolérait l’abus du pavillon étranger sans le permettre ni défendre. Le Roy fit assurer les Malouins d’une vive protection pour leur commerce à Cadix et leur promit de le faire soutenir par de fortes escadres, en quoi il leur tint paroles. Mais il se bornait à donner une protection générale aux commerçans et ne cherchait point à pénétrer trop curieusement dans l’intérieur de leurs affaires ni à exiger des déclarations de leur chargement et de leur retour sur les galions, ce qu’il ne jugeait propre qu’à perdre le commerce et à inquiéter les négocians. Il leur fit proposer seulement d’établir un juge conservateur de leurs privilèges à Cadix, ce qui ne pouvait que leur être avantageux, et à quoi cependant plusieurs négocians s’opposèrent dans la crainte d’en être gênés. M. de Seignelay proposa aux Malouins le commerce du papier en Espagne qui était auparavant abandonné aux Génois et qui a pris depuis beaucoup de faveur en France. Il les excitait à chercher an cas de rupture avec l’Espagne un moyen pour faire un commerce direct avec l’Amérique espagnole et promettait des lettres de noblesse à celui qui réussirait dans ce projet. Il défendit aux vaisseaux marchands français de souffrir en rade la visite des officiers de justice espagnols qui y viendraient pour arrêter des criminels de leur nation qui s’y seraient réfugiés, le tout pour ne point donner atteinte aux privilèges du pavillon français. Il avait fait donner une commission de France à une compagnie d’Anglais qui se proposèrent pour aller pêcher à la mer du sud les effets des galions naufragés, mais ayant reconnu depuis que ces Anglais se servaient de ce prétexte pour couvrir un commerce qu’ils voulaient faire directement avec les Espagnols au Mexique, il la révoqua. |
Commerce
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M. de Seignelay envoya M. de Bonrepaux en Angleterre avec une instruction fort détaillée pour prendre connaissance de tout ce qui regardait la marine et le commerce des Anglais, tant en Europe qu’en Levant et dans les colonies de l’Amérique. Cette instruction mérite d’être lue dans l’original et peut servire de modèle en pareil cas. Il fit dresser un très bon mémoire sur les moyens de rendre le commerce égal entre les deux nations. Les Anglais ayant surchargé de droit les denrées et les marchandises de France qui venaient en Angleterre, le Roy les fit menacer par son ambassadeur d’en user de même pour celles d’Angleterre qui viendraient en France, ce qui leur serait d’autant plus préjudiciable qu’ils ne pouvaient pas plus se passer de nos denrées comme vins, eaux de vie, que nous des leurs. Il admit en tems de guerre la proposition du commerce du plomb et du charbon de terre d’Angleterre, à condition de rapporter des marchandises de France en échange et surtout des vins de Bordeaux, et il faisait expédier en conséquence des passeports aux marchands anglais. Mais il rejeta celle de laisser venir les Anglais en France racheter les vaisseaux pris sur eux comme contraire à la déclaration de guerre et préjudiciable à l’état. Il consentit à l’établissement d’un consul irlandais à Nantes, à condition qu’il soutiendrait le commerce des laines favorable aux deux nations, et que l’égalité des droits serait observée de part et d’autre. |
Commerce
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Les Hollandais ont toujours été une des nations la plus habile, et par conséquent la plus enviée dans l’art du commerce. Elle avait obtenu à la paix de Nimègue un traité de commerce très avantageux pour elle avec la France. Comme les Hollandais faisaient de fréquentes infractions à quelques articles de ce traité, M. de Seignelay manda au comte d’Avaux, plénipotentiaire, que loin de s’y opposer, il fallait les laisser agir pour donner un droit de représailles à la France et pour en tirer l’avantage d’annuler un traité qui lui était onéreux. Les Hollandais voulant obliger les capitaines marchands français à payer les salaires des matelots hollandais qui quittaient le navire après leur engagement, M. de Seignelay mande au comte d’Avaux de s’y opposer vivement. En cas de refus, de les menacer de faire arrêter tous les capitaines hollandais qui seraient dans les ports de France. Il se plaignait avec raison à M. le comte d’Avaux, plénipotentiaire à La Haye, de l’établissement des manufactures de France en Hollande, et lui proposait comme un des plus grands services qu’il put rendre au Roy d’engager par toute sorte de voyes les ouvriers français à repasser en France. Mais il ne lui disait pas (quoiqu’il le sentit bien) que cette désertion d’ouvriers de France, et cet établissement de manufactures en Hollande furent la suite de la guerre qu’on fit aux protestans. Il lui envoya (à M. le comte d’Avaux) un arrêt qui permettait aux étrangers de toute qualité et religion d’entrer et de sortir du royaume avec leurs effets, et lui manda de le rendre public. Il était trop tard, le coup était porté. Il voulut établir un consul français à Rotterdam malgré l’opposition des bourgmestres et les fit menacer, s’ils s’y opposaient, de supprimer les privilèges des consuls hollandais en France. Il refusa aux Hollandais la permission de faire un établissement à Tabago, 1er pour ne point nuire à celui que les Français pourraient faire, 2em pour ne leur point accorder la neutralité qu’ils demandaient en cas de guerre et qui attirerait à eux le commerce de toutes les autres nations. |
Commerce
1687 |
M. de Seignelay regardait le fret des bâtimens français comme une partie essentielle du commerce, et pour éviter que les négocians de la Flandre française ne fissent passer leurs marchandises à Cadix par la voye d’Ostende, il établit des commerçans à Dunkerque à qui il faisait prêter dans les commencemens des vaisseaux du Roy pour les engager par le profit qu’ils trouveraient dans le commerce à construire des vaisseaux qui leur appartinssent et à le faire eux même. |
Commerce
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En 1690, le Roy ne voulant plus laisser jouir les Hambourgeois de la neutralité qu’il leur avait accordée, et dont ils abusaient pour favoriser le commerce de ses ennemis, fit arrêter tous leurs vaisseaux qui se trouvaient dans les ports de France. |
Commerce
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Le Roi en faveur du commerce des isles françaises de l’Amérique, accorda aux négocians français la permission de le faire en tout tems, sans les contraindre sur le tems de leur retour. Il défendit le transport des sucres des isles françaises à Porto Rico ou à Curaçao, le regardant comme préjudiciable au commerce de France et voulant que toutes les marchandises des isles fussent apportées directement en France. M. de Seignelay voulut établir une manufacture de vers à soie en Amérique et y faire passer de la graine de ver à soie et de mûriers blancs. Il voulut aussi y établir des ruches pour y faire du miel et de la cire. Ces établissemens qui auraient été d’un grand secours à la France, n’ont pas été suivis ou n’ont pas réussi.
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Commerce
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M. de Seignelay approuva la proposition du père Tachard, jésuite, de passer à Siam sous divers prétextes pour y ménager les intérêts de la religion et du commerce. Il lui marqua que sa majesté l’avouerait dans ce qu’il pourrait faire de bien, mais qu’elle ne jugeait pas à propos de lui donner pour cela aucun caractère. |
Constructions et radoubs
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Il ne paraît pas que M. de Seignelay ait adopté sur la construction aucuns principes particuliers. Il était sans doute persuadé, ainsi que M. Colbert, qu’on ne pouvait atteindre cet art avec des règles fixes et qu’il n’y avait que le tems qui put le conduire à un certain degré de perfection où l’on arrivera peut-être jamais, mais dont on était encore plus éloigné dans ce tems là. On remarque seulement dans ses dépêches qu’il mettait toute son attention à trouver les moyens de contribuer à la durée et à la conservation des vaisseaux. C’est dans cet esprit qu’il recommandait de ne plus employer les bois aussi fraîchement coupés qu’on avait coutume de le faire, trouvant que cet usage était la cause principale du peu de durée des vaisseaux et des galères parce que la sève n’en pouvant sortir et les voyes de l’évaporation étant bouchées, il en résultait une fermentation occasionnée par la chaleur du goudron et du four de cale qui donnait lieu à la pourriture des membres. Cet abus n’a pas moins été pratiqué depuis, soit par négligence, soit par la précipitation avec laquelle on a été obligé de construire en tems de guerre. Pour cet effet, il voulait qu’il y eut toujours dans les ports une année d’avance des bois nécessaires aux constructions et radoubs, et qu’on entreprit jamais un vaisseau qu’on eut ramassé la quantité de bois nécessaire pour l’achever. Il jugeait que la précaution d’imbiber les vaisseaux d’eau salée pouvait beaucoup contribuer à leur conservation. Il approuvait même qu’on les lavât tous les mois intérieurement avec de la saumure, quoique pareille pratique dût être d’une grande dépense. Il crût cependant dans la suite que l’usage du sel était incomparablement meilleur que celui de l’eau salée, et comme le sel ne pouvait séjourner sur l’avant et l’arrière des vaisseaux ni le long des façons, il recommandait qu’on en fit jeter tous les jours de nouveau en ces endroits là, jugeant que quand il n’en resterait que ce qui s’arrêterait sur les coutures, il ferait toujours un fort bon effet. Il donnait ordre d’en lester par préférence les vaisseaux neufs ou nouvellement radoubés. Aucune de ces deux pratiques n’a été suivie, apparemment que l’on en a reconnu l’inutilité. Il ne voulait point que l’on peignit les vaisseaux en noir, persuadé que cette couleur brûlait le bois. On est encore revenu de ce préjugé, comme de beaucoup d’autres. Il est vrai que cette couleur absorbe et réfléchit moins les rayons lumineux que le blanc, mais ce n’est pas par là que les vaisseaux périssent. Il ordonnait de se servir de la résine pour le dedans et dehors des vaisseaux préférablement au goudron. Ordonnance pour faire donner la braye aux vaisseaux du Roy venant des mers chaudes. Il avait également à cœur la conservation des galères et il avait remarqué trois causes principales de leur peu de durée, savoir le mauvais choix des bois employés trop verds, l’usage où étaient les constructeurs de faire les galères plus légères qu’à l’ordinaire, et le peu de propreté des comites et de ceux qui étaient chargés d’en avoir soin et qui négligeaient de faire repasser de tems en tems les coutures des hauts. Ces trois observations sont très justes. On pourrait en ajouter une quatrième qui pouvait venir du défaut de liaison et du peu de solidité de la construction. Une galère bien faite et de bon bois doit durer bonne 20 ans et plus. Il estimait qu’une galère bien bâtie devait servir au moins 12 ans (bien faite et bien entretenue elle peut durer le double) et pour cet effet il voulait que l’on eut toujours en magasin le bois de 4 galères en paquet, afin qu’il eût le tems de se sécher. Il envoya en conséquence un constructeur des galères en Bourgogne pour y faire débiter tous les arbres qu’il trouverait propres à cette construction et pour en faire une si bonne provision qu’on ne se trouvât plus dans le cas d’employer du bois verd. Cette méthode est constamment la meilleure pour faire durer les galères et les vaisseaux et c’est celle qui se pratiquait en dernier lieu à Marseille où les galères avaient plus de vingt ans quand elles étaient bien construites et de bois sec conservé à couvert en paquet dans des magasins où sous des hangars avec des cales entre les membres pour y laisser passer l’air. Il avait principalement recommandé au marquis de Langeron, capitaine de vaisseau ayant l’inspection générale des constructions, d’apprendre aux charpentiers la manière de faire des plans et profils de vaisseaux avant de commencer à les construire, de faire un devis de toutes les pièces de bois qui entrent dans la construction avec leurs proportions, de régler les proportions des vaisseaux de chaque rang, la place de chaque mât et de veiller à ce que les empattures et les liaisons de pièces fussent faites de la manière la plus sûre pour établir la force des vaisseaux. La plupart de ces plans et modèles en partie sont souvent fautifs, et il est impossible que l’on ne s’en écarte beaucoup dans l’exécution. L’art de la construction est même si délicat et si peu commun que de deux vaisseaux bâtis sur le même gabarit et par le même ouvrier, l’un sera souvent bon, l’autre mauvais voilier, sans que le constructeur en puisse rendre raison. Il voulait que l’on joignit l’agrément à la bonté de la construction et que les vaisseaux ne fussent point désagréables à l’œil. Le coup d’œil se voit très fautif pour quiconque ignore la construction. C’est aux connaisseurs seuls et à l’expérience d’en décider. Il rejeta la proposition qu’un intendant lui faisait de ne construire dans chaque port que des vaisseaux d’une même grandeur. Cette idée de M. Arnoul était absurde en bien des sens. Non seulement par la raison qu’en donne M. de Seignelay qui est la nécessité d’employer des bois de toute espèce, mais parce qu’il faut pour l’avantage même du service de la marine des vaisseaux de toute grandeur. Il voulut régler pour toujours les armemens des vaisseaux, en assujettissant ceux de chaque rang à un dessein particulier et en obligeant les sculpteurs de s’y conformer vu qu’en laissant dépendre la sculpture de leur fantaisie, ils en chargeaient plus ou moins les vaisseaux d’un même rang, ce qui les rendait plus ou moins bons voiliers. Ce règlement eut été très utile et n’a point eu lieu. Il défendait absolument tout changement de cloisons dans les logemens des officiers sur les vaisseaux, quelques grades qu’ils eussent, et menaçait le premier intendant qui contreviendrait à cet ordre de le destituer de son emploi. Cette défense observée à la lettre eut épargné bien des fonds au Roy, mais elle ne la jamais été, surtout dans les derniers tems. Il faisait construire des flûtes pour servir à la suite des galères, espérant regagner cette dépense en deux ans par l’épargne de ce qu’il en coûtait pour le nolis des bâtimens de suite. Prévoyant qu’en cas de guerre les Espagnols pourraient joindre leurs galères à celles de Gênes, il crût nécessaire d’en faire construire six, quoiqu’il y en eut pour lors trente en état d’être armées, mais il voulait que cette augmentation se fit en deux ou trois ans sans augmentation des dépenses, et que le fond s’en fit sur la diminution des radoubs des autres galères, de l’entretien des chiourmes et de l’infanterie, de la solde des mariniers de rames, d’achats d’esclaves, de marchandises et autres dépenses. C’était vouloir l’impossible à supposer qu’il n’y eut point d’abus à retrancher. Il tenait la main à ce qu’aucun particulier ne débitât de bois que l’on n’eut auparavant vérifié s’ils étaient propres aux constructions. Il voulait qu’on fit en même tems la voiture de tous les bois assortis pour la construction d’un vaisseau et que l’arrangement de ces bois dans les ports fut tel qu’on distinguât ceux des constructions d’avec ceux des radoubs et que les ouvriers les trouvassent à point nommé, étant de l’économie qu’ils ne perdissent pas la moitié de leur journée à les chercher. Cet arrangement très important dépend du génie et de l’application de ceux qui sont à la tête des ports. Il fit établir un contre maître charpentier pour avoir soin uniquement de la distribution des bois afin d’en empêcher la dissipation. Il voulut qu’il y eut toujours dans chaque port, même dans le fort de l’hiver, dix ou douze vaisseaux en état d’être armés au premier ordre. Il trouvait plus avantageux de bâtir un vaisseau neuf que de faire beaucoup de dépenses pour en bien radouber un vieux qui, quelquefois bien radoubé qu’il fut, ne pouvait durer autant qu’un neuf, le bois neuf s’altérant toujours auprès du vieux. On ne peut faire une maxime générale de cette idée. Cela dépend des circonstances du radoub. M. Colbert en avait fait une du contraire. Il recommandait en conséquence beaucoup d’économie dans les radoubs, et trouvait exorbitant une somme de 160.000 £ qu’un intendant demandait pour le radoub d’un vaisseau. Même observation que ci-dessus. Il se proposait de faire construire des formes à Toulon pour le radoub des vaisseaux et avait fort à cœur la réussite de ce dessein de la possibilité duquel M. de Vauvré l’avait assuré. Il n’était pas même retenu par la dépense prodigieuse que ce travail devait occasionner, persuadé qu’on la regagnerait en peu d’années par la diminution de celle des radoubs et par la conservation des vaisseaux qu’on ne verrait plus dans la nécessité de faire passer en Ponant. C’est ce que l’on eut pu faire de plus avantageux pour la conservation et la possibilité s’y serait peut-être trouvée en la cherchant bien. Il reste encore quatre formes à Marseille, dont deux sont en bon état, mais elles ne pourraient servir pour construire de gros vaisseaux. Ce projet n’ayant pu apparemment avoir alors son exécution, M. de Seignelay approuva postérieurement le dessein qu’avait formé M. de Vauvré de faire des cales à Toulon à l’instar de celles de Venise, pour tirer les vaisseaux à terre afin de les radouber. Il est vrai qu’il n’y a pas de formes creuses à Venise, mais on y construit les vaisseaux à couvert sous des hangars de maçonnerie où les vaisseaux et galères restent un très long tems à sécher à moitié faits, les membres à l’air et avant d’être bordés, ce qui les fait durer beaucoup plus longtems. Il trouvait de l’inconvénient dans l’usage de faire échouer les vaisseaux pour les faire caréner et ne voulait point qu’on s’y déterminât qu’après l’avis de tous les officiers et charpentiers du port. Il y en a beaucoup, mais c’est quelquefois un parti forcé. Il était persuadé qu’il y avait des vaisseaux qui pouvaient être six ans sans être carénés à fond et s’en remettait aux intendans sur le tems des carènes. On ne peut mieux faire quand ils sont habiles et appliqués et il est impossible de prendre sur cela aucun arrangement général et uniforme. Il voulait absolument que tous les capitaines fussent présens aux radoubs des vaisseaux et qu’ils demeurassent sur l’atelier pendant tout le tems que les ouvriers y travaillaient. Rien de mieux pour leur instruction et pour celle de tous les officiers, pourvu qu’ils ne gênent pas le constructeur par des ordres et des décisions donnés trop légèrement. Il faisait encourager les matelots à apprendre les métiers de charpentier ou de calfat, non seulement pour l’utilité du service, mais pour la leur propre et pour qu’ils pussent par ce moyen gagner plus facilement leur vie pendant l’année de leur classe où ils restaient chez eux sans occupation. Il était persuadé qu’il se glissait beaucoup d’abus dans les rôles des journaliers et pour les prévenir, il voulait absolument qu’on n’employât la main d’œuvre pour les constructions et radoubs qu’à prix fait et qu’on fit en sorte que tout se fit par entreprise et non à la journée. Cette idée a son avantage et ses inconvéniens. L’économie s’y trouve mais rarement la solidité. Cependant, en y faisant veiller de fort près, le prix fait vaux mieux que la journée. Il goutta la proposition qui fut faite de lester les vaisseaux de canons de fer de rebus, ainsi que la précaution de mettre le lest de pierre lorsqu’on le retirait des vaisseaux dans un endroit où la marée pût le couvrir et le nettoyer. Il a été reconnu depuis que le lest de fer a ses avantages et ses inconvéniens et ne dois pas être employé indifféremment. Il donne de l’assiette aux vaisseaux à plates varangues qui roulent trop, mais il rappelle trop vite ceux qui sont plus taillés, et leur fait souvent courir risque de casser leur mâture par les secousses violentes qu’il leur donne lorsqu’ils se relèvent. C’est à l’expérience à en juger. |
Machines
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M. de Seignelay ne se déterminait pour les machines de nouvelles inventions qu’après qu’une expérience réitérée en avait démontré l’utilité, mais il ne plaignait point la dépense pour les épreuves. |
Fonds
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Il s’en fallait de beaucoup que cette partie essentielle ne fut aussi bien administrée sous ce ministère qu’elle l’était sous celui de M. Colbert. Le service était souvent à la veille de manquer faute de fonds dans les ports, et les vaisseaux ne pouvaient être expédiés faute d’argent pour en payer les équipages. M. de Seignelay s’en prenait volontiers aux intendans et les blâmait quelquefois assés légèrement et beaucoup trop vivement de faits dont ils ne pouvaient pas répondre. Il ne voulait point qu’ils lui proposassent de dépenses, surtout pour les bâtimens, sans lui en envoyer de projets exacts, et il exigeait qu’ils les envoyassent toujours assés justes pour que la dépense réelle n’excédât jamais le projet dans l’exécution et que pour quelque cause que ce put être, ils ne fussent jamais dans le cas de demander des augmentations. Cet ordre était impossible à exécuter à la lettre. Une infinité de circonstances que l’on ne saurait prévoir pouvant augmenter ces dépenses d’un moment à l’autre. Il fit retenir trois mois d’appointemens à un intendant (M. Arnoul) pour avoir contrevenu à cet ordre, et le menaça de la perte de son emploi en cas de récidive. Il conviendrait mieux de révoquer un intendant incapable de bien servir que de le soumettre à de pareilles peines qui le décréditent dans un port et le mettent hors d’état d’y remplir dans la suite ses fonctions avec honneur & utilité pour le Roi. Il n’y avait peut-être que celui là dans le cas de s’attirer et de soutenir un pareil traitement. Il établit un nouvel ordre dans l’emploi des fonds et exigea que les intendans lui envoyassent tous les mois un état de comparaison des dépenses avec les fonds remis et leurs différences et leurs causes en apostilles. Il trouvait fort étrange que 950.000 £ de fonds n’eussent pu être suffisants pour les avances à faire aux marchands du port de Toulon en 1684, et il jugeait qu’avec une pareille somme, on devrait leur faire fournir pour trois millions de marchandises. L’observation de M. de Seignelay paraît juste mais elle dépend pourtant des circonstances et de la quantité de marchandises fournies. Il faudrait voir les réponses de M. de Vanoré. Il voulait qu’on réduisit les dépenses pour voyages aux fonds destinés à cet objet. On ne peut les estimer qu’en gros dans les projets, ce sont les circonstances qui décident du plus ou du moins. Il consentit que M. de maréchal d’Estrées se fit payer de ses appointemens en qualité de vice amiral pendant son séjour à Brest à raison de 3550 £ par mois. La table y était apparemment comprise comme à la mer car les appointemens ordinaires ne sont que de 24.000 £ par an. Il blâma M. de Souvigny, intendant, d’avoir fait payer les équipages de deux vaisseaux sans avoir auparavant pris ses ordres pour la remise des fonds. Il doit toujours y avoir des fonds d’avance dans un port, et un intendant doit pouvoir en disposer pour ces dépenses dans des cas pressés, tel que celui du départ d’un vaisseau. Il doit même être en droit de les dénaturer quelquefois de leur première destination suivant les circonstances, et en en rendant compte. Du moins c’était l’avis de M. Colbert. Il autorisa l’imposition faite à Bordeaux pour l’entretien d’un bâtiment propre à garder les côtes contre les Biscayens. Cette imposition ne pouvait se faire régulièrement que par l’ordre du contrôleur général. |
Fortifications
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M. de Seignelay prit la résolution de fortifier sur la côte de Bretagne les isles de Houate et de Hoedic en y faisant bâtir deux tours qui commandassent dans l’endroit où il y avait un mouillage afin d’empêcher les corsaires qui en faisaient leur retraite d’y aborder dans la suite. |
Honneurs, rangs & distinctions
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M. de Seignelay soutenait avec fermeté les prérogatives des officiers de plume de la marine, et fit décider par le Roy que M. de Montmort, commissaire de la marine à St Malo, aurait à l’hôtel de ville, en l’absence de l’intendant de la province, le même rang que lui, s’il y était, et que dans les processions et cérémonies publiques, il marcherait immédiatement après le commandant de la place, lui recommandant d’ailleurs d’éviter toute discussion sur pareil chapitre. Les lieutenans de vaisseaux prétendaient avoir le pas sur les capitaines de galiote, mais le Roy ordonna que les capitaines de galiote auraient le rang de capitaine en second, et non celui de lieutenant, sur les vaisseaux armés. Il fit décider la préséance en faveur des intendans sur les chefs d’escadre qui n’étaient pas commandans, et même étant commandans, dans tous les cas où il ne s’agissait pas de fonctions militaires. Conforme aux dispositions de l’ordonnance de la marine de 1689. |
Invalides
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M. de Seignelay aurait fort souhaité faire l’établissement en France d’un hôpital pour y entretenir les gens de mer estropiés au service, à l’instar de celui qu’on projetait d’établir en Angleterre, mais il fut arrêté par la dépense. On y a suppléé par des demi-soldes plus utiles aux invalides et de moins de dépenses pour le Roy. |
Justice police et discipline
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Les deux premiers articles étaient entièrement dévolus aux intendans, le troisième était partagé entre les commandans et les intendans. M. de Seignelay avait grande attention à ce qu’il n’empiétassent point sur les fonctions les uns des autres. |
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M. de Seignelay ne se piquait pas de s’assujettir bien exactement aux formalités de la justice dans ce qui regardait l’administration de la marine. Il traitait ce chapitre là plus par voye d’autorité que par principes et par règles. Il donnait beaucoup d’étendue à la juridiction des conseils de guerre et à celle des intendans et ne souffrait pas que l’amirauté empiétât sur leur autorité. Il blâma cependant un conseil de guerre d’avoir condamné un criminel à d’autres peines qu’à celles de l’ordonnance, la législation n’appartenant qu’au Roy. Mais sur les représentations d’un intendant qui lui mandait que les formalités ne seraient pas observées dans la façon dont il voulait lui faire juger un criminel et dans l’ordre qu’il lui donnait de suspendre l’exécution du jugement, il lui répondit qu’il devait savoir que quand sa majesté avait ordonné une chose, elle n’était jamais contre les règles. Cette maxime souffrirait difficulté dans des tribunaux réglés. Quoiqu’il convint que la justice ordinaire dût connaître de tous les cas qui survenaient entre un habitant et un officier ou soldat, cependant ayant appris qu’une sentinelle avait tué à terre un quartier maître, pour lors habitant mais engagé au service de la marine et dont le vaisseau était en rade, il fit mettre la sentinelle au conseil de guerre et empêcha la justice ordinaire d’en prendre connaissance. |
1684 |
Avant l’ordonnance de la marine de 1689, M. de Seignelay faisait mettre en prison par l’intendant les capitaines qui avaient perdu des vaisseaux, et leur faisait faire leur procès. Il manda aux commandans des ports qu’un intendant pouvait faire arrêter de son autorité les gens même qui leur étaient subordonnés sans leur permission, en leur faisant seulement donner avis que le cas était de sa compétence. Il réprimanda un commandant des gardes marines qui voulait que l’intendant lui communiquât les informations qu’il faisait faire contre eux en matière criminelle, et lui manda que cette procédure n’était point de sa compétence, et qu’il ne devait se mêler que de la discipline intérieure. Cette communication ne peut s’exiger à la rigueur, mais doit se faire à l’amiable. Il a même été ordonné depuis qu’un officier du corps de la compagnie assisterait à l’instruction du procès mais sans voix délibérative. Il faisait procéder contre tous les particuliers pour le payement des marchandises prêtées de l’arsenal et les faisait estimer sur le prix qu’elles valaient au tems du prêt. Il blâma un intendant d’avoir donné retraite dans l’arsenal à un officier poursuivi pour crimes. Il obligeait souvent les armateurs à se soumettre au jugement des intendans dans les différens sur les prises et les commettait par arrêt du conseil d’état pour juger les discussions entre les capitaines et leur équipage. Cela ne pouvait guerre se faire que de concert avec l’amiral ou par voye d’autorité, et cela attaquait directement la compétence des amirautés. Il recommanda aux intendans d’être très sévères sur l’observation des édits contre les duels et de ne point user de dissimulation sur cet article et il prescrivit les cas où le procureur général en devait connaître. On sait assés comment cela doit s’exécuter sur les affaires d’honneur. |
1685 |
M. de Vauvré, Intendant, avait un laquais accusé de vol et coupable peut-être de quelque crime plus grave dans son domestique. Il le fit condamner par le prévôt de la marine à être pendu et le fit exécuter sur le champs. Le parlement s’en formalisa et procéda contre M. de Vanoré qu’il aurait peut-être mené loin sans la protection de M. de Seignelay qui fit casser par un arrêt du conseil d’état la procédure du parlement sur le fondement que le fait s’étant passé dans un atelier du Roy, la justice en devait appartenir à la marine. Il blâma en même tems M. de Vauvré d’avoir fait rendre ce jugement par le prévôt de la marine qui n’a droit, à l’instar des prévôts des maréchaux, que sur les cas qui arrivent entre gens entretenus au service et pour des faits qui intéressent le service. Un intendant de marine a deux sortes de juridictions. L’une de territoire pour tous les cas quelconques qui se commettent dans l’étendue de l’arsenal, magasins et autres lieux appartenant à la marine. L’autre d’attribution pour les cas qui se commettent hors de l’arsenal entre gens employés au service de la marine ou pour raison d’effets appartenant à la marine, comme vol d’agrès, d’armes, etc. sur lesquels il a un droit de suite. Le cas en question étant censé commis dans un atelier de la marine, l’intendant était sans contredit en droit de le juger avec les formalités prescrites qui sont l’assemblée du conseil de guerre ou de la sénéchaussée du lieu, mais non de le faire juger prévôtalement, ce qui était contre toute règle, surtout [que] le prévôt de martine n’ayant pas fait juger la compétence. Il y a apparence qu’il se fit encore bien d’autres irrégularités dans la procédure et que ce jugement fut suspecté de beaucoup de passions. Sur ce que le consul français d’Amsterdam prétendait juger les procès des Français qui y faisaient commerce, il lui manda qu’il ne pouvait prétendre une juridiction en rigueur à l’exclusion des juges des lieux, mais qu’il devait engager les Français à s’adresser à lui pour des décisions à l’amiable et pour éviter les longueurs des procédures et leur faire entendre que ceux qui refuseraient de s’y soumettre, seraient punis en France. Il mandat aux officiers de l’amirauté de Calais, soupçonnés de favoriser le pillage des armateurs de leur port, qu’il les rendrait responsables de tous les dommages causés par leur fait aux vaisseaux amis ou neutres. |
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M. de Seignelay attribuait toute la juridiction de la police aux intendans et ne permettait en aucun cas aux officiers de quelque grade et qualité qu’ils fussent de les y troubler. M. le maréchal d’Estrées en qualité de vice-amiral, ayant voulu ordonner des travaux du port et du détail du magasin, M. de Seignelay lui manda et à l’intendant que sa qualité de vice-amiral ne lui donnait qu’un grade supérieur à celui de lieutenant général, mais pas plus d’étendue à ses fonctions, et qu’en cette qualité il ne devait ordonner que ce qui regardait la discipline militaire et nullement des autres détails du port, que c’était l’intention du Roi. Il défendit à l’intendant de souffrir qu’il s’en écartât, et lui ordonna de l’informer si le maréchal d’Estrées voulait passer outre pour y mettre ordre. Il établit cependant que les ordres de police et de discipline que l’on avait coutume d’envoyer jusqu’alors aux intendans le seraient également désormais aux commandans. Il soutenait les intendans dans presque toutes les discussions que les officiers avaient avec eux et ne trouvait pas bon que ceux-ci lui écrivissent contre les intendans. Il recommandait au commissaire ordonnateur à Dunkerque un peu plus de concert avec le commandant de cette place qu’avec les autres commandans, mais uniquement pour ce qui avait rapport à son détail, et non pour ce qui regardait la marine. Il voulait que les intendans prissent sur eux de décider des minuties et ne l’importunassent point pour lui demander des ordres sur des bagatelles comme pour savoir si les aumôniers iraient joindre les vaisseaux en chaloupe ou par les jetées. Rien de si utile que cette maxime pour le soulagement des ministres et pour le bien même du service. Malheureusement, ce sont ces minutes qui font souvent les grandes affaires dans les ports lorsque l’intendant n’est pas soutenu et accrédité, ce qui fait que l’un réussit et l’autre échoue. Il exhortait les intendans à s’aider pour le bien du service, autant qu’il était possible, de ce qui se trouvait dans leur département, sans être obligé de tirer leurs munitions de l’étranger ou des autres provinces. Il donnait pour maxime aux intendans qu’un homme chargé des affaires du Roi devait dans les affaires ordinaires procurer aux particuliers la même justice dont ils useraient entre eux et être ponctuel dans ses promesses s’il voulait tirer parti d’eux dans la suite. La maxime est très bonne, mais lorsqu’un intendant s’en écarte, ce n’est jamais que par l’impuissance où il se trouve de remplir ses engagemens du côté des fonds. Il blâma vivement le commandant de Belle Isle d’avoir fait refuser des vivres à un vaisseau du Roy sous prétexte qu’il ne se mêlait point de la marine, et il lui manda que ceux qui commandaient dans ces places sont faits pour donner des secours en toutes rencontres, à la marine en cas de besoin. Il désapprouva un commandant de patrouille d’être entré dans une maison particulière pour en faire sortir des gardes marine à heure prétendue indue, et manda au commandant de la ville que la patrouille n’a ce droit là que dans les cabarets. Il fit défendre en même tems aux gardes marine, soldats et matelots, de se trouver dans les rues passé 9 heures du soir. Il s’opposait vivement aux vexations des commis des fermes envers les matelots et soldats qui rapportaient quelques petites parties de tabac pour leur usage seulement. Il défendait la visite de ces commis dans les vaisseaux ou dans l’arsenal, sans la participation du commandant et de l’intendant de la marine et encore plus les saisies et les amendes qu’ils prétendaient faire prononcer contre des gens qui n’étaient justiciables que de l’intendant ou du conseil de guerre, et il les menaçait, si ils l’entreprenaient, de les faire arrêter et mettre aux fers. Il fallait pour cela qu’il fut d’accord avec le contrôleur général, sans quoi la justice des traites devait avoir son court. Il fit défendre aux ouvriers d’emporter les copeaux de l’arsenal et ordonna de les porter à l’hôpital pour servir de bois à brûler. Objet important et trop négligé. Il fit défendre par les intendans aux trésoriers d’avancer la solde aux gardes marines, ce qui les mettait dans le cas de la perdre au jeu et de manquer de hardes pour les campagnes. Il fit défendre que la solde des gardes marines fut remise aux commandans de campagne et ordonna qu’ils fussent payés manuellement en présence du commissaire et contrôleur qui leur retiendraient la masse pour leur habillement. Il défendit le prêt de chalans, chaloupes et autres bâtimens du Roy aux entrepreneurs des ouvrages du Roy, sous prétexte que cela dégradait ces bâtimens. Cela dépend du marché que l’on a fait avec eux, mais il y a une infinité d’occasions où ces prêts sont inévitables, sans quoi les ouvrages coûteraient le double. D’ailleurs on fait supporter les dégradations aux entrepreneurs. Il écrivait aux intendans de terre de faire employer dans les troupes de la marine des gens détenus en prison pour fautes légères. Cet ordre paraissait blesser un peu les règles de la justice ordinaire. Il envoya un arrêt du conseil d’état à l’intendant de la marine à Rochefort pour défendre aux habitans d’élever leurs maisons de plus de deux étages, pour garantir la ville du mauvais air. Il est à présumer que Rochefort était alors dans le département de M. de Seignelay et que l’intendance de terre était remise à celle de la marine. Il mandait à l’intendant de Bretagne de fixer le loyer des maisons du Port Louis dont les habitans se prévalaient trop. Il permettait au munitionnaire, contre l’avis des échevins, de vendre ses vins de retour de campagne dans la ville, mais avec précaution et sans abuser de cette permission pour en vendre au delà. Il décida que les congés des officiers ne pourraient servir que pour le mois où ils avaient été expédiés. Il approuvait que dans les cas pressés, et non autrement, on fit travailler les jours de fête en demandant permission à l’église. Il exigeait tous les mois une liste des gardes marine, avec des notes sur leurs progrès dans leurs exercices, qui fut signée de l’intendant, du commandant de la compagnie, du commissaire, du contrôleur et des maîtres. Il manda à l’intendant du Havre de faire de concert avec les officiers de l’amirauté un règlement pour le droit des interprètes. Et afin de mieux établir la subordination des officiers d’amirauté à son égard, il le fit commettre par arrêt pour faire la visite des officiers d’amirauté de son département et pour rendre compte de leur conduite. Il fit établir des jeux d’exercice à Rochefort, comme le mail et la paulme, pour détourner les officiers d’amusemens dangereux. Il désapprouvait la proposition d’envoyer les filles de mauvaise vie aux isles de l’Amérique où elles décréditeraient celles qui viennent de France, et il manda à l’intendant de la marine à Toulon qu’il devait prendre connaissance de cette police. Il refusa de donner, même aux ambassadeurs, des passeports en blanc pour leurs meubles. Il fit décider que le plus ancien commissaire ordonnerait dans le port, en l’absence des supérieurs, et que si c’était le contrôleur qui le fut, le plus ancien des commissaires après lui se chargerait du contrôle. Il fut décidé que le plus ancien commissaire devait avoir séance au conseil de guerre après le dernier officier général en l’absence de l’intendant et du commissaire général. Il voulait qu’on laissât à Toulon le choix des aumôniers de vaisseaux aux supérieurs des jésuites. Ordonnance qui permet aux marchands à Cadix de porter pavillon blanc. Cet usage s’est étendu à tout les bâtimens français. Il fit défendre très sévèrement aux capitaines et officiers des vaisseaux du Roy d’embarquer aucune marchandise ni pacotilles. Il donna ordre à l’intendant de faire mettre en prison un armateur qui avait laissé moitié de son équipage en pays étranger. Il jugeait l’emploi de trésoriers de France et celui de consul incompatibles et obligea un consul à opter en pareil cas. L’intendant de Brest lui proposait de remplir les places vides par des couvens. Il lui répondit qu’il vaudrait mieux que la ville ne se bâtît jamais. Les journées de campagne d’un commissaire étaient fixées à 12h. Il se plaignait quelquefois de la mollesse et du peu de vivacité des officiers de la marine pour le service, de ce qu’ils craignaient la fatigue et de ce qu’ils faisaient des difficultés sur tout, et il reprocha à M. de Bonrepaux de les avoir gâtés dans ses voyages. Il blâmait les intendans souvent légèrement sous prétexte ou de négligence et de retardement dans leur détail ou de ce qu’ils ne rendaient pas un compte assés exact ou de ce qu’ils donnaient de fausses nouvelles à la cour faute d’être assés instruits, ce qui faisait prendre de fausses mesures ou de quelques procédés souvent mal constatés vis à vis des officiers, et il leur écrivait durement dans ces cas occasionnels. Ordonnance du Roy en faveur des Malouins qui défend à ses vaisseaux de charger à Cadix aucuns des effets de la flotte des Indes pour en laisser le fret aux négocians. Ordonnance qui enjoint aux seigneurs riverains qui prétendent des droits sur la côte de Normandie de représenter leurs titres par devant l’intendant du Havre. Faute d’avoir satisfait à cette ordonnance il refusa à Mme de Matignon la confiscation d’un bâtiment étranger échoué sur ses terres qu’elle prétendait lui appartenir. Ordonnance qui enjoint à tout habitant ou aubergiste des ports de porter à l’intendant de la marine les noms de ceux qui viennent loger chez eux et qui leur défend d’y recevoir des officiers, mariniers, matelots ou soldats sans permission et sans celle du bureau des classes. Ces ordonnances se sont abrogées par le bon usage. Ordonnance pour que tout bâtiment qui arrive ne puisse envoyer à terre sans avoir fait avertir le gouverneur. Ordonnance qui défend les jeux de hasard sous peine de 500 £ contre les joueurs et de 1000 £ contre ceux qui donneront à jouer. Ordre aux commandans de veiller sur les mœurs des officiers et de les avertir que ceux qui en auront de scandaleuses ou qui mangeront publiquement gras les jours maigres, seront sévèrement punis. Il défendait aussi l’établissement des comédiens dans les départemens. On a été moins sévère depuis. Il était défendu dans ce tems là aux officiers d’amirauté d’exiger aucun droit pour les passeports ni visites des vaisseaux. Il y a été dérogé depuis. |
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M. de Seignelay recommandait expressément aux commandans des ports et des escadres de maintenir l’ordre et la subordination dans le service et d’éviter également l’excès d’indulgence et de sévérité. Il établit que les commandans d’un port n’auraient aucune autorité sur les commandans d’escadre à la mer, qu’ils ne pourraient donner d’ordre ni d’instruction aux derniers qui ne devaient les recevoir que du Roy. Il manda à M. Duquesne d’interdire les capitaines qui se sépareraient de son escadre sans son ordre, et de leur défendre de coucher hors de leur bord. Il faisait exercer les galères par leurs officiers et non par les officiers de port et y employait les bas officiers entretenus en place des matelots pour épargner la solde des derniers. Il faisait monter la garde à tous les officiers sans exception d’aucuns, sous prétexte de charge ou de service particulier. Ordonnance qui défend au major de faire d’autres fonctions que celles de sa charge en montant la garde et qui le subordonne en cette qualité aux capitaines moins anciens que lui qui commanderont dans le port. Il désapprouva des commandans des ports d’avoir fait sortir des gardes de la marine de prison ou de leur avoir donné congé sans le concert du commandant de la compagnie. Au commencement du ministère de M. de Seignelay, les intendans étaient encore chargés seuls, non seulement de tout ce qui concernait la police du port, mais même d’une partie de celle qui concernait le service des officiers militaires. Les ordres touchant ce détail leur étaient adressés préférablement aux commandans, et quelquefois conjointement. Ce ministre les consultait uniquement sur le choix des officiers de port. En 1685, il manda à M. le maréchal d’Estrées qu’il avait donné un ordre général pour que tous les ordres qui concernent la discipline et le service militaire fussent adressés à l’avenir aux officiers généraux pour les faire exécuter, en même tems qu’aux intendans pour être informés de leur exécution. C’est de ce tems là que les officiers commandant dans les ports ont commencé à prendre un peu plus de connaissance qu’ils n’avaient fait jusqu’alors de ce qui regardait les détails du port. Il dit plus bas que tout ce qui est militaire regarde le commandant, et que l’intendant ne doit y avoir qu’une inspection générale. Il paraît que la compagnie de gardes de la marine, et même que leurs commandans, étaient alors sous les ordres de l’intendant, du moins autant que sous ceux du commandant, et que l’examen de leurs progrès dans les écoles, même de ceux des officiers, se faisait en présence de l’un et de l’autre. Le Roy approuva le choix de M. Desclouzeaux, intendant, qui avait pris six gardes de la marine pour servir de lieutenant dans les compagnies, et sa majesté lui adressa les ordres pour les y faire recevoir. Cette conduite passerait aujourd’hui pour un attentat énorme à l’autorité du militaire. M. Arnoul, intendant, ayant fait partir des gardes de la marine pour un autre port sans en avertir le commandant, il s’en plaignit à M. de Seignelay qui lui répondit que quand le Roy jugeait à propos d’envoyer des ordres aux intendans, ce n’était pas aux officiers qui commandaient à s’en formaliser et que sa majesté ne s’adressait à eux que lorsqu’elle l’estimait nécessaire pour le bien de son service. Cette réponse dut lui paraître singulière et il semble étrange et contre les règles qu’un intendant fasse partir des officiers ou des gardes d’un département sans que le commandant en soit au moins averti. Il blâma l’intendant de Rochefort d’avoir souffert que le maréchal d’Estrées, vice-amiral, changeât la destination des gardes marine nommés par le Roy, et lui manda que c’était à lui à résister aux fantaisies des officiers généraux. Que pouvait faire en pareil cas un intendant qui n’avait pas la force en main, que d’en donner avis au ministre, et de refuser sa signature pour les employer sur l’état. Il fit ordonner que pour éviter toutes surprises, les congés absolus des gardes marine fussent visés à l’avenir de l’intendant et du commandant des compagnies. Pour exciter l’émulation parmi les gardes de la marine et les enseignes, le Roi ordonna qu’ils seraient tenus d’assister aux écoles établies dans les ports et qu’ils y seraient interrogés en présence de l’officier général commandant, des quatre plus anciens capitaines, de l’intendant, et du commissaire général une fois tous les mois, que leurs appointemens seraient augmentés à proportion de leur savoir, et qu’ils ne seraient exempts d’assister aux dites écoles que lorsqu’ils seraient parfaitement instruits. Sa majesté voulait qu’il fut observé la même chose à l’égard des lieutenans de marine. Ce règlement très utile ne s’observe plus à présent à l’égard des gardes marine, encore moins à l’égard des enseignes et lieutenans. Les gardes marine prenant quelquefois la liberté de quitter le service de la marine sans congés, M. de Vauvré, intendant, reçut l’ordre de les faire assembler, leurs officiers à leur tête, et de leur déclarer que sa majesté ne prétendait pas leur refuser de congé absolu, mais qu’elle ne voulait pas qu’ils le prissent d’eux même et qu’elle ferait punir sévèrement ceux qui y contreviendraient. Il semble qu’il ne fallait pas pour cela de nouvel ordre et que cette règle est de droit dans tous les services. Il recommanda à l’intendant du havre beaucoup de déférence pour le duc de St Aignan, gouverneur, mais beaucoup de fermeté pour ne lui rien laisser entreprendre sur ce qui regarde le service de la marine et l’assura qu’il serait soutenu. Cela devait être, mais c’est ce qui n’arrive presque jamais. La faveur l’emporte et les plus faibles sont les victimes. M. de Montmort en fut un exemple vis à vis de M. de St Aignan et beaucoup d’autres l’ont été depuis. Il blâma le lieutenant du Roy du Havre d’avoir voulu se mêler du détail des maîtres du quai et de l’arrangement des vaisseaux dans le port et lui manda que cela ne le regardait [ni] directement, ni indirectement, et que s’il y retombait, sa majesté le casserait. Il fallait que le ministre de la marine eût alors une grande autorité pour écrire sur ce ton à un officier de terre qui n’était point sous ses ordres. Quoiqu’il en soit, les choses ont bien changé depuis à cet égard surtout au Havre car l’autorité du commandant et de l’intendant de la marine y est réduit au seul bassin, et ils n’en n’ont aucune dans le port où elle est toute dévolue au gouverneur et au lieutenant du Roy, ce qui est contraire au bon ordre et à l’esprit du service. Il blâma au commandant de Poitou d’avoir voulut se faire apporter les rôles des équipages des bâtimens, lui déclarant qu’il excédait son pouvoir et que ce droit n’appartenait qu’aux officiers d’amirauté et aux commissaires. Il défendit aux officiers de s’absenter sans rendre compte au commandant et à l’intendant des raisons de leur absence, et aux gardes marine de sortir de la ville avec des fusils. Il distinguait les soldats des corps de gardes d’avec les soldats gardiens ou journaliers et attribuait au commandant juridiction sur les premiers, et à l’intendant sur les seconds. Ce dernier article a souvent été contesté dans les ports, surtout à Marseille, mais il a toujours été décidé en faveur de l’intendant notamment par le règlement du 2 août 1731. Il blâma un commissaire d’avoir laissé subsister sur les rôles des soldats qui n’étaient pas de la qualité requise, et approuva l’intendant de les avoir congédiés, mais il lui marqua en même tems que ce licenciement devait être fait en présence et de concert avec l’officier qui commande. Il adressait aux intendans les ordres pour retenir les officiers dans les ports ou pour révoquer les congés qui leur avaient été donnés. Il ne permettait pas à un intendant de changer l’atelier d’un écrivain à son choix sans en avoir pris ses ordres. Cet arrangement doit être confié à la prudence d’un intendant éclairé, et ne peut être dirigé que par lui. Ces changemens sont même si fréquens, et les besoins du service exigent qu’ils se fassent si promptement, qu’il serait impossible d’en rendre compte à chaque occasion à un ministre qui d’ailleurs ne peut entrer dans ces mêmes détails. Il doit suffire de lui envoyer au commencement de chaque année un état des destinations pour qu’il y donne son approbation. Il fit casser un écrivain et un maître canonnier pour une consommation de poudre superflue et en fit retenir la valeur sur les appointemens du capitaine. Sans doute que la connivence fut prouvée sans quoi le blâme ne pouvait tomber sur l’écrivain. M. le comte de Tourville, vice amiral, ayant changé la destination d’officiers et de soldats à la demi-solde, et n’ayant mis d’autres en leur place sans en prendre l’ordre du Roy, M. de Seignelay lui marqua qu’il n’en n’avait pas le pouvoir par sa charge, qu’il ne pouvait disposer d’aucun des emplois dans les ports dont sa majesté avait coutume de disposer, qu’à la mer même il n’avait ce pouvoir que provisionnellement, devant en rendre compte au Roy pour qu’il put confirmer ses dispositions s’il le jugeait à propos, et n’avait pas plus d’autorité dans les ports et à la mer comme vice-amiral que lorsqu’il était lieutenant général, qu’il s’était arrogé à tort le droit de donner des congés aux officiers, ce qui ne lui appartenait point, qu’il eût à y faire attention et à s’y conformer par la suite. |
Munitions et marchandises
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M. de Seignelay avait soin de se faire rendre compte de bonne heure par les intendans et dès le mois de septembre, des munitions dont on aurait besoin pour le service des ports dans l’année prochaine afin d’être en état d’y pourvoir. Il recommandait aux intendans de s’appliquer pendant l’année à connaître le prix des marchandises et à attirer les marchands aux enchères publiques. C’est le seul moyen de n’être pas trompé aux adjudications. Il défendait avec grande raison que l’on adjugeât toutes les fournitures d’un port à un même homme, et en explique les inconvéniens. Maxime bien importante pour les intérêts du Roy et du commerce et qui n’a pas toujours été bien suivi. Il prenait les marchandises d’autorité et en faisait fixer le prix quand les marchands voulaient abuser des besoins du service pour les survendre, et réduisit en conséquence en 1690 le prix du goudron de 36 £ à 20 £. Les coupes d’autorité ne doivent se faire que rarement et il est aussi dangereux que facile d’en abuser. Il n’accordait pas volontiers d’avances aux entrepreneurs, même favorables, dans la crainte qu’il n’en détournassent les fonds à leur profit, et il aimait mieux que l’on payât comptant leurs ouvriers sur leur compte à mesure du travail qu’ils faisaient. Il ne voulait pas entendre parler de dédommagemens dans les cas de pertes des entrepreneurs, prétendant que cela rendait les marchés inutiles. Il recommandait la culture des chanvres à touin [ ?], pour n’être point dans le cas d’en tirer de l’étranger. Il établit une manufacture de toile à Rochefort et voulait y en faire une de draps pour les soldats. Il fit accorder un privilège au maréchal d’Estrées pour une composition particulière de goudron qui n’a point eu lieu. Ce fut affaire de faveur, ces sortes de privilèges sont presque toujours dangereux et abusifs. Il recommandait à l’intendant de la marine d’ordonner aux écrivains de tenir la poudre sèchement à la mer, et de laisser du vide dans les barils. Cet article est plus du ressort de l’officier d’artillerie ou du lieutenant en pied que de l’écrivain. On a employé depuis peu pour la poudre des barils de cuivre dont l’usage est beaucoup plus commode, tient moins de volume et garantit mieux des accidens du feu que ceux de bois. Il se plaignait de l’excessive consommation de poudre dans un combat. Hors que l’abus ne fut prouvé, ce reproche paraît petit et inutile. Les Génois étant déclarés neutres, refusèrent sous ce prétexte de vendre de la poudre aux Français. Le Roi leur fit dire que le commerce en devait être libre et qu’il consentait qu’ils en vendissent à ses ennemis. On n’a pas toujours pensé de même. Il voulait former une compagnie pour tirer des mâts et des planches du Canada. |
Munitions et marchandises
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M. de Seignelay fit lever des plans de toutes les forêts et bois des particuliers situés proche de la mer et le long des rivières navigables pour être en état de veiller à leur conservation et de réprimer les abus qui s’y commettaient, et il préposait les intendans de marine pour juger des délits et contraventions qui s’y faisaient. Ce travail bien suivi serait l’unique moyen de conserver des bois dans le royaume. Il renouvela et tint la main aux défenses de faire couper aucuns bois propres aux constructions sans une information et un consentement des intendans de marine les plus voisins de leur situation. Pour connaître la valeur des bois sur pied qu’il voulait acheter et n’être point la dupe des fournisseurs, il en faisait exploiter un petit canton par économie aux dépend du Roy. Il reconnut par cette épreuve que le Roy pouvait avoir à 12 s le pied les bois que les fournisseurs lui vendaient 18 et il en prévint les intendans. Ces bois reviennent à présent à près de 3 £ le pied. Il est sûr que l’économie dans ces achats est d’un grand profit pour le Roi pourvu qu’on l’entende sans quoi les frais l’absorbent. Il se déterminait difficilement à acheter des bois de l’étranger et jugeait ceux de Dantzig gras et aisés à s’échauffer étant mis en œuvre, quoiqu’ils fussent de belle apparence. Il approuva la proposition d’obliger les marchands à rendre les bois gabarisés dans les ports. Cette idée a des avantages et des inconvéniens. On y gagne une diminution de fret qui est considérable, mais on y perd beaucoup de bois qui, bien ménagé, trouve toujours son usage dans un arsenal. Il recommandait que l’on n’employât point de gros arbres pour les petites pièces, surtout dans la construction des galères et des petits bâtimens. Economie bien importante et où l’on ne fait pas assés d’attention, mais qui dépend entièrement de la vigilance et de la capacité des constructeurs, commissaires et intendans. Il reprocha vivement à un commissaire l’achat et la façon de bois achetés sur pied, dont la qualité se trouva défectueuse. Les plus habiles s’y sont souvent trompés. Il défendait les vexations dans le service et qu’on forçat les gens qui avaient des voitures à faire les charrois des bois à un prix fixé. Il voulait que les fournisseurs les y engageassent de grés à grés. Il y a cependant des cas où l’autorité du Roi doit s’en mêler en fixant le prix de ces voitures à un prix convenable, sans quoi le service manquerait ou les voituriers en abuseraient pour ruiner les entrepreneurs. |
Officiers
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Le Roy, en faveur des anciens officiers de la marine qui n’avaient pas l’honneur d’être gentilshommes, voulut bien que leurs enfans fussent reçus gardes de la marine, quoique sa majesté eut résolu d’abord de n’admettre que des gentilshommes dans ce corps là. M. de Seignelay s’adressait aux intendans pour être informé des bonnes ou mauvaises qualité des officiers. Un officier ayant quitté la marine sur ce qu’il n’avait pas été avancé, et voulant entrer dans le service de terre, M. de Seignelay écrivit de la part du Roy à M. de Louvois, ministre de la guerre, de ne le pas employer. Il augmenta considérablement les compagnies des gardes de la marine et recommandait de les choisir de l’âge de 18 ans au moins afin qu’ils fussent plus propres à soutenir les fatigues de la mer. Il voulait qu’ils y fissent le même service que les soldats. M. de Seignelay avait soin d’en élever au grade d’écrivain principal que des gens de famille qui pussent par la suite devenir commissaires et intendans, et s’adressait aux premiers présidens des cours souveraines pour savoir si parmi les conseillers de leurs compagnies, il n’y en avait point qui eussent des enfans propres à remplir ces places. Il envoya un ordre à M. de Vauvré pour ne pas employer pour écrivain le nommé marin provençal, alléguant que sa majesté s’était si mal trouvée de ceux de cette province, qu’elle avait résolu de ne s’en plus servire. La prévention était trop forte. Chaque nation a ses vertus et ses défauts. Les Provençaux ont de l’esprit, sont capables de bien servir, et plus propres même que d’autres aux parties du commandement. Il faut se défier seulement de leur caractère un peu inquiet et avantageux. |
Pêche
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La pêche de la morue étant un des plus considérables commerce de l’état et des plus avantageux aux Malouins, ils s’y engageaient avec trop d’indiscrétion en tems de guerre et s’exposaient à être pris au retour. Pour y remédier, le Roy ordonna qu’ils le feraient de concert et les obligea de signer un acte de société pour ne se point quitter, menaçant de faire punir sévèrement ceux qui se sépareraient volontairement pour entrer des premiers dans les ports de France. M. de Seignelay engageait autant qu’il pouvait les habitans des côtes de Picardie, de Normandie, et de Bretagne, à s’adonner entièrement au commerce de la pêche du hareng et à en fournir toutes les provinces de France, même l’Espagne, l’Italie et le Levant, et à enlever cette branche de commerce aux étrangers, surtout à la Hollande, et il ordonnait aux armateurs de Dunkerque de chercher partout les pêcheurs de cette nation et de les couler à fond. Il permettait aux matelots de la classe de service de s’adonner à la pêche de la sardine pourvu qu’ils donnassent des assurances de ne pas s’éloigner de la côte.
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Ports, Côtes et rades
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M. de Seignelay chercha à procurer aux négocians les emplacemens les plus commodes dans les ports pour la construction de leurs bâtimens et dans cette vue, il voulut engager le corps des pêcheurs de Marseille de céder à la ville un emplacement qu’ils occupaient sous la citadelle et où ils mettaient sécher leurs filets en échange d’un autre terrain qu’il leur proposait. Il ne put y parvenir. Cette place serait extrêmement propre pour un chantier de construction. Celui dont les marchands se servent étant beaucoup trop petit et situé d’ailleurs dans un lieu plus propre pour des magasins que pour un chantier, mais il n’y a jamais eu moyen d’engager les prud’hommes qui, sous les chefs des pêcheurs, corps considérable à Marseille, à en traiter avec la ville ni avec le Roy, et l’on n’a pas cru devoir les y forcer. Il fit bâtir un quai à mi-marée à Brest pour empêcher que les bois ne tombassent dans le port. Pour rendre la navigation de port en port plus facile et moins périlleuse, il faisait ménager pour les barques des lieux de retraite où elles pussent se mettre à couvert des mauvais tems. Il regardait l’établissement des feux sur les côtes du royaume comme un objet des plus importans pour la navigation. Il fit examiner les endroits de la Manche les plus propres à y en établir, et discuter des droits qu’il faudrait imposer pour leur entretien. Il projetait d’établir aussi des signaux sur les côtes pour être informé promptement de tout ce qui se passait à la mer. Il forma en conséquence le projet de faire bâtir une tour à feu sur la pointe d’Ouessant et une autre au bout de l’isle de Sein. Il eut soin que les corps de gardes établis le long des côtes et autour des retranchemens fussent bâtis de maçonnerie et couvert de tuile pour y garantir le soldat de la pluie et de l’humidité. |
Prises
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Le Roy rendit une ordonnance en 1684 qui portait que les procédures des prises faites par les vaisseaux de guerre du Roy, sous le pavillon d’une armée navale ou escadre, composée de 4 vaisseaux et au dessus, seraient faites par les intendans de marine. Cette ordonnance a été révoquée et toutes les procédures sont faites à présent par les officiers d’amirauté, ce qui est sujet à plusieurs inconvéniens en cas de guerre. M. de Seignelay ordonna aux intendans de marine de veiller à ce que les officiers de l’amirauté fissent leur devoir en ce qui concerne les prises et de prendre connaissance si par leur lenteur à expédier les procédures, ils n’apportaient aucun préjudice aux particuliers et s’ils n’exigeaient pas des droits au dessus de ceux qui sont portés par les ordonnances. Cet examen passerait aujourd’hui pour une entreprise des intendans sur la juridiction de l’amirauté. Il fit assurer les négocians des villes maritimes qu’il tiendrait la main à ce que les jugemens des prises au conseil fussent terminés huit jours après l’arrivée des informations pour prévenir le dépérissement des marchandises et les dépenses qu’ils font pour solliciter les arrêts d’adjudications. C’est ce qui n’est pas toujours praticable, ce qui dépend de la nature des affaires. Quoique la France fut en guerre avec la Hollande, il fut permis aux commissaires hollandais d’enchérir pour l’adjudication des navires pris. On recommanda seulement aux intendans d’avoir des gens affidés pour presser les enchères à la juste valeur des bâtimens. S’étant trouvé sur une frégate ennemie une somme d’environ cinq mille livres, le Roy donna la moitié de cette somme au capitaine de vaisseau qui l’avait prise, et ordonna que le surplus fut distribué aux officiers dudit vaisseau et à son équipage. |
Religionnaires
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M. de Seignelay, suivant les principes de M. Colbert et ses propres lumières, ne s’était jamais prêté qu’à regret aux rigueurs que l’on exerçait contre les protestans, et s’opposait autant qu’il pouvait aux démarches qu’un zèle trop outré ou un esprit trop courtisan faisait faire aux évêques, aux commandans et aux intendans des provinces pour les vexer. Il voyait dans ces démarches la ruine du commerce, le dépeuplement des provinces et la perte même de la religion, mais il était obligé de se conformer aux circonstances dans son département. Il commença par exiger que tous les gardes marine, et autres officiers employés au service du Roy, fissent profession de catholicité, et fit congédier ceux qui le refusèrent. Il fit exiger aussi des ministres nouveaux convertis une déclaration publique de leur foi sous peine d’être chassés du royaume. Mais il défendit les recherches trop exactes par ouverture de lettres et ballots comme contraires à la bonne foi, à la confiance et à la sûreté du commerce. Il croyait la tolérance bien plus propre que la sévérité à ramener les esprits à la vraie religion. Il exhorta surtout M. de Matignon, commandant à xxxx [sic], un des plus ardent contre les calvinistes, qui voulait faire des formulaires d’abjuration et se faire commettre pour faire le procès aux fugitifs, à ne point appuyer la persécution, à ne point mettre la main à l’encensoir, à laisser ce soin aux évêques, et à ne point regarder comme article de foi le cordon de St François, le scapulaire et l’opinion du feu dans le purgatoire, dont l’écriture ne parle point. On lui avait proposé de fumer les vaisseaux pour ôter aux religionnaires les moyens de s’y cacher et il y avait consenti en recommandant des précautions pour ne point altérer la santé des hommes et la qualité des marchandises, mais les Hollandais en ayant pris ombrage, quoique sans fondement, et s’étant plaint qu’un enfant était mort pour avoir mangé des pruneaux d’un navire fumé, il révoqua l’ordre de fumer comme préjudiciable au commerce. Il blâma fort un intendant d’avoir outré la rigueur de l’ordonnance en faisant raser sur le quai par la main du bourreau des femmes et filles de la religion prétendue réformée, arrêtées sur un vaisseau anglais. Malgré les adoucissemens et l’exactitude des recherches, on ne put empêcher l’évasion d’un grand nombre de religionnaires et le Roy en ayant senti les conséquences, rendit un arrêt qui permettait à tout marchand et autre étranger de toute religion d’entrer et sortir du royaume avec leurs marchandises, comme par le passé, à la charge de ne point emmener des sujets de sa majesté. Il eut été à souhaiter pour le bien du royaume qu’il n’eut jamais été dérogé à cet arrêt ou qu’on l’eut donné avant que d’avoir fait perdre toute confiance aux religionnaires. |
Saluts
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Louis XIV avait fort à cœur l’honneur de son pavillon, et ne souffrait pas qu’aucune puissance lui refusât le salut, à l’exception des anglais seuls, auxquels il n’en demandait ni n’en rendait aucun. Cependant, en 1684, comme la France avait des ménagemens à garder avec l’Angleterre, M. de Seignelay ordonna aux capitaines de vaisseaux armés en course de prendre des commissions de M. l’amiral afin d’être réputés marchands et de pouvoir saluer en cette qualité tous les vaisseaux de guerre anglais sans compromettre l’honneur du pavillon. Les gouverneurs des places maritimes du duc de Savoye ayant refusé de saluer les galiotes, frégates, et autres bâtimens légers armés en guerre, le Roi en fit porter ses plaintes à ce prince et demanda que le salut fut rendu d’un pareil nombre de coups de canon à tous les bâtimens armés en guerre et commandés par ses officiers. Sa majesté se relâcha cependant depuis à l’égard des barques seulement à qui elle ne permit plus de porter son pavillon, et qui passèrent pour marchandes. Une galère de Gênes, sous prétexte qu’elle était patronne, ayant refusé le salut à un vaisseau du Roi, sa majesté fit déclarer à la république qu’elle entendait que tous ses vaisseaux de guerre fussent salués par leurs galères, même par la Patronne, et demanda que le capitaine génois qui avait refusé le salut fut puni. Ordre du Roy pour que les places maritimes rendent aux étrangers les saluts qui leur sont dus. En 1684, le Roy ordonna à M. Duquesne en cas que les Espagnols refusassent le salut à ses vaisseaux à pavillon égal, de les combattre même en tems de trêve, et ce fut ce qui occasionna le combat de M. de Tourville contre Papachin, vice amiral d’Espagne qu’il obligea de saluer après trois heures de combat. |
Troupes
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M. de Seignelay était ennemi des violences et désapprouvait les enrôlemens de force. Il rejetait en conséquence la proposition qu’on lui faisait d’enrôler de force tous les particuliers qui étaient à charge aux paroisses pour en faire des soldats pour les vaisseaux, mais il approuvait qu’on prit pour ces enrôlemens tous ceux qui se seraient soustraits à la milice. Il donna ordre aux intendans de faire exactement la visite des compagnies des soldats gardiens à demi-solde et de changer tous ceux qui ne seraient pas de taille. Il voulait que tous les soldats devinssent grenadiers, et les faisait exercer à jeter des grenades. Il fit obliger par une ordonnance tous les officiers de marine d’envoyer au commissaire chargé du détail des troupes les noms et signaux de leurs engagés, et de faire viser les congés absolus qu’ils donneraient du capitaine et de l’intendant. Il voulait que les intendans remissent les congés des gardes marine à leur commandant et que ceux des officiers leur fussent remis à eux même, à moins que ces ordres ne fussent compris dans des listes générales, auquel cas c’était au commandant de leur en délivrer l’extrait. Il fit entrer le Roy dans la perte des habits des gardes marine qui mourraient ou qui désertaient, mais il ne voulut point entendre parler de ce qui était dû de l’habillement par ceux qui avaient été congédiés ou cassés et prétendit que c’était à la compagnie à le payer parce que les officiers en auraient du faire la retenue sur la solde des gardes. Il fit défendre aux habitans des ports de rien acheter des soldats gardiens à qui la facilité de vendre donnait lieu de voler ou de se défaire de leurs hardes. |
Ministère de M. de Pontchartrain le chancelier
Principes sur la Marine
Tirés des dépêches et des ordres du Roi donnés sous le Ministère de M. de Pontchartrain le chancelier.
Année 1756
Discours préliminaire
M. de Pontchartrain, premier président du parlement de Bretagne, nommé en 1689 à la place du contrôleur général, vacante par la démission de M. Pelletier, le fut en 1690 à celle de secrétaire d’état, vacante par la mort de M. de Seignelay.
Quoiqu’élevé dans une cour de parlement et par conséquent étranger à ce qui regarde l’administration de la marine, son bon esprit lui en fit saisir d’abord les grands principes. Il se trouvait à peu près dans la même position que M. Colbert, et les finances dont il avait la disposition lui auraient fourni les moyens de rétablir la marine si elle eut pu l’être dans les circonstances d’une guerre déjà allumée entre toutes les puissances maritimes de l’Europe. Il la soutint cependant avec honneur jusqu’à la paix de Ryswick qui ne se fit qu’en 1698 et malgré l’époque fâcheuse de la bataille de la Hougue en 1692 et la grande supériorité depuis ce tems là des ennemis sur mer, il trouva moyen d’avoir sinon des armées navales aussi nombreuses que les leurs, du moins de fortes escadres et des armemens particuliers qui ruinèrent leur commerce.
Le contrôle général employait nécessairement la plus grande partie de son tems, et partageait son attention avec sa charge de secrétaire d’état de marine. Ces deux places faites pour le servir réciproquement étaient néanmoins difficiles à remplir pour un homme seul qui n’y avait pas été formé de jeunesse, et qui se trouvait chargé de rétablir à la fois la marine et les finances. Si quelqu’un eut pu y suffire, c’était M. de Pontchartrain, né avec un génie facile et étendu, et en même tems exact et précis. Les affaires lui coûtaient moins qu’à un autre. Il avait la conception prompte, le coup d’œil juste et l’expression nette et concise. Personne ne disait plus en moins de mots. On en saurait juger par ses dépêches qu’il ne pouvait dicter lui même et dont le style fait la moindre partie d’un homme en place, mais ce qui échappait de sa plume se distinguait aisément et portait son caractère propre. Tous ceux qui l’ont connu lui rendent la même justice. Ses décisions dans le commencement de son ministère suivaient nécessairement le torrent de la coutume et des usages reçus. On n’était pas alors dans le moment d’une réforme. Elles devinrent plus sures peu de tems après, et lorsqu’il se fut mis plus au fait d’une matière qui n’a rien de commun avec toutes les autres. Il vit les abus et chercha à y remédier en ministre habile qui veut rétablir l’ordre mais qui connaît les inconvéniens d’une trop prompte réforme. La discipline était relâchée, il l’a remise en vigueur. Les magasins étaient dégarnis, il travailla à les remplir. Il fallait pour cela du tems et des fonds et la guerre ne laissait ni l’un, ni l’autre à sa disposition. Dés que la paix fut faite, il s’en occupa plus utilement, d’autant plus qu’il prévit qu’on était menacé d’une nouvelle guerre à l’occasion de la prochaine succession d’Espagne.
Son fils étant désigné pour remplir sa place, il profita de cet intervalle pour l’envoyer dans les ports et pour lui procurer la connaissance des détails dont on ne peut se passer quand on est destiné à les conduire.
Il le fit associer au ministère à son retour et ayant été appelé à une dignité supérieure et nommé chancelier en 1700, il lui laissa le soin de perfectionner ce qu’il avait heureusement commencé.
Amirauté
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Il en est peu question dans ses dépêches où l’on voit seulement un arrêt du conseil du 5 février 1691 qui confirme à l’amiral la nomination du maître de quai de la ville de Rouen. Et un autre du 11 février 1699 qui attribue à l’amirauté, à l’exclusion des consuls, la compétence des affaires de la Compagnie du Sénégal. Quoique les procédures des prises se fissent à l’amirauté, M. de Pontchartrain enjoignit aux officiers de cette juridiction de remettre à l’ordonnateur les lettres qui s’y trouveraient pour les faire traduire et les lui envoyer et de communiquer les procédures des prises aux intendans ou commissaires ordonnateurs des ports à mesure qu’elles se feraient. Cet ordre est nécessaire à suivre, surtout en tems de guerre. Ces lettres et ces procédures pouvant souvent contenir des avis utiles et pressés dont on est à portée de profiter sur le champs dans le port, et dont il est important de ne pas laisser échapper le moment. Les amirautés feraient des difficultés aujourd’hui de s’y conformer, et l’on ne pourrait les y engager sans de nouveaux ordres. Ce cas est arrivé à Marseille en 1748. |
Armemens
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Cette partie si essentielle du service de mer était fort dérangée au commencement du ministère de M. de Pontchartrain. Il fit rendre plusieurs ordonnances pour rétablir la règle. Dans les armemens des grandes escadres, les officiers généraux, à commencer par M. de Tourville, vice amiral, et ensuite les plus anciens capitaines, voulaient choisir et trier ce qu’il y avait de meilleur tant en matelots qu’en agrès, en sorte qu’il ne restait plus que le rebut pour les vaisseaux de la queue. M. de Pontchartrain s’y opposa, voulant que ce choix fut à la disposition des intendans, et manda à M. de Tourville que comme ce n’était point son vaisseau seul qui décidait du sort d’une bataille, il fallait que les autres vaisseaux de son escadre fussent à peu près d’égale force. Ce sont ces discussions qui sont pour les intendans une des plus grandes difficultés des armemens. Chaque capitaine voulant avoir pour son vaisseau ce qu’il y a de mieux dans les arsenaux, en quoi on ne saurait trop même les blâmer, mais c’est ce qui porte en même tems le plus grand préjudice au service, lorsque les intendans ne sont plus assés instruits, assés formés et assés accrédités pour faire des répartitions exactes et pour ne pas craindre que l’on fasse retomber sur eux l’évènement des mauvais succès dont les officiers ne manquent jamais de chercher à se disculper dans ces cas là sur ce qu’ils ont été mal armés. Le Roi défendit à tous les capitaines de changer la destination de leurs vaisseaux et leur fit déclarer qu’il nommerait d’autres capitaines à la place de ceux qui se refuseraient de monter celui pour lequel ils seraient nommés, mais en même tems, il permit que quand il n’y serait point nommé par la cour, le plus ancien capitaine choisit le meilleur vaisseau en état d’armer. Il défendit aussi tout changement dans l’œuvre morte et dans les chambres d’un vaisseau sans ordre exprès de l’intendant, et fit payer aux capitaines ceux qui s’étaient faits par leurs ordres. Ce même abus subsiste encore plus ou moins suivant le degré de vigilance et d’exactitude des ordonnateurs et l’on ne saurait imaginer la dépense énorme qu’il occasionne dans les vaisseaux. Il se plaignait extrêmement des consommations exorbitantes des vaisseaux surtout en rade et défendit qu’on fit aucun remplacement de matelots, vivres et agrès qu’à ceux qui auraient essuyé des combats ou des coups de vents à la mer, et non à ceux qui relâcheraient seulement d’un port dans un autre. La consommation des vivres étant un objet essentiel dans les vaisseaux, il prit toutes les mesures possibles pour y conserver l’économie et pour soustraire les munitionnaires au caprice des officiers et des équipages en défendant aux capitaines de refuser les vivres qui auraient été jugés de bonne qualité dans le port, en faisant payer aux capitaines ceux qui avaient été dissipés par leur négligence ou échangés par leurs ordres et en faisant punir ceux qui avaient insulté les commis du munitionnaire. Il défendit aussi que l’on embarqua des vaches, cochons, canards, oies ou dindons sur les vaisseaux à cause de l’infection. On s’est fort relâché sur cet article. Il faisait payer la table aux capitaines tant qu’ils étaient dans la petite rade, pour obliger les officiers de rester à bord et d’y retenir leurs équipages, mais il la fit cesser du jour de la revue faite au désarmement. Il défendit qu’aucun officier dans le port ou à la mer eut d’autres canots à lui que ceux de l’armement ni qu’on les laissât à la mer à la remorque. Il ordonna qu’on mit des canons dans la grande chambre. Il défendit aux capitaines de maltraiter leurs équipages, fit informer contre ceux qui y contrevenaient et les fit punir. Il fit défendre aux matelots de porter des armes pendant l’armement ou désarmement des vaisseaux. Il était exact sur les revues, surtout en tems d’armement et faisait retenir moitié des appointemens de ceux qui en retardaient l’expédition par leur absence. Il ne permettait pas aux capitaines de quitter leurs vaisseaux qu’après le désarmement sous peine d’interdiction, ni que le désarmement fut fait que par les équipages à qui il faisait retenir sur leur solde la paye des journaliers que l’on y employait à leur défaut. Il blâma M. le comte d’Estrées de n’avoir point puni plusieurs officiers de son escadre qui avaient quitté leur bord pour venir à Toulon sans permission. Il fit défendre aussi de faire payer en argent aux capitaines la ration des soldats qui devaient travailler au désarmement et dont les capitaines profitaient en donnant congé aux soldats. Il défendit l’embarquement d’aucun volontaire et fixa à cinq pour cent hommes d’équipage le nombre des gardes marine qui devaient servir sur les vaisseaux en paix comme en tems de guerre, en diminuant d’autant le nombre des équipages. Cette dernière règle n’a pas été observée depuis ce tems là bien exactement. Une compagnie proposa de faire caréner et désarmer les vaisseaux à prix fait et de faire tirer à terre les chalans, chaloupes et canots. On proposa aussi de tenir les futailles remplies d’eau de mer dans les fonds de la cale des vaisseaux désarmés pour y servir de lest. Ces deux propositions n’eurent pas lieu. M. de Pontchartrain obligea les armateurs de payer les écrivains du Roi qu’il mettait sur les vaisseaux que le Roi leur donnait et recommanda aux intendans de n’y employer que des gens qui fussent également de main et de plume. Il punissait les accidens où le hasard n’était présumé avoir que la moindre part, et il interdit deux capitaines, qui étant brouillés ensemble, s’étaient canonnés en se supposant ennemis. Il en interdit un autre au vaisseau duquel le feu avait pris et un autre qui s’était séparé de son escadre sans cause légitime. Mais il avait pour maxime de ne point imputer aux officiers les accidens qui arrivaient à leurs vaisseaux quand il n’y avait rien à leur reprocher pour le courage, la bonne volonté et la vigilance. Il portait son attention jusque sur la sûreté des vaisseaux marchands et ayant appris que trois terre-neuviens s’étaient perdus faute d’être bien armés, il défendit qu’aucun autre sortit du port à l’avenir sans être visité par le commissaire. Cette partie appartient plus particulièrement à l’amirauté. Il mandait aux intendans que quoique les commandans des vaisseaux gardes côtes dussent suivre ce qu’ils leur diraient pour la sûreté des côtes et le transport des munitions, il ne s’en suivait pas qu’ils eussent droit de leur donner des ordres. Equivoque assés difficile à expliquer, qui ne peut rouler que sur la forme et occasionner des tracasseries dans le service. Ordonnance qui oblige les bâtimens marchands qui entreprendront la navigation des isles d’être de retour dans 5 à 6 mois. Impossible dans l’exécution et trop gênante pour le commerce. |
Armemens
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La marine qui avait commencé à s’épuiser sous le ministère précédent acheva de s’affaiblir sous un ministère nouveau où les principes étaient encore moins connus que dans le dernier. Il résultat ce qui arrive à tous les changemens qui doivent même être utiles dans la suite : du trouble et de la confusion dans les commencemens. Les subalternes s’étaient relâchés, les intendans peu instruits ou peu appliqués manquant souvent de fonds qui se trouvaient consommés d’avance, avaient laissé les arsenaux dégarnis et en désordre. Le service languissait dans tous les ports. Les ordres que l’on envoyait n’étaient point exécutés à tems, ce qui faisait manquer les opérations les plus importantes et occasionna beaucoup de dépenses en pure perte. Le ministre avait beau exciter la vigilance par des éloges ou par des reproches et réclamer contre la longueur des armemens, ces discours vagues ne faisaient point d’effet. Les retardemens trouvaient leurs excuses dans le défaut de fonds ou de munitions, mal dont l’origine venait de plus loin. Les ordres même, donnés quelquefois trop précipitamment, devenaient préjudiciables au service. Cette langueur avait passé jusqu’aux officiers et M. de Pontchartrain reprocha vivement à plusieurs d’entre eux de n’avoir pas rempli leur devoir, ni ce que le Roi avait droit d’en attendre, soit dans des escortes de convoys, soit dans des combats particuliers et en fit punir quelques uns. Il ne gênait pas cependant les commandans d’escadre par des ordres trop précis sur la teneur de leurs croisières et sur les mouvemens qu’ils devaient faire à la mer, et il les laissait assés libres de suivre en cela leurs propres idées, voulant même qu’ils prissent sur eux dans quelques occasions, en leur promettant de les avouer de tous les partis qu’ils choisiraient. Il n’étendait pas cette liberté jusqu’à leur permettre de changer les rangs et les postes que les officiers devaient garder, selon leur grade. Il désapprouva M. de Tourville de l’avoir fait dans un combat et M. le comte d’Estrées, vice amiral, de s’être proposé de descendre à terre à ….[sic] Il proposa de faire faire les armemens en rade pour y rendre les officiers et les équipages plus assidus. Cette pratique a tant d’autres inconvéniens pour l’expédition, pour les frais et pour la longueur du transport des munitions, sans compter la longueur du transport, que l’on a été obligé de l’abandonner. M. de Pontchartrain ne sentant pas la marine de France assés forte, surtout depuis l’affaire de la Hougue, pour tenir tête à celle des ennemis, essaya de mettre la course en honneur. Il mit des officiers du Roy de distinction, entre autres M. de Nesmond, à la tête de quelques armemens particuliers. Il fit prendre intérêt au Roi qui entrait en part dans la perte et le profit des armateurs et sur ce que quelques officiers parlèrent de ces armemens avec mépris et se refusèrent même d’y être employés, croyant déroger. Il en fit interdire plusieurs. Il ne voulut pas cependant que les intendans ni les commissaires y prissent aucune part. Plus occupé de la gloire et de l’intérêt du Roi que celui des armateurs, il recommandait aux capitaines d’en venir le plus promptement qu’ils pourraient à l’abordage pour ne pas donner aux convoys le tems de s’échapper. Il les obligeait quelquefois de croiser ensemble et établit une peine contre ceux qui se sépareraient volontairement du commandant. Il fit défendre par une ordonnance aux capitaines de bâtimens marchands de quitter les frégates d’escorte, en cas de convoy, sous peine de 1000 £ d’amende, et aux officiers de ces frégates d’abandonner leurs convoys sous peine de cassation. Il avait d’abord ordonné l’usage des signaux généraux de reconnaissance, mais il en reconnu bientôt l’abus parce que lorsque les ennemis en avaient une fois connaissance, ils s’en servaient contre nous même. Ce fut par la même raison qu’il défendit aux Français de combattre jamais sous d’autre pavillon que sous le leur. Il rétablit la subordination à la mer, voulant qu’en cas de rencontre, le moins ancien capitaine se rangeât sous le pavillon de son ancien. Ce fut à cette occasion que M. Duguay Trouin qui n’était encore que corsaire célèbre, ayant refusé de rendre compte à M. de Seugueres, capitaine de vaisseau, de l’objet de sa navigation, ce dernier le menaça de lui faire donner la cale, dont il fut blâmé par M. de Pontchartrain. Il travailla à l’instruction des pilotes en en faisant embarquer plusieurs sur les vaisseaux garde côtes et en rétablissant l’usage des conférences en présence des officiers, autant peut-être pour leur instruction que pour celle des pilotes. Il eut soin de faire tenir toujours des escadres armées sur les côtes, même en tems de paix, tant pour assurer le commerce, que pour en imposer aux Saltins et aux autres Barbaresques, et pour ramener les matelots libertins dispersés dans les Echelles du levant. Il combattait le scrupule qu’avaient encore quelques officiers de partir les vendredis (M. Bart, capitaine de vaisseau). Il exigeait des commissaires embarqués sur les escadres un compte exact, non seulement de ce qui avait rapport à la navigation, mais de tout ce qu’ils pouvaient apprendre d’utile des lieux où ils touchaient par rapport au commerce et aux forces maritimes des états voisins. Le mémoire de M. Renaud, capitaine de vaisseau, sur la question de savoir s’il est possible d’éviter le combat en présence d’une armée ennemie qui se trouve plus forte. M. Renaud était pour l’affirmative. Ordonnance du Roi de 1692 qui défend sous peine de la vie de quitter les vaisseaux du Roi sans ordre du commandant. Il y avait en 1695 34 galères à Marseille destinées principalement pour la garde des côtes. |
Armemens
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L’objet apparent de la guerre avec l’Angleterre était le rétablissement du Roi Jacques. L’objet réel était la diversion que cette guerre occasionnait du côté de Flandres où le Roi combattait en personne. Jamais affaire ne fut mieux concertée que celle d’Angleterre et n’aurait du avoir un plus heureux succès. On y avait déjà fait passer d’immenses munitions de guerre et de bouche et l’on se préparait à y envoyer de nouveaux secours qui auraient vraisemblablement déterminé la nation. On avait conseillé au Roi Jacques de temporiser jusqu’à leur arrivée, mais se fiant trop à son courage et aux intelligences qu’il croyait avoir en Irlande et dont une partie lui manqua, il fit hasarder la bataille de Kirconel [Aughrim] par le comte de St Ruth qui la perdit avec la vie et toute l’Irlande passa au Roi Guillaume. En Ponant, M. de Nesmond et M. de Villette commandèrent les escadres armées à Brest pour le transport de ces troupes et munitions, l’une de 24 vaisseaux et l’autre de 7 à 8. On y fit travailler jour et nuit. M. de Tourville, vice amiral, commandait le corps d’armée. Il eut ordre de se rendre à la rade de Belle Isle et de se porter partout où il était nécessaire pour assurer le passage de ce convoy et s’opposer aux ennemis qui voulaient le troubler. M. de Pontchartrain lui reprochait souvent sa lenteur à entrer dans ses croisières et sa disposition à rentrer dans les ports, et pressait les intendans de terre et de mer, MM. Desclouzeaux et de Vauvré, de le mettre en état de tenir la mer en conformité des ordres du Roi. Il lui recommandait entre autres choses de s’emparer de la flotte de Smyrne, chargée de plus de 30 millions, qui devait passer dans la Manche et qu’il manqua. Il lui en fit de vifs reproches quoiqu’il n’eut peut-être aucun tort, les mouvemens de la mer étant trop incertains pour pouvoir répondre des évènemens. M. de Pontchartrain concertait avec M. de Louvois les mesures à prendre pour la défense des ports et des côtes. Les intendans de Brest et Rochefort eurent ordre de faire escorter les vaisseaux marchands pour l’Amérique jusqu’à cent lieux au large, et de tenir des bâtimens armés sur la côte pour la défendre des corsaires biscayens. On les laissait les maîtres de nommer les commandans de ces bâtimens. L’alarme ayant pris à St Malo dans la crainte d’un bombardement, M. de Pontchartrain fit rassurer les esprits et défendit la sortie des meubles et des effets de la ville que l’on transportait à la campagne. Après la perte de la bataille de Kerconel [Aughrim] du 22 juillet, on n’eut plus d’autre soin que de ramener en France le peu de troupes et de munitions que l’on put trouver et de mettre les côtes en défense. M. de Tourville rentra à Brest et l’on détacha M. Châteaurenaut avec 30 vaisseaux pour la côte d’Irlande. L’on envoya une autre escadre aux rades de La Rochelle et une autre aux Isles de l’Amérique. Deux mois après MM. De Châteaurenault et de Nesmond eurent ordre d’aller croiser depuis Ouessant jusqu’au cap St Vincent et à la côte de Biscaye, à l’Ouest des Sorlingues et au cap de Clark et de Machecou, pour tacher de surprendre le convoy des galions qui revenaient de l’Amérique richement chargés ou les vaisseaux qui viendraient du Nord d’Angleterre et de Hollande pour prendre le retour de ces galions. Rien ne réussit d’aucun de ces projets, et M. de Pontchartrain en écrivit très vivement à M. de Flacourt, capitaine de vaisseau et commandant une escadre à qui il reprocha d’avoir laissé échapper par sa mauvaise manœuvre l’occasion de se saisir d’un convoy des Espagnols. Il y eut cette année 98 bâtimens armés en Ponant, tant vaisseaux que frégates et brûlots, sans ceux du Levant : deux vaisseaux de guerre à Bayonne, vingt à Rochefort et neuf brûlots, neuf vaisseaux et quatre brûlots à Lorient, seize brûlots et vingt huit vaisseaux à Brest, au Port Louis cinq vaisseaux et sept à Dunkerque. En Levant, M. le comte d’Estrées, vice amiral ayant sous ses ordres le bailli de Noailles qui commandait les galères, fut chargé de toutes les expéditions qui se firent, dont les plus considérables furent l’escorte et le transport par mer des munitions d’artillerie et de vivres nécessaires pour le siège de Villefranche et de Nice que M. de Catinat eut ordre de faire au commencement de la campagne, et le bombardement de Barcelone et d’Alicante où il causa un fort grand dommage dont le Roi lui témoigna son contentement. Il eut ordre ensuite de rentrer à Toulon sur les avis que les ennemis étaient entrés dans la Méditerranée pour le combattre avec des forces supérieures. Il avait des ordres du Roi pour prendre tous les bâtimens hambourgeois considérés comme ennemis parce que la ville d’Hambourg avait fait publier les avocatoires de l’Empereur. M. de Pontchartrain combattait son opinion d’attaquer plutôt les vaisseaux d’escorte que les vaisseaux escortés d’un convoy, pensant que pendant l’action, le convoy pouvait s’échapper plus facilement. |
Armemens
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Cette année fut malheureuse à la marine par la perte de la bataille de la Hougue. Le Roi, ayant voulu faire une nouvelle tentative pour le rétablissement du Roi Jacques, fit rassembler le plus secrètement qu’il put, de différens ports et sous divers prétextes, 200 bâtimens marchands pour le transport des troupes, vivres et munitions propres à faire une descente. On y devait embarquer 10.000 hommes commandés par M. le maréchal de Berwick. 70 vaisseaux de guerre sous les ordres de M. de Tourville, dont 16 que l’on attendait de Toulon, commandés par M. le comte d’Estrées, étaient destinés pour les escorter. Malheureusement, l’escadre de Toulon arriva trop tard, la jonction ne put se faire et d’autres vaisseaux manquèrent par diverses raisons. Il n’en restait que 44 à M. de Tourville. Malgré cet affaiblissement, il reçut ordre exprès de la main du Roi, de combattre les ennemis forts ou faibles en quelque nombre qu’ils se présentassent. Le Roi avait écrit de sa propre main au bas de l’instruction de M. de Tourville, vice amiral : « Ce qui est contenu dans cette instruction est ma volonté que je désire qui soit exécutée sans qu’on y apporte aucun changement ». Le motif d’un ordre si précis était l’assurance que le Roi Jacques avait donné au Roi que dès que la bataille serait engagée, la moitié de la flotte anglaise, sur laquelle il croyait avoir des intelligences, se rangerait de son parti. Les choses tournèrent autrement. Le secret de l’armement fut éventé par le Roi Guillaume. Il découvrit aussi les relations que le Roi Jacques avait dans son armée et la veille du combat il changea une partie des capitaines. Elle était composée de 80 vaisseaux. Malgré cette supériorité, M. de Tourville n’hésita point à l’attaquer avec 44. Il soutint tout le jour le combat sans désavantage et sans perte d’aucun vaisseau, mais la nuit, en ayant séparé plusieurs, il ne se trouva le lendemain qu’avec 33 et se trouvant trop faible, il chercha à éviter les ennemis. 20 de ses vaisseaux, sous la conduite de M. Parmentier, se réfugièrent à St Malo, les 13 autres, obligés de mouiller par leur mauvais état, furent emportés par la marée du côté des ennemis et furent échoués, 3 à Cherbourg et 10 à La Hougue. Les équipages se sauvèrent et avec eux ce qu’il purent débarquer d’agrès, canons et munitions, mais l’armée ennemie s’y étant rassemblée, ces 13 vaisseaux furent brûlés, sans opposition. Cet évènement ruina entièrement les affaires du Roi Jacques et porta un échec à la marine dont elle a eu peine à se relever depuis. On avait tenté avant ces armemens de s’emparer de la flotte marchande de Cadix destinée pour l’Angleterre et la Hollande et escortée de 19 vaisseaux de guerre. M. De Nesmond qui était à la mer avec 10 vaisseaux eut ordre de la suivre et de tacher d’y faire quelques prises sans s’engager dans un combat inégal, pour ne point affaiblir les forces qui devaient composer l’escadre de M. de Tourville, mais il ne put venir à bout de l’entamer. L’affaire de La Hougue jeta une consternation étonnante dans la marine. On ne songea plus qu’à la défense des côtes. On crût les ennemis prêts à les insulter. M. le comte d’Estrées se retira à Brest et fut chargé de sa défense. Au lieu de rester armé en rade avec 45 vaisseaux qui lui restaient soutenus de tous les forts et batteries de la rade, il prit le très mauvais parti d’aller se renfermer dans les rivières de Landerneau et de landeverac [Landévennec ?]. M. de Pontchartrain combattit son opinion par des raisons très solides. Il s’y rendit à la fin, et se remit en rade où les ennemis n’osèrent l’attaquer. L’intendant de Brest eut ordre d’ouvrir tous ses magasins et de donner sans difficulté tout ce qu’on lui demanderait pour la terre, comme pour la mer, ce qui causa une consommation énorme et la peur fut cause que le tems où une prudente économie était le plus nécessaire, fut celui où l’on dépensa le plus. Les ennemis s’étant éloignés, le comte d’Estrées eut ordre de rentrer dans le port de Brest et d’y désarmer une partie de ses vaisseaux. On craignit aussi une descente au Havre. L’intendant eut ordre de prendre toutes les précautions possibles pour la défense. On donna les mêmes ordres à St Malo à M. Lavardin qui commandait pour la terre et à MM. d’Amfreville et Parmentier qui commandaient pour la mer et à Dunkerque à M. Patoulet, intendant. M. le maréchal de Bellefonds, commandant en Normandie, eut ordre d’établir des feux de signaux sur les principaux caps. On fit cependant plusieurs armemens particuliers des débris de la marine du Ponant. MM. De la Cassinière et le chevalier Des Augiers, capitaines de vaisseau, eurent ordre d’aller chacun avec trois vaisseaux croiser sur le cap Finisterre pour y attendre les vaisseaux marchands d’Angleterre et de Hollande venant de Cadix ou d’Amérique. On donna 4 frégates au S. Bart, armateur à Dunkerque avec plein pouvoir de tenir dans le Nord les croisières qu’il jugeait les plus utiles au service pour enlever les flottes anglaises et hollandaises venant de la mer Baltique et détruire la pêche de hareng avec ordre de brûler les bâtimens qu’il prendrait plutôt que de les rançonner. Et M. de Nesmond fut destiné avec six vaisseaux pour tenir la mer sur le cap de Clarck ou dans la Manche intercepter les flottes anglaises et hollandaises qui revenaient des Indes et tacher d’y troubler leur commerce. On fit tenir aussi quelques bâtimens armés à l’entrée de la rivière de Bordeaux pour assurer le commerce contre les corsaires pendant la foire. Mais tous les ordres que l’on donnait aux commandans de ces escadres étaient faibles et se ressentaient de l’abattement du dernier échec. On leur recommandait de ne point s’engager dans un combat inégal, d’éviter les ennemis et d’avoir plus à cœur de troubler leur commerce que de faire des actions d’éclat. En Levant, on eut les mêmes inquiétudes pour une descente des ennemis sur la côte de Provence, d’autant plus qu’il y restait peu de vaisseaux. M. de Grignan qui y commandait eut ordre de faire assembler et distribuer les milices et d’y établir des feux de signaux. Les galères eurent ordre de rester armées aux isles. M. de Courcelles, commandant à Toulon, fit établir des batteries dans la rade et fit former des compagnies de bourgeois. M. le comte d’Estrées eut ordre de partir de Brest avec 15 vaisseaux et 6 brûlots, de passer le détroit hors de la vue des terres avec pavillon anglais ou hollandais pour dérober sa marche aux ennemis, de les chercher et de les combattre dans la Méditerranée quoiqu’ils fussent plus forts en nombre parce qu’ils étaient plus faibles en équipage, de s’aider des galères qui avaient ordre de le joindre au premier avis qu’il leur donnerait, et s’il avait quelques succès, d’en informer aussitôt les ambassadeurs envoyés et résidens des cours d’Italie pour tacher de relever la réputation des forces navales de sa majesté, affaiblies par le dernier combat de La Hougue. On envoya M. de Réal, capitaine de vaisseau dans le fleuve St Laurent avec trois vaisseaux et trois brûlots pour combattre quelques vaisseaux anglais qui y étaient à dessein de boucher le passage du Canada, et en cas qu’il ne les y trouvât pas, il avait ordre d’aller à Terre Neuve détruire les habitations anglaises et de s’y emparer du fort St Jean, conjointement avec les troupes et le gouverneur de Plaisance auquel il devait laisser le commandement de l’entreprise. |
Armemens
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En Ponant, quelque précaution qu’on eut pris pour la défense des côtes en les garnissant de batteries que l’on faisait servir même par des officiers de marine et en faisant camper 5000 hommes de cavalerie à Vitré sous les ordres de Monsieur, pour se porter où leur secours serait nécessaire. M. de Tourville ayant représenté qu’il ne croyait pas les vaisseaux du Roi en sûreté dans le port de Brest, eut ordre d’en sortir pour aller croiser sur Ouessant, y observer les mouvemens des ennemis et les suivre, mais d’éviter surtout de les approcher de trop près dans la crainte de s’exposer à une action douteuse. Il semblait alors que l’on cherchait moins à combattre les ennemis qu’à les affaiblir en ruinant leur commerce. On guettait depuis longtems les flottes marchandes d’Angleterre et de Hollande destinées pour les côtes de Biscaye. M. de Nesmond qui avait été chargé de les chercher l’année dernière avec 6 voiles et M. Gabaret qui avait été envoyé avec 5 au commencement de la campagne sur le cap Pinas, n’avaient pu venir à bout de les joindre. Enfin, sur des avis sûrs que cette flotte composée de 150 voiles devait partir en mai, des ports d’Angleterre pour passer au Levant, M. de Tourville eut ordre de l’aller attendre sur le cap St Vincent. Elle vint tomber heureusement sur son armée le 27 juin. Il détacha M. de Gabaret avec 22 vaisseaux pour l’envelopper et le prendre comme dans un filet. Ce qui serait arrivé sans la mauvaise manœuvre de M. de Gabaret qui, au lieu de passer la chasse en avant avec ses coureurs, s’attacha à combattre deux vaisseaux de guerre hollandais, fit signal de ralliement à son avant garde et donna par là le tems au gros de la flotte de forcer de voile et de s’échapper pendant la nuit. On ne laissa pas de prendre ce jour 18 bâtimens marchands avec 2 vaisseaux d’escorte et d’en brûler 45. Quelques jours après, plusieurs de ces vaisseaux s’étant retirés sous les forts de Gibraltar et de Malaga, y furent brûlés ou pris. Cette perte coûta aux ennemis, de leur aveu, plus de 20 millions. Il est à remarquer que quoique M. de Tourville eut ordre d’aller chercher cette flotte jusqu’à Cadix et dans le Pontal, de faire même mettre pied à terre aux troupes de la marine s’il était besoin, il lui fit défendre cependant d’attaquer ou de bombarder cette ville, ni même de la faire contribuer. Après cette expédition, M. de Tourville eut ordre de repasser en Ponant après avoir pris des vivres à Toulon, et de tacher de brûler en passant les vaisseaux d’Espagne dans le port de Mahon. Le Roi qui avait cette expédition fort à cœur, trouvait bon même que l’on y sacrifiât quelques uns des vaisseaux, mais elle n’eut pas lieu et l’on fit seulement croiser pendant le reste de la campagne cinq vaisseaux depuis le cap de Gâte jusqu’au cap Parrassol pour s’emparer des vaisseaux marchands échappés à M. de Tourville qui voudraient passer en Levant, et pour troubler le commerce des ennemis. M. le duc de Chaulnes avait eu des ordres en Bretagne de mettre particulièrement St Malo en état de défense. On y avait fait passer deux galères, des mortiers et des bombes et permis une levée de 600 matelots dont la dépense fut prise sur une taxe imposée sur tous les habitans, sans distinctions de privilègiés, même ecclésiastiques. Cette précaution était nécessaire et empêcha le bombardement de St Malo et l’effet d’une machine infernale que les ennemis avaient disposée à grand frais pour brûler la ville et qui, ayant été détournée par le canon des forts, échoua contre les roches où elle fit beaucoup de bruit et peu d’effet. M. de La Varenne fut envoyé avec un vaisseau de guerre et quatre frégates en Groenland pour détruire la pêche de la baleine des vaisseaux anglais, hollandais et hambourgeois. Cette expédition réussit. On prit onze de ces bâtimens pêcheurs et on dispersa le reste. M. Bart fut envoyé dans le Nord avec trois vaisseaux et trois frégates pour le même objet. Et M. le comte de Relingue fut envoyé avec 4 vaisseaux aux isles des Açores pour y attendre la flotte du Mexique. En Levant, au commencement de la campagne, le comte d’Estrées eut ordre d’aller avec 10 vaisseaux, 6 brûlots et 2 galiotes à bombes brûler les vaisseaux d’Espagne qui s’étaient retirés à Baye et insulter Pouzoles, mais cette expédition n’eut pas lieu par la sortie de ces vaisseaux qu’il chercha depuis inutilement à combattre en pleine mer. Ils s’étaient réfugiés à Port Mahon. Il fut envoyé an mai avec 20 vaisseaux et toutes les galères au siège de Rosas que faisait le maréchal de Noailles. Il l’assiégea par mer et contribua beaucoup à la prise de cette place. |
Armemens
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Il n’y eut point d’action d’éclat cette année de la part des vaisseaux du Roi. On se tint sur la défensive et l’on ne songea qu’à la conservation des côtes. En Ponant, les ennemis firent une descente à la pointe de Camaret, proche Brest, qu’ils comptaient surprendre par les derrières. Le 18 juin, Ils en furent repoussés avec perte. Ils ne réussirent pas mieux au Havre et à Dunkerque qu’ils tentèrent de bombarder et où leurs machines infernales ne firent aucun effet. On avait pris d’avance toutes les précautions nécessaires pour mettre ces places en défense et pour garder la côte. Le Roi fit payer à la ville de St Malo la dépense des équipages des brûlots et chaloupes armés pour sa défense à 12 ou 131.000 £ [sic]. Mais ils bombardèrent et brûlèrent Dieppe le 22 juillet dont les maisons étaient de bois et que le Roi fit rebâtir en briques et beaucoup plus régulièrement la même année, en accordant pour cela des secours d’argent, de bois et des privilèges aux habitans. Le Roi avait fait armer 20 vaisseaux à Brest pour aller sous la conduite de M. de Châteaumorant seconder les opérations de M. le maréchal de Noailles en Catalogne et surtout pour prendre la flotte anglaise et hollandaise escortée de 11 vaisseaux de guerre qui devait passer dans le Levant. Il avait fait faire aussi quelques armemens particuliers pour le même sujet, mais le hasard y pourvut de lui même. Ces bâtimens furent surpris d’un coup de vent en entrant dans la Méditerranée. Trois vaisseaux de guerre où était l’argent d’Espagne périrent à la mer, deux échouèrent, quatre furent démâtés et 12 bâtimens marchands furent naufragés. Cette perte fut estimée à 5 millions d’écus. M. le comte de Châteaurenault, passant de Ponant en Levant pour aller joindre M. de Tourville, ne mit que 13 jours de Brest à Toulon, et prit dans sa route trois bâtimens anglais, en brûla deux autres avec 5 barques dans le port Magno et 4 vaisseaux de guerre espagnols dans les Alfages [de Tortose]. Le S. Bart, armé en course à Dunkerque, eut le succès le plus brillant. Avec 6 frégates, il attaqua 8 gros vaisseaux de guerre hollandais qui s’étaient emparés d’un convoy de bâtimens français chargés de bleds venant du Nord, en prit trois à l’abordage, mit en fuite les 5 autres et ramena le convoy dans les ports de France. Il fut anobli et fut encore chargé d’autres expéditions dans le Nord contre une flotte hollandaise et on lui reprocha bien injustement la lenteur de son départ. M. de Sarron eut ordre de croiser à l’entrée de la garonne. M. de St Clair, capitaine de vaisseau, fut envoyé avec trois vaisseaux sur le grand banc pour y troubler le commerce des anglais et pour assurer le nôtre. Sa croisière était établie entre le 40e et le 44e degré de latitude. M. de Bigone fut chargé d’escorter avec deux frégates les vaisseaux marchands destinés pour l’Amérique et l’on procura toutes sortes de facilités aux armateurs qui voulaient se joindre aux vaisseaux du Roi pour aller croiser sous leurs ordres dans les mers du Mexique, leur promettant même d’avoir part dans les prises qui se feraient par les vaisseaux du Roi. Le Roi approuva le projet de M. Degastine de ne laisser croiser les corsaires de St Malo que par escadres. Ce projet ne pu avoir lieu, la course voulant être libre. Il fit défendre le 15 Xbre aux capitaines des bâtimens marchands de passer du Ponant en Levant, sous peine d’une amende de 1500 £ et de six mois de prison, étant informé que les ennemis avaient une escadre considérable à l’entrée du détroit. Le Roi, indigné des cruautés dont les Espagnols en usaient envers les prisonniers français en Mexique fit déclarer par l’intendant aux prisonniers espagnols qui étaient à Brest que si leur gouvernement n’y mettait ordre, il serait forcé à regret d’user contre eux de représailles. En Levant, l’armée de M. de Tourville, mouillée aux isles d’Hyères, était composée de 35 vaisseaux de guerre et de 25 frégates. Il devait être joint par M. de Châteaurenault avec dix huit vaisseaux. Il eut ordre de se rendre à la côte de Catalogne, de seconder les opérations du maréchal de Noailles pour le siège de Palamos (elle fut prise le 7 juin et le château le 10) et de toutes les places qu’il voudrait entreprendre d’assiéger, et chemin faisant, de chercher les ennemis que l’on estimait ne pouvoir avoir plus de 40 vaisseaux. Il se prêta à cette opération et fit tout ce qu’on avait lieu d’attendre de lui. Mais le Roy, ayant eu depuis avis que l’amiral Russell devait entrer dans la Méditerranée avec des forces supérieures, lui donna le choix ou d’aller dans le fond du Levant pour l’éviter ou de lui disputer le passage du détroit ou de repasser en Ponant au hasard de le rencontrer ou de rentrer dans Toulon. Il choisit le dernier parti et n’en fut pas approuvé. Les galères furent partagées entre Toulon et Marseille. Peu de tems après, le Roi ayant eu des avis plus sûrs du mauvais état des vaisseaux ennemis, reprit le projet du siège de Barcelone et manda à M. de Tourville de s’y rendre avec les galères, mais le maréchal de Noailles ne s’étant pas trouvé en état de l’entreprendre par terre, M. de Tourville reçut encore un court ordre pour faire désarmer les vaisseaux du Levant à Toulon, et renvoyer les autres au Ponant, sous la conduite de M. de Châteaurenault. Le Roi, mécontent des villes de Gênes et Livourne qui favorisaient le transport de l’argent d’Espagne en Milanais, laissaient poursuivre les bâtimens français par les corsaires ennemis jusque sous leur canon, et donnaient retraite à ces corsaires dans leurs ports, en fit porter plainte à ces républiques par les envoyés ou consuls, les menaça de représailles et de rompre la neutralité, leur fit demander la restitution des prises faites, les obligea à faire sortir ces corsaires ennemis de leurs ports, et donna ordre à M. de Châteaumorant de croiser sur le cap Corse, de ne laisser sortir aucun vaisseau de Gênes sans le visiter et de saisir l’argent et les munitions qu’il trouverait chargés pour le compte des ennemis. Il fit armer aussi quelques vaisseaux par M. Duquesne-Mosnier, M. Delaligne, et M. de Pales pour croiser dans le canal de Malte, les isles St Pierre et sur la côte de Barbarie, contre les Sténinguois et les Barbaresques, mais ils n’eurent aucun succès. Dans le Nord, la France, pour faire diversion à l’Angleterre et à la Hollande, cherchait à lui susciter des ennemis dans toutes les cours. On ménageait leurs vaisseaux en toutes occasions et on chargeait les ambassadeurs et envoyés de leur faire observer la différence de notre conduite à celle des Anglais et combien ces derniers respectaient peu leur pavillon dans le transport des munitions qui devaient passer librement sur leurs vaisseaux et qui étaient souvent saisis et confisqués par les Anglais. On aurait pu répondre à ces représentations que les munitions de guerre et de bouche étaient souvent confisquées, même sur les vaisseaux neutres lorsqu’il avait été prouvé qu’elles appartenaient à l’ennemi et que la France en avait usé de même en diverses rencontres. Des négocians de Bayonne ayant perdu des sommes considérables dans une sédition à Saragosse, il fut question de faire arrêter tous les Aragonais qui seraient dans le royaume, et de leur déclarer qu’ils resteraient prisonniers jusqu’à ce qu’il eut été pourvu au payement des pertes faites contre la foi des traités. Le Roi entretenait des correspondans et des espèces d’espions chez tous les ennemis, et donnait jusqu’à 1500 £ à celui qui donnait des nouvelles d’Espagne. |
Armemens
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Il n’y eut point cette année d’action générale. Tout se passa en armemens particuliers et en actions détachées. En Ponant, M. de Nesmond en eut tout l’honneur. Il avait une escadre composée de cinq vaisseaux, onze frégates et deux brûlots. Il eut ordre d’aller attaquer la flotte anglaise et hollandaise venant de St Ogue en Angleterre et trois vaisseaux de guerre qui passaient 6000 hommes d’Angleterre en Catalogne. Il manqua cette expédition ne s’étant pas trouvé prêt à tems. M. de Pontchartrain lui donnait avis et aux autres armateurs de toutes les occasions où ils pouvaient attaquer les ennemis avec avantage, particulièrement en leur enlevant des convoyes, mais il les laissait les maîtres de choisir leurs croisières et de n’entreprendre que ce qu’ils croyaient possible avec leurs escadres. Le Roi permit même à M. de Nesmond de faire construire à ses frais trois frégates de 36 à 50 canons et s’engagea à lui fournir le bois, le fer, la mâture, canons, poudre, boulets et généralement tout ce qui serait nécessaire pour la guerre, en payant seulement la main d’œuvre dont il lui serait tenu compte sur les 5e des prises qu’il ferait et qui devrait revenir au Roi, et en fournissant la solde et les vivres aux équipages au taux du Roi, lui promettant de plus, en cas de perte ou de prise des dites frégates, de lui fournir d’autres vaisseaux pour continuer la course jusqu’à son parfait remboursement. Il fit plusieurs prises, entre autres celles d’un vaisseau de guerre au mois de mai et d’une frégate anglaise, richement chargée, revenant des Indes orientales, qu’il enleva presque toute entière en 7bre après avoir pris des vaisseaux de guerre qui l’escortaient. Le Roi lui en marqua sa satisfaction. M. de Baubriant, capitaine de vaisseau, coula à fond un vaisseau de guerre prés de Dunkerque. Nous eûmes aussi quelques échecs, mais ils nous firent honneur. L’amiral Russel, anglais, combattit avec 6 vaisseaux, deux vaisseaux commandés par M. de Larochelais et ne put parvenir à les prendre qu’au bout de 24 heures, démâtés, sans agrès et en si mauvais état qu’il les laissa échoués aux plages de Sicile. Le Roi, quoique fâché de la perte de deux bons vaisseaux, marqua sa satisfaction à M. de Larochechalan de sa belle défense et de son mécontentement à M. de Seve de ce qu’il avait laissé échapper huit vaisseaux marchands qu’il aurait pu prendre. Les ennemis cette année ci étant supérieurs en forces et ne trouvant point d’armée à combattre dans le Ponant, s’employèrent à tacher d’insulter nos côtes et y jetèrent quelques bombes à Dunkerque, à Calais, à St Malo et dans d’autres petits ports qui n’y firent pas grand effet. En Levant, il fut fait plusieurs petits armemens particuliers. De deux vaisseaux sur le cap Spartivento pour assurer le commerce sur les côtes de Barbarie. D’une frégate sur le cap contre les Sténinguois. D’une corvette de Marseille à Sète contre les brigantins majorquins. D’un autre vaisseau sur Monaco contre les corsaires d’Ancille. Enfin, il fut donné ordre à M. de Vauvré d’armer à Toulon 30 vaisseaux pour le mois de 7bre, mais cet armement reçut un court ordre et n’eut lieu que l’année suivante. On continuait de se plaindre des mauvais traitemens des Anglais à l’égard de nos prisonniers et on les menaçait de représailles. L’on ne cessait d’exciter les puissances du Nord, particulièrement la Suède à se déclarer contre nos ennemis ou du moins de mieux observer la neutralité à leur égard et au nôtre. On faisait agir dans le même esprit à la Porte M. de Castagueres, ambassadeur à Constantinople. L’on fit arrêter les sujets du duc de Holstein, trouvés en mer, sur ce que l’on apprit qu’il permettait des levées pour les alliés dans ses états. L’armée navale des ennemis arrivée devant Barcelone le 28 juillet en mauvais état et avec beaucoup de malade et ayant été obligée de relâcher au golfe de Palamos dont elle avait tenté inutilement de bombarder la ville, ne fit aucune expédition considérable dans la Méditerranée et fut contrainte de l’abandonner avant la fin de l’année. |
Armemens
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Le Roi fit encore cette année une nouvelle tentative pour le rétablissement du Roi Jacques. On disposa des bâtimens pour une descente de 20 mille hommes escortés par onze vaisseaux de guerre commandés par M. de Gabaret. Tout était prêt pour l’embarquement à Calais où le Roi Jacques s’était rendu en personne. Sa lenteur à embarquer pour attendre la réponse de quelques intrigues qu’il formait en Angleterre, y fit éventer le secret de cette expédition. On y arrêta tous les gens suspects au nouveau gouvernement et l’on y prit des mesures pour rendre cette expédition impraticable. La plus grande partie de nos vaisseaux de guerre étant désarmés à Toulon, ce qui rendait les ennemis maîtres de la mer en Ponant, M. de Châteaurenault fut chargé d’y en faire repasser une partie, malgré 35 vaisseaux ennemis qui en fermaient le passage au détroit, et eut ordre de leur dérober sa marche s’il pouvait, de les combattre s’il était supérieur ou égal en forces, mais surtout de ne pas risquer un combat inégal (c’était assés le style de tous les ordres depuis le combat de La Hougue). Il remplit sa mission sans coup férir. Enfin [il fut] chargé ensuite d’aller avec 12 vaisseaux prendre sous Cadix les galions qui devaient arriver du Mexique, mais ils lui échappèrent et cette expédition fut infructueuse ainsi que le projet d’attaquer une flotte anglaise et hollandaise dans le port de St Hogue. Il y avait déjà des projets de paix sur le tapis et le Roi ne jugeant pas devoir entretenir de grandes armées sur mer, tourna ses vues du côté de la course. Il fit donner nombre de ses vaisseaux à des armateurs particuliers à des conditions très avantageuses. Il fournissait ses vaisseaux armés de canons, munitions et agrès et les officiers dont il payait les appointemens comme à la mer. Les armateurs n’avaient à payer que la table, la solde et la nourriture des équipages. Il n’exigeait que le quart du produit net des prises, tous frais déduits, et il consentait que le dixième des officiers et équipage fusse prélevé avant son quart, pour tout ce qui serait au dessous d’un million, et le 30e pour ce qui serait au dessus. Pour mettre les armemens plus en honneur, il fit dire à tous les officiers qu’il les regardait comme son service propre, et il ordonna que dans les rencontres à la mer, les plus anciens capitaines de ces armemens commandassent aux moins anciens qui monteraient ses propres vaisseaux. En Ponant, plusieurs capitaines, même des officiers généraux, en prirent le parti. MM. De St Marc, de Champigny et de Pointis, chefs d’escadre, de Nesmond, lieutenant général, avec 5 vaisseaux et deux flûtes, enleva une flotte hollandaise avec le convoy qui l’escortait. M. Bart avec sept frégates, traversa une escadre de 22 vaisseaux de guerre anglais, attaqua une flotte hollandaise de 80 bâtimens escortés de cinq vaisseaux de guerre qu’il enleva à l’abordage et où il mit le feu, brûla trente des plus gros vaisseaux de la flotte, et l’aurait entièrement détruite sans une escadre de 13 vaisseaux de guerre qui vint au secours. Les ennemis ayant repris le projet d’insulter nos côtes, on prit de nouvelles mesures pour les en garantir. On fit camper 300 soldats de marine auprès de St Brieuc pour se porter partout sur la côte en cas de descente. La marine fournit les canons nécessaires pour garnir les batteries des côtes de Picardie, les communautés fournirent les plates formes. On construisit des pontons à St Malo sur lesquels on établit des batteries pour en défendre les approches aux ennemis. On fit armer à St Malo, au Havre, à Morlaix et sur le cap d’Orgerol et Depines, et à l’entrée de la Garonne des bâtimens légers pour assurer le commerce des côtes. Les ennemis tentèrent une entreprise sur Belle Isle qu’ils jugèrent impraticable en y abordant et firent jeter quelques bombes aux isles de Groix, à Calais, en Ré et aux Sables d’Olonne où ils ne causèrent pas un fort grand dommage. On fit estimer par les intendans le dommage causé aux habitans des villes bombardées, pour trouver le moyen de les indemniser sans que le Roi y entrât. En Levant, on fit croiser les chevaliers de Forbin et de Bigoine avec deux vaisseaux, du cap de Gatte aux côtes de Sardaigne, et quatre galères, de Toulon à Monaco. On envoya le chevalier des Augiers avec 6 vaisseaux croiser sur Porto Rico en Amérique pour y attendre l’armadille espagnole et pour faire une descente à la Jamaïque en en laissant le commandement au gouverneur de St Domingue. Il prit à la côte de Caraque une galiote richement chargée. On excita aussi les armateurs de St Malo à faire quelqu’entreprise contre Surinam, et à aller croiser dans le golfe du Mexique, sur les côtes de la Caroline, de la Virginie, de la Nouvelle Angleterre et de la Nouvelle York pour y faire des prises. On leur permit même de faire des rançons (cet article doit être rapporté à l’année 1695. 12 janvier). Huit Français d’un bâtiment corsaire, forcés par le mauvais tems de mettre pied à terre sur les côtes de Hollande ayant été fusillés contre le droit des gens, on menaça les Hollandais de représailles sur leurs prisonniers, mais l’on se contenta d’en faire mettre trois aux galères. |
Armemens
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Malgré les approches de la paix, les armemens particuliers continuèrent et devinrent même plus considérables parce qu’ils se formèrent des débris des armés navales. Un des plus importans fut celui de M. de Pointis qui, avec 12 vaisseaux que le Roi lui fournit aux mêmes conditions que les autres armateurs, 2000 soldats embarqués de France, 450 que lui fournit par ordre M. Ducasse, gouverneur de St Domingue et ce qu’il put rassembler, assiégea Carthagène, place très forte et très riche des Espagnols, la prit en trois semaines et en rapporta dix millions en or, argent et pierreries, sans compter ce qui fut pris par les équipages, sur qui l’on fit des recherches inutiles. Avant de partir, il fit embarquer les cloches et l’artillerie de la ville qui était considérable, évita une escadre anglaise de 24 vaisseaux qui l’attendait au dehors des Bahamas, en combattit une de sept avec avantage, et rentra à Brest le 29 août, ayant perdu la moitié de son équipage. M. Duguay Trouin, célèbre armateur de St Malo, enleva avec 5 vaisseaux corsaires une flotte anglaise et hollandaise venant de Bilbao, escortée de trois gros vaisseaux de guerre qu’il prit à l’abordage et qu’il ramena dans le port avec dix gros vaisseaux marchands. Le Roi le fit capitaine de frégate. M. de Nesmond avec 6 vaisseaux de guerre en prit trois anglais venant des isles, richement chargés. M. d’Iberville, avec 4 vaisseaux, prit le fort de Nelson aux Anglais en Canada, deux vaisseaux de guerre et en coula à fonds un troisième. Il y eut quelques autres petits armemens particuliers en Levant d’un vaisseau sur les Alfages et salé commandé par M. de Palles. D’un commandé par le chevalier Bigoine aux isles St Pierre. Et de quelques autres bâtimens de Toulon pour croiser contre les corsaires qui, malgré la neutralité, enlevaient nos bâtimens dans les rades de Gênes et de Livourne. Le grand duc en fit arrêter un, et l’obligea à restituer aux Français la valeur des prises qu’il avait faites. M. le comte d’Estrées fut envoyé au siège de Barcelone avec tout ce qu’on put rassembler de vaisseaux de guerre dispersés dans les croisières, 30 galères commandées par le bailli de Noailles et deux galiotes à bombes, mais toujours avec ordre de ne point commettre avec des forces supérieures. Les troupes de la marine y servirent avec grande distinction par terre et par mer et contribuèrent beaucoup à la prise de cette place qui se rendit le 10 août. Elles eurent 4 sous d’augmentation. M. Bart, chef d’escadre, passa avec cinq frégates M. le prince de Conti de Dunkerque à Dantzig malgré une grosse escadre anglaise qui bloquait Dunkerque. Ce prince avait été élu Roi de Pologne. Enfin la paix ayant été signée le 21. 7bre à Riswick avec l’Espagne, l’Angleterre et la Hollande, M. de Châteaurenault eut ordre de repasser de Brest à Toulon avec huit vaisseaux sans commettre aucune hostilité, hors en cas de défense forcée. Les traités de paix fixaient aux vaisseaux corsaires qui étaient à la mer, le tems de six semaines d’Ouessant au cap St Vincent et de dix dans la Méditerranée, pour rendre leurs prises valables. On fit cesser aussitôt dans tous les ports tous les préparatifs qui s’y faisaient pour les armemens et pour la défense des côtes. |
Armemens
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Avant que tous les bâtimens qui étaient à la mer fussent instruits des conditions de la paix, il se commit quelques hostilités qui furent désavouées de part et d’autre et dont le Roi ne voulut pas tirer raison. Le maître d’une barque française fut maltraité à Douvres par la populace. M. de Pontchartrain fit faire défense aux matelots d’user de représailles. Un bâtiment hollandais refusant de raisonner à deux vaisseaux du Roi, dont l’un l’aborda, se fit sauter en l’air avec celui qui l’avait abordé. On envoya des vaisseaux en Levant faire la visite des Echelles et en ramener les matelots français dispersés, avec ordre de visiter tous les bâtimens étrangers, hors les Anglais qui se fournirent à la même réserve à l’égard de nos bâtimens, et d’enlever tous les sujets du Roi qui s’y trouveraient, de se faire voir aux Barbaresques avec qui l’on était alors en paix, de ne point troubler leur commerce, et de n’en exiger que le salut. Le Roi ayant même donné au Roi d’Espagne, qui le lui avait fait demander, huit ou dix de ses vaisseaux pour aller au devant de la flotte des Indes et l’escorter contre les Algériens, ces vaisseaux eurent ordre de ne point attaquer les Barbaresques les premiers pour ne point contrevenir aux traités et de ne faire que défendre les galions sur le fondement que la France y avait le plus gros intérêt. Mais le Roi exigea que les sujets du Roi d’Espagne qui iraient à la Porte où dans les Echelles pour leurs affaires particulières, se missent sous la protection de [la] France, de préférence à celle de toute autre nation. Et que les Français qui iraient dans les ports d’Espagne et de Naples y jouissent de tous les privilèges accordés aux anglais et aux autres nations les plus favorisées. Le Roi approuva que le privilège du pavillon de France n’eut point lieu dans le port de Malte, pour réfugier les esclaves qui s’y seraient sauvés. Quoiqu’on fut en pleine paix, on soupçonnait que la future succession d’Espagne pourrait donner lieu à une guerre prochaine, et l’on faisait de part et d’autre des préparatifs secrets. Les intendans eurent ordre de tenir prêt à être armés dans les seuls ports du Ponant pour 1700 : 70 vaisseaux, 8 du 1er rang, 12 du second, 18 du 3e, et le reste du 4e et 5e rang, frégates et bâtimens de charge pour les colonies, comme en 1694. A Brest, 5 vaisseaux du 1er rang, 6 du 2e, 9 du 3e, trois frégates, six brûlots et quatre bâtimens de charge. Au Port Louis, quatre vaisseaux du 3e rang, un du 4e et deux frégates. A Bayonne, trois bâtimens. Au Havre, un vaisseau du 3e rang, un du 5e et une frégate. A Dunkerque, 2 vaisseaux du 3e rang, deux du 4e, deux du 5e et trois corvettes. |
Armemens
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Elle se réduisit pour les vaisseaux du Roi à quelques escortes qui furent données pour convoyer des bâtimens marchands et pour s’opposer aux entreprises des Anglais dans le golfe de Saint Laurent. M. de Réal, capitaine de vaisseau, fut détaché avec 3 vaisseaux [et] 3 brûlots pour combattre les Anglais, détruire leurs habitations en Terre Neuve, et pour les chasser entièrement de la pêche du grand banc. Il eut ordre de n’agir dans ces expéditions que sous les ordres du gouverneur de Plaisance. On excitait aussi les corsaires à armer en course dans le golfe du Mexique et à croiser sur les côtes de la Caroline, de la Virginie et de la Nouvelle York, en leur promettant même de faire des rançons, ce qui ne leur avait pas été accordé jusqu’alors. On envoya en 1695 cent filles pour peupler les colonies de l’Amérique. Le chevalier des Augiers fut chargé de les y conduire. Les expéditions les plus considérables qui furent faites en Amérique furent celle de M. de Pointis sur Carthagène en 1697 au mois d’avril et mai, et M. d’Iberville sur le fort de Nelson dans la même année. Le détail en est décrit plus au long dans l’article de la guerre d’Angleterre et de Hollande en 1697. |
Armemens
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Les hostilités pendant la guerre étaient passées jusque dans les grandes Indes. L’on cherchait réciproquement à y troubler le commerce ennemi et à faire des prises. On y envoya pour cela diverses escadres et l’on excita les armateurs à y faire la course. Les Hollandais avaient pris sur nous Pondichéry en 1693, qui ne fut rendu qu’en 1698, à la paix de Ryswick. En 1695, M. de Serquigny, capitaine de vaisseau, partit pour en escorter trois de la compagnie à Masulipatam et à l’embouchure du Gange, avec ordre de faire en route les prises qu’il pourrait et de les ramener lui même avec deux vaisseaux, si elles montaient à 4 millions, mais de les brûler plutôt que de les laisser reprendre par les ennemis, d’observer la neutralité sur les côtes du grand Mogol, à moins qu’il n’y fut attaqué contre les traités par les Anglais et Hollandais, d’éviter à son retour les isles d’Amérique et de ne toucher au plus qu’à la Grenade, plutôt qu’à la Martinique, de ne venir atterrer en France qu’au mois d’octobre pour éviter les escadres ennemies et de déferrer beaucoup aux avis des commandans des vaisseaux de la compagnie. Le détail des mouillages où il devait toucher, de la route et de la conduite qu’il devait tenir est extrêmement étendu dans son instruction. En 1698, après la paix, le chevalier des Augiers, capitaine de vaisseaux, y fut envoyé avec 4 vaisseaux pour reprendre possession de Pondichéry, rétablir les affaires du commerce, concerter avec les directeurs de la compagnie les nouveaux établissemens qui s’y pourraient faire, y laisser des troupes, des canons, des munitions, et un de ses vaisseaux même, s’il était nécessaire, mais sans souffrir que les officiers prissent autorité sur les commis de la compagnie pour ce qui regardait les affaires de leur commerce, d’aller à Surate pour engager le gouverneur à favoriser le commerce de France et à permettre l’extraction des marchandises du pays, et en cas qu’il ne put y réussir, d’embarquer les effets des Français et de les ramener en France. Cet armement essuya des contretems et des accidens qui ne furent point imputés à la valeur ni aux talens du capitaine. Il fut accordé aussi au Sr. de La Roque, capitaine de vaisseau, une frégate pour la Chine avec ordre de bien observer dans sa route les vents, les marées, les courans, les mouillages et d’en faire un journal qui put servir dans la suite. En 1699, M. De Châteaumorant fut envoyé avec 3 vaisseaux à Pondichéry avec des instructions encore plus détaillées relative aux mêmes objets que celles de M. le chevalier des Augiers. Il eut ordre aussi de courir sur les forbans tant anglais que hollandais qui infectaient les côtes de Siam et de s’en faire un mérite auprès du grand Mogol qui voulait rendre la nation française responsable de toutes les pirateries qui se faisaient, mais surtout il eut ordre de se conformer aux idées des directeurs de la compagnie qui étaient sur les lieux. Ces directeurs reçurent les mêmes ordres. |
Armemens barbaresques
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La conduite à tenir avec les Barbaresques a toujours été un des points les plus délicats à traiter pour la marine. Ces puissances ne peuvent être utiles, mais elles peuvent nuire surtout au commerce. Il est bien établi qu’il n’y a rien à gagner à être en guerre avec eux, vu que ce qu’on peut leur prendre, ne dédommage pas seulement des frais de la guerre qu’on leur fait, encore moins des prises qu’ils nous font, mais il est toujours nécessaire de la leur faire craindre, parce qu’il n’y a que cette crainte qui puisse garantir avec eux la foi des traités sur lesquels on ne peut jamais compter lorsqu’ils trouvent leur intérêt à les rompre. C’est pourquoi on faisait paraître souvent des vaisseaux sur les côtes pour les intimider. On leur parlait toujours hautement et en leur vantant la puissance du Roi pour les maintenir dans le respect qu’ils devaient au pavillon, mais l’on n’en venait que le plus tard qu’il était possible à une rupture ouverte et l’on dissimulait bien des infractions quand elles étaient légères pour n’être pas obligé de les punir. On considérait d’ailleurs que les Barbaresques nous servaient à troubler non seulement le commerce des nations avec qui nous étions en guerre, à quoi on les portait autant que l’on pouvait, mais même celui des nations amies, avec qui ils étaient en guerre perpétuelle, tels que les Espagnols et les Italiens, ce qui tournait toujours à l’avantage de notre commerce. On les ménageait à cet effet surtout en tems de guerre, et dans la paix on était plus ferme avec eux. On se faisait un principe de ne point les secourir dans leurs guerres entre eux, comptant peu sur leur reconnaissance. On cherchait plutôt à les accommoder pour ne se point faire d’ennemis, après leur paix faite, de ceux que l’on aurait pas favorisés pendant la guerre. Quoiqu’on voulut soutenir l’honneur du pavillon pour l’évasion des esclaves qui s’y réfugiaient, il était recommandé cependant aux capitaines de ne point favoriser ces évasions qui pouvaient attirer des affaires à la nation et qui dans le fond font une espèce d’infraction au droit des gens. Le Roi fit imposer des droits à Rouen pour le rachat des esclaves de la province, mais on ne l’employait point à celui des Français pris sur les vaisseaux étrangers et on consentait même qu’il fut stipulé dans les traités qu’on ne les rachèterait point. On évitait autant qu’on pouvait d’attirer de chez eux des ambassadeurs en France et quand on y était forcé, on avait soin qu’ils ne vissent point les chiourmes. On ne pouvait se dispenser de faire de tems en tems quelques présens. C’est la seule façon de traiter avec eux, mais on mandait aux consuls qu’il était dangereux de les y accoutumer. Le Roi défendit aux consuls de faire aucun commerce dans leurs Echelles et répugnait à donner des consulats aux prêtres pour ne les point commettre sur des faits de religion. |
Armemens Barbaresques
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De tous les Barbaresques, les Algériens sont les plus puissans de la mer et par conséquent les plus sujets à enfreindre les traités, d’autant plus qu’ils font peu de commerce hors celui du Bastion de France, qui nous est inutile, et qu’ils ne vivent que de pirateries. Les reproches qu’on leur fit sous ce ministère roulèrent presque tous sur les mêmes objets des bâtimens français pillés ou insultés à la mer par leurs corsaires, des prises faites sur des nations amies dans l’étendue de dix lieues de nos côtes où il leur est défendu d’en faire. On leur demanda la restitution de ces pillages et le châtiment de leurs corsaires ou rays. On n’obtint presque jamais le premier et rarement le second. Ils se défendirent ou en niant les faits dont la preuve n’est jamais bien complète et qui sont en effet presque toujours exagérés par les marchands ou en soutenant que ces marchands avaient donné lieu à des griefs par quelque mauvaise manœuvre, ce qui n’était pas toujours sans fondement ou en protestant de leur impuissance à faire justice dans un gouvernement aussi orageux que le leur. On se paya de leurs raisons et de leurs excuses, faute de mieux, et l’on n’en vint point à une guerre ouverte avec eux. On eut même grande attention à leur ôter tout prétexte de plaintes légitimes sur l’abus du pavillon ou sur l’enlèvement de leurs esclaves dans les rades. Les circonstances de la guerre où l’on était avec l’Angleterre et la Hollande fortifièrent ces ménagemens et l’on n’oublia rien pour les engager à se déclarer contre ces deux puissances. |
Armemens Barbaresques
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Mêmes griefs de leur part que celle d’Alger et mêmes égards de la part de la France par de semblables considérations. On fit seulement expliquer au Dey que la condition stipulée dans leurs traités de ne point faire de prises qu’à dix lieues des côtes de France, n’était point réciproque de notre part à l’égard de leurs côtes comme ils voulaient le prétendre. Outre les raisons générales de management avec cette puissance et celles de la considération de la guerre que la France avait avec les puissances maritimes de l’Europe, on avait encore celle de l’établissement du Cap Nègre qui était utile à la France et que l’on soutenait autant que l’on pouvait contre les vexations du Dey, qui, malgré l’avantage qu’y trouvait son pays et qu’il connaissait parfaitement, ne laissait pas de les chicaner pour en tirer plus de rétribution. |
Armemens Barbaresques
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Même conduite avec les Tripolitains, mais ces derniers s’étant trouvés plus mutins et leur ville étant plus exposée au châtiment, on les bombarda en 1692 et l’on fit croiser quatre vaisseaux contre eux qui en prirent cinq des leurs. L’année d’après, on fit la paix avec eux et on leur remit 28 mille piastres qu’ils devaient encore de leur rançon de 1685, mais à condition qu’ils déclareraient la guerre aux anglais. M. Dufault fut employé dans ce traité et s’y conduisit d’une façon faible et intéressée dont il lui fut fait de vifs reproches. Il lui fut surtout recommandé de garder la neutralité dans la guerre que les Tripolitains et les Tunisiens eurent entre eux et de chercher plutôt à les y accommoder qu’à les brouiller eu égard à l’intérêt de l’établissement du Cap Nègre qui en eut souffert. Le consul eut ordre de s’opposer à l’accord des anglais avec le Dey qui voulait que les nations étrangères qui n’auraient point de représentans dans leurs Echelles pussent s’adresser aux consuls qu’elles voudraient choisir pour terminer leurs affaires et le Roi prétendit que ce privilège appartenait de préférence au consul de France. |
Armemens Barbaresques
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La guerre des Saletins fut la plus difficile à terminer. Ces insectes de la mer, fidèles aux lois du commerce dans l’intérieur de leur pays, attaquèrent généralement tous les bâtimens qu’ils rencontrèrent à une certaine distance de leur port qu’on appelle la barre de Salé, y pillent également amis ou ennemis. Ils ont des bâtimens légers à la course et chargés de monde. Ils ne combattent jamais qu’avec avantage, et on les joint difficilement quand ils se sentent les plus faibles. Ils sont faux d’ailleurs, et sans foi pour l’observation des traités. On était en guerre avec eux depuis 1686. Sur quelques ouvertures qu’ils firent pour la paix, le Roi leur envoya M. de St Olon avec qualité d’ambassadeur en 1693 pour conclure la paix sur le pied du traité de 1682 et aux conditions d’un échange général des esclaves ou du moins tête pour tête s’il ne pouvait obtenir le premier qui nous eut été plus avantageux. On lui permit aussi d’écouter les propositions des ministres de Maroc, tendantes à leur faciliter l’entrée en Espagne, mais sans prendre d’engagement formel avec eux. Cette ambassade fut infructueuse par les obstacles que le Roi y fit mettre et la guerre continua comme à l’ordinaire, sans interruption du commerce dans l’intérieur du pays. L’on fit croiser contre eux deux frégates en 1694 du cap St Vincent à Salé. Le Roi de Maroc fit faire de nouvelles avances pour la paix en 1697. On lui fit dire par le consul que l’on n’écoutait rien qu’il n’eut signé le traité tel qu’il avait été proposé en 1693. On rejeta surtout la proposition qu’il faisait de faire juger par les cadis les affaires des Maures avec les étrangers et l’on consentit qu’elles le fussent seulement par les commandans des pays où ils se trouveraient. Les affaires se brouillant de plus en plus, le Roi fit armer en 1698 sept frégates légères commandées par M. de Coëtlogon pour courir sur eux en les distribuant dans divers parages et fit demander au Roi d’Espagne un entrepôt de vivres et de munitions à Cadix. A la fin de l’année, le Roi de Maroc, ayant offert d’envoyer une ambassade en France, le comte d’Estrées, vice amiral, signa avec lui une trêve de huit mois. Cette ambassade n’eut pas plus d’effet que la dernière. On ne convint de rien. La guerre et les armemens recommencèrent avec plus de vivacité que jamais et l’ambassadeur qui avait été amené en France sur un vaisseau du Roi et qui y avait été reçu avec beaucoup d’honneur, fut ramené dans son pays, malgré la rupture, par un autre vaisseau du Roi, toujours avec les mêmes honneurs. On avait laissé un otage à Maroc pour cet ambassadeur (le brigadier des gardes de la marine de la compagnie de Brest) qu’on retira en rendant l’ambassadeur. On mit un plus grand nombre de vaisseaux à la mer et peut être ne fut-on pas fâché de se servir du prétexte de cette guerre pour avoir des forces nouvelles toutes prêtes, sur les côtes d’Espagne où l’on prévoyait des troubles à l’occasion de la mort prochaine du Roi d’Espagne. M. le comte de Relingue qui commandait une forte escadre contre [le] Maroc, eut ordre même de toucher à Cadix où était l’entrepôt, d’y faire savoir son arrivée au marquis d’Harcourt, ambassadeur de France, et de recevoir ses ordres en cas de mort du Roi d’Espagne, de ne faire aucune entreprise sans l’avis de cet ambassadeur, mais en cas que la ville de Cadix voulut se soumettre à la France et lui demander du secours, d’accepter ses offres et de la recevoir au nom du Roi. Le Roi fit continuer cependant l’aumône de 6000 £ qu’il faisait aux esclaves de Mekhnès et l’on consultât M. Le Bret, intendant du commerce, pour savoir s’il ne conviendrait pas d’interrompre pour quelques tems le commerce qui se faisait dans l’intérieur de Maroc, malgré la guerre et auquel le Roi de Maroc se prêtait pour l’intérêt de ses douanes. |
Artillerie
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L’artillerie avait été fort perfectionnée sous le précédent ministère. M. de Pontchartrain maintint ce qu’il trouva établi et y fit des augmentations. Il fit rendre un règlement pour l’établissement de la compagnie des bombardiers et apprentis canonniers. Il préféra ainsi que M. de Seignelay les canons de fer à ceux de cuivre, et fit ordonner qu’il n’en serait plus fabriqué d’autres pour l’usage des vaisseaux. Il persista malgré l’avis très sensé des officiers d’artillerie à ordonner l’épreuve des armes à feu avec de la poudre à la pesanteur de la balle. C’est un abus qui donne lieu à l’affaiblissement des armes mêmes qui soutiennent l’épreuve et qui les fait crever plus aisément dans la suite. Il est reconnu aujourd’hui presque généralement et ne laisse pas de subsister parce qu’il est établi par l’ordonnance dont personne n’a encore osé prendre sur soi d’en proposer la réforme. Il ordonna la même épreuve pour tous les canons qu’il fit repêcher à La Hougue, afin que les officiers ne doutassent point de leur bonté. Et pour que les maîtres des forges ne renvoyassent point dans les ports les canons qui avaient déjà été rebutés, il leur faisait casser un tourillon en les rebutant. Il défendit que l’on chargeât les canons à mitraille dans les combats de crainte de les rayer et de les mettre hors de service et rejeta la proposition d’un commissaire d’artillerie de tirer à boulets rouges sur les galiotes ennemies dans un bombardement. Il chargeait les maîtres fondeurs de l’entretien des ustensiles pour les obliger à les ménager et tachait par toutes sortes de bons traitemens d’engager les fondeurs étrangers qui passaient par la France à s’y établir. Il fit créer une troisième compagnie de bombardiers pour la défense des côtes. Il établit après la paix pour prix de la bute, une épée. Il fit créer à St Malo une école d’artillerie pour les matelots et autres gens de mer. Dans la crainte d’un bombardement à Brest, Il ordonna d’envoyer dans des barques au haut de la rivière de Penfeld toutes les poudres du magasin. Il en faisait distribuer ainsi que des balles à toutes les milices garde côtes. Il refusa à M. de Pointis la permission de vendre la charge de commissaire général d’artillerie sur le fondement qu’elle n’était point de nature à être vendue. |
Cartes et plans
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M. de Pontchartrain fit dresser un recueil des cartes des différentes côtes du Royaume et des entrées des principales rivières. Il avait soin que ces cartes fussent exactes et n’en permettait la gravure qu’après un mur examen des officiers experts et des gens du métier. Il en fixa le prix à 15 £ et obligea tous les officiers de les acheter. Il fit graver les côtes de Bretagne et en faisait délivrer des copies aux capitaines dans les armemens à la charge de les remettre au magasin général au désarmement pour qu’elles ne passassent point à l’étranger. Il fit arrêter un ingénieur suédois venant d’Angleterre et saisit tous ses papiers, sur le soupçon qu’il eut qu’il était chargé de prendre l’état des côtes et d’en rendre compte au prince d’Orange. Il recommanda aux intendans et aux officiers des ports de procurer tous les secours et facilitées possibles à M. de Cassini, de l’Académie des sciences, envoyé pour faire des observations sur les longitudes, et sur tout ce qui pouvait perfectionner la navigation. |
Chiourmes
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Il s’attacha à recruter les chiourmes de bons turcs, entre 18 et 40 ans, et recommanda qu’on ne les tint point trop tard au travail, tant pour ne les point excéder de fatigue que pour prévenir les évasions nocturnes. |
Classes et matelots
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Cette partie du service, liée si intimement à celle des armemens devint très essentielle sous ce ministère où la guerre mit continuellement la marine en action. M. de Pontchartrain en connut l’importance et chercha les moyens d’empêcher la diminution de l’espèce des matelots. Il crût y parvenir en tachant de maintenir l’ordre et la discipline que M. Colbert avait établi dans les classes et en corriger sévèrement les abus qui s’y glissaient journellement. A son avènement au ministère, il fit faire un dénombrement de tous les matelots du royaume et donna ordre aux commissaires chargés de ce soin de ne comprendre dans les rôles que ceux qui auraient des corps robustes et propres pour la fatigue depuis l’âge de 18 jusqu’à 46. Il fut obligé dans la suite de se relâcher sur cet article. Il obligea les curés à dénoncer les matelots de leurs paroisses qui n’étaient point compris dans le rôle des classes et le leur fit ordonner par leurs évêques mêmes. Il ne souffrit point qu’aucun officier marinier et matelot s’exemptât du service sous quelque prétexte que ce fut, pas même ceux qui étaient officiers de milice ou collecteurs dans les paroisses maritimes. Cependant, plusieurs s’étant pourvus à cet effet de charges de nouvelle création qui donnaient ce privilège, il fit régler par le Roi qu’il n’y aurait d’exempt parmi eux que ceux qui étant déjà sur les rôles, n’auraient fait aucun voyage à la mer. Ensuite, il fit rendre une ordonnance qui n’accordait ce privilège qu’aux charges dont la finance serait de 500 £ et au dessus, et il obligeait les pourvus d’abandonner totalement le métier de la mer pour en jouir. Il recommandait aux intendans des provinces maritimes de ne point inquiéter ceux qui pour s’exempter de la milice se faisaient inscrire sur le rôle des classes étant plus intéressant pour le service du Roi de faire un matelot qu’un milicien. Il ne jugea cependant pas convenable d’accorder à plusieurs soldats des compagnies franches la permission qu’ils demandaient de se faire matelots à moins qu’ils ne montrassent de grandes dispositions pour ce métier et qu’ils ne fussent mariés. Il défendit que l’on prit aucun matelot classé pour être argousins, sous argousins et officiers de rame. Il obligea les bateliers âgés de 40 à 45 ans qui n’avaient pas été à la mer, de mettre à leur place des jeunes gens de 20 à 25 ans s’ils voulaient être ôtés de dessus les rôles. Et il y faisait insérer les jeunes gens éloignés même des côtes de la mer et les fils des bourgeois des ports pour être embarqués sur les vaisseaux en qualité de mousse, afin qu’ils apprissent la navigation et de retour dans les ports, il ordonna qu’on leur fit apprendre des métiers propres à la marine. Il était ennemi des violences, surtout de celles dont on usait souvent dans les levées de matelots. Il recommanda qu’on n’engageât au service que de gré à gré ceux des départemens de Nice ou de Villefranche et autres pays conquis, et blâmait les officiers qui maltraitaient à la mer les matelots qui manquaient d’expérience, voulant qu’on les employât selon leur capacité et qu’on n’en dégouttât aucun du service. Il aurait établi dans chaque paroisse maritime un syndic des matelots pour en faciliter la levée s’il n’avait craint qu’il ne tyrannisassent trop les matelots et fit défendre aux commissaires d’en nommer sans l’ordre de l’intendant. Dans la crainte d’en manquer pour les armemens des vaisseaux du Roi, il suspendit quelquefois la navigation des isles et ne permettait point aux corsaires d’armer pendant qu’on faisait la levée pour le service malgré les assurances qu’ils donnaient de ne se servir que de matelots étrangers ou invalides. Il chargea les ambassadeurs et consuls d’engager les matelots français qui étaient chez l’étranger à revenir en France, et fit même accorder pendant la guerre une amnistie à tous les matelots déserteurs, et envoya copie dans toutes les Echelles et en Levant. Malgré ces précautions, le nombre des matelots ayant diminué sensiblement depuis le commencement de la guerre et ayant beaucoup d’armemens à faire en 1692, il forma le dessein d’en faire venir du Danemark et de la Suède. Il écrivit en conséquence aux ambassadeurs de France dans ces cours d’en faire une levée furtivement, de les faire passer en France sous divers prétexte, de faire en sorte que chaque matelot ne coûtât pas, tout rendu, plus de 30 £ au Roi, et de ne leur promettre que 12 à 15 £ de paye avec la nourriture. Il fit aussi offrir un asile et de l’emploi en France à un grand nombre de matelots des escadres anglaises et hollandaises qui étaient à Cadix, sur l’avis qui lui avait été donné qu’ils voulaient déserter. Il ne souffrait point que les matelots de service en missent d’autres en leur place, jugeant avec raison que cet abus eut procuré les meilleurs aux marchands par l’augmentation de paye qu’ils auraient trouvé et n’eut laissé au Roi que les moindres. Il établit la règle de les faire rendre à jour nommé dans les ports à peine d’être mis en prison plus ou moins de tems, suivant leur retard, et pour les officiers mariniers de servir comme simple matelots. Il voulait qu’on se munit de leurs hardes quand ils partaient du département pour les ports afin d’empêcher qu’ils ne désertassent. Le Roi leur faisait donner un sou par lieue de conduite, tant pour venir de chez eux dans le port que pour retourner du port chez eux, mais il défendait qu’on le payât à ceux qui en sortant du service, allaient dans les différens ports s’engager à celui des marchands. M. de Pontchartrain les aurait fait marcher par étape si la dépense n’eut excédé le sou de la conduite. Il faisait courir leur solde du jour qu’ils commençaient à travailler à l’armement des vaisseaux, mais il fit ordonner qu’elle serait réglée au désarmement des vaisseaux, sur leurs bonnes ou mauvaises qualités dont les capitaines seraient obligés de rendre compte au retour de la campagne et il tenait la main à la prompte expédition de leur décompte. Il rejeta la proposition qui lui fut faite d’entretenir à la demi-solde les matelots dont on aurait besoin pour les armemens, tant par rapport à l’augmentation de la dépense que cet entretien aurait coûté que pour ne point nuire aux armemens en course qui étaient alors fort fréquens. Il faisait payer aux capitaines de vaisseaux du Roi la solde des matelots qu’ils avaient pris, sans les faire passer au bureau des classes. Il faisait donner des avances aux femmes et enfans des matelots embarqués pour les voyages de long cours malgré les risques qu’il y avait de les perdre, et obligea la Compagnie des Indes d’en faire de même pour les familles des matelots que le Roi lui donnait d’autorité, mais il faisait reprendre exactement sur les matelots les avances qui leur avaient été faites pour un service qui n’avait point été rempli, et ne voulant pas cependant que les pères répondissent de ces avances pour leurs enfans quand ils ne les avaient point reçus pour eux, et il obligeait les commissaires aux classes à tenir compte de ces avances lorsqu’ils ne justifiaient point de la mort ou de la désertion des matelots. Il portait son attention en faveur des matelots jusqu’à faire payer exactement par les marchands ceux qui passaient de leur service à ceux du Roi et faisait donner part au profit de la pêche à ceux des Sables d’Olonnes qui, servant sur les vaisseaux du Roi, n’avaient pu naviguer avec les marchands de ce port. Il recommandait aux intendans des provinces de soulager les matelots de service dans l’imposition de la taille et de les faire jouir d’avance des diminutions accordées sur les tailles. Il fit exempter de logemens des gens de guerre les maîtres des ports qui ne faisaient aucun commerce et ne louaient point de chambres garnies. Il fit donner deux pistoles à chacun des matelots qui aveint été blessés dans une action glorieuse et recommandait aux consuls des villes maritimes, aux intendans, commandans et officiers de l’amirauté d’employer tous ceux qui avaient été estropiés au service, à la garde des ports, et aux ouvrages peu pénibles, préférablement à tous autres et aux recteurs des hôpitaux d’y recevoir leurs enfans par préférence, mais il refusa de les faire exempter de tailles. Il prenait également soin de ceux qui avaient été estropiés au service des armateurs à qui le Roi donnait ses vaisseaux, et obligeait les armateurs à leur donner trois ans de demi-solde. Il défendait à tous juges de prononcer aucun jugement en matière civile contre les matelots embarqués pour le service du Roy, à peine de supporter tous les dépens, dommages, et intérêts. En leur procurant tous ces avantages, il établissait des peines pour les contenir dans leur devoir. Il fit décerner celle du fouet contre les matelots déserteurs, mais il la fit commuer depuis en celle des galères, et était porté à leur pardonner ce crime quand ils ne l’avaient commis que pour se soustraire aux mauvais traitemens des capitaines de vaisseaux. Il fit menacer des galères tous les matelots vagabonds qui seraient pris gueusant et faisait servir aux travaux les plus vils du port ceux qui avaient témoigné de la frayeur dans un combat. Il traitait les matelots languedociens, même ceux du canal, avec beaucoup de sévérité, comme étant les plus mutins, et fit faire plusieurs campagnes de suite aux plus désobéissans. Il décida que les matelots qui passeraient dans le service de terre seraient traités comme déserteurs. Il fit veiller au passage de la frontière du Var pour y arrêter les matelots déserteurs. Il laissait subir l’esclavage aux matelots qui étaient pris par les Barbaresques en servant sur des vaisseaux étrangers. Il donnait rarement la permission de commander des vaisseaux marchands sans qu’on eut servi sur des vaisseaux du Roi, et sur la répugnance que les jeunes gens de famille de St Malo avaient à y servir comme matelots, il les fit recevoir comme cadets. Il jugea incompatible l’emploi de commis aux classes avec celui de trésorier de la marine, fit faire le procès à la rigueur aux commis qui recevaient de l’argent des matelots pour les dispenser du service, mais en même tems, il les fit déclarer indépendans des gouverneurs de province et non justiciables des officiers de l’amirauté dans le fait des levées dont ils n’auraient à rendre compte qu’aux intendans de la marine. La paix étant finie, il fit accorder une amnistie générale à tous les matelots qui avaient déserté pendant la guerre, fit mettre, du consentement des marchands, un certain nombre de matelots novices sur leurs vaisseaux pour les former à la navigation et fit établir dans tous les ports les écoles de pilotage. Ordonnance pour faire attacher au carcan les matelots qui ne se rendraient pas dans les ports après avoir reçu leurs avances. Autre pour condamner à 300 £ d’amende ceux qui retireraient chez eux dans le tems des levées des matelots ou leurs meubles. |
Colonies et Echelles
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Le Roi avait eu dessein d’acquérir la partie de St Domingue appartenant aux Espagnols et le marquis d’Harcourt, ambassadeur à Madrid, fut chargé en 1698, de savoir ce que la cour d’Espagne désirait pour équivalent. Il eut ordre aussi de ne consentir à la pêche de la morue pour les Espagnols dans les colonies françaises d’Amérique qu’à la charge de réciprocité de commerce pour les Français dans les colonies espagnoles. Le Roi donna aux enseignes de marine servant de lieutenans dans les compagnies, le droit de commander les plus anciens lieutenans qui ne seraient point officiers de marine. Quelqu’attentif que le Roi fut à maintenir l’honneur et la franchise du pavillon dans les Echelles, il ne voulait pas que ce privilège troublât le court de la justice ordinaire, ni qu’il empêchât les saisies pour dettes dans les bâtimens marchands lorsque les consuls n’auraient pu obliger les débiteurs de payer. |
Commerce
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La guerre est la ruine du commerce. Il en reçut en France un grand dommage sous le ministère de M. de Pontchartrain, mais comme ce dommage n’était pas moindre chez toutes les nations, on convint souvent de part et d’autre de le laisser libre sur plusieurs points, particulièrement sur celui des bleds dont il y avait alors disette en France et que l’on permit aux Espagnols et aux Anglais d’y apporter, en rapportant d’autres denrées en échange. On étendit ce privilège sur presque toutes les matières qui ne se faisaient point sortir de l’argent du royaume et dont le commerce se faisait en retour de marchandises, à l’exception de ce qui regardait les munitions de guerre. Le commerce des bleds dans cette année là étant l’objet le plus important pour la France où ils avaient manqué, on employât tous les moyens possibles pour s’en procurer. 1er en défendant la sortie des graines du royaume (pratique souvent dangereuse et plus contraire qu’utile à l’objet qu’on se propose). 2e en faisant agir auprès de toutes les puissances pour en permettre l’extraction de chez eux : en Pologne, en Suède, en Portugal, en Italie, à Rome, même en Turquie et en Barbarie. Le Roi fit publier qu’il en laisserait le commerce libre, qu’il n’en taxerait point le prix et n’accorderait point de préférence aux munitionnaires. Le bruit contraire s’étant répandu, avait ralenti le zèle des marchands pour en faire venir. On interrompit même la possession où était le duc de Grammont de donner dans son gouvernement de Bayonne des passeports qui étaient à charge à ce commerce. On fut jusqu’à consentir qu’un vaisseau suédois qui devait être neutre, naviguât pendant huit mois pour le compte des ennemis, pourvu qu’il fit venir en France un vaisseau chargé de grains. On obligea le munitionnaire de terre de prendre des bleds mouillés d’eau de mer et d’en mettre un dixième avec du bled sec. On se défendit surtout qu’on portât des bleds de Turquie à l’armée vénitienne pour ne point occasionner d’affaires avec les Barbaresques. Au reste, on prenait toutes les précautions pour assurer le commerce, en faisant armer des vaisseaux d’escorte, en donnant des avis utiles aux marchands pour les garantir des surprises de l’ennemi et bonifier le commerce en faisant fermer les ports pour le commerce du 1er mars à la fin d’octobre, lorsqu’on savait que les ennemis avaient des forces supérieures à la mer. M. de Pontchartrain se proposait de faire faire le commerce du Ponant au Levant pendant la guerre par le canal du Languedoc pour éviter le passage du détroit qui était fermé par les ennemis et consulta sur cela les intendans de Guyenne et languedoc. Il travaillait sur les principes de M. Colbert à maintenir et perfectionner l’établissement des manufactures de la Compagnie des Indes. Il refusa au gouverneur de St Malo la permission de faire ouvrir les lettres pendant la guerre pour y chercher des avis qui auraient pu être utiles, mais il craignit encore plus de troubler par là le commerce. Il est à présumer que l’on se procurait ces avis par des voyes plus secrètes. Il défendit aux intendans et commissaires de s’intéresser dans les armemens, ni dans le commerce. Le Roi refusa un port que la Reine de Pologne lui offrait dans la mer Baltique. A la paix, le commerce commença à se rétablir et à reprendre vigueur. Le Roi s’attacha à diminuer les droits, à assurer les chemins, à faire respecter son pavillon et à favoriser la levée des matelots pour les marchands. Il ne voulut pas même donner ses vaisseaux à fret pendant que les marchands en avaient d’inutilisés et pour ne leur point faire de tort. A la paix de Ryswick, il ne fut point fait de traité de commerce particulier avec l’Espagne. Il fut stipulé seulement que les Français seraient traités comme les nations les plus amies. |
Commerce
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Les lois de l’équilibre n’étaient point observées dans le commerce de la France avec l’Angleterre et les Français y étaient lésés. Ils ne pouvaient porter en Angleterre des marchandises ni étrangères, ni même manufacturées en France. Celles du cru de France y étaient surchargées de droits pendant que celles d’Angleterre étaient reçues en France sans que les Anglais y payassent plus de droits que les Français. L’extraction de laines d’Angleterre était défendue aux Français et leurs vaisseaux confisqués sur le moindre prétexte de contrebande. C’est sur cette inégalité que M. le Comte de Tallard, ambassadeur de France en Angleterre, eut ordre de faire des représentations à la paix. M. d’Herbault, intendant de marine, lui fut adjoint. Il fut décidé qu’il rendrait compte à M. de Pontchartrain qui enverrait copie de ses lettres à M. de Torcy, ministre des affaires étrangères. Ils eurent ordre de proposer aussi plusieurs conditions et de demander plusieurs privilèges contenus dans l’instruction de M. de Tallard du 24 février 1699, mais surtout d’éviter de conclure un traité en forme, et de stipuler seulement que les Français seraient traités en Angleterre comme les nations les plus amies. La première question à traiter fut la souveraineté des Iroquois en Canada que le Roi prétendait soutenir, la possession du fort Bourbon et des autres postes de la baye d’Hudson d’où l’on voulait exclure les Anglais, celle de l’isle St Christophe et celle des limites de l’Acadie. M. le comte de Tallard et M. d’Herbault, commissaires du Roi pour régler ces objets, avaient proposé de l’aveu du Roi aux commissaires anglais de leur abandonner le fort Bourbon, en réglant les limites de l’Acadie à la rivière de Quibini ou de les conserver en les terminant par la rivière St Georges sans qu’il put en aucun cas être établi aucun poste ni aucune fortification dans la terre qui est entre ces deux rivières. Le Roi défendit qu’on visitât dans les ports les yacks et autres bâtimens du Roi d’Angleterre qui donna de son côté des ordres pour empêcher la visite des bâtimens français, mais des capitaines anglais ayant contrevenu, le Roi en fit porter plainte en Angleterre et menaça de représailles. |
Commerce
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Le commerce avec l’Espagne avait subsisté pendant la guerre quant aux bleds, fers, laines et drogues de teinturiers que le Roi avait toujours permis qui fussent apportés en France par des vaisseaux neutres. Le commerce prit une nouvelle forme à la paix. M. le marquis d’Harcourt, ambassadeur, fut chargé par une instruction très ample, d’en solliciter le rétablissement, sans cependant conclure de nouveau traité qui n’eut pu être aussi avantageux que les anciens. Les principaux points roulaient sur : 1er. Le rétablissement de la liberté du commerce des colporteurs français, défendu en 1687. 2e. Le soin d’empêcher les établissemens des manufactures de France en Espagne et de renvoyer en France les ouvriers français qu’ils proposaient en les remboursant de leur voyage. 3e. De s’opposer à la visite des maisons et magasins des Français par les juges espagnols, bien entendu que les Français n’en abuseraient point pour réfugier les criminels. 4e. De s’opposer également à l’enregistrement de leurs marchandises aux douanes d’Espagne au départ des flottes. 5e. Et à l’ordonnance des états d’Aragon qui défendait tout autre commerce que celui des bestiaux aux Français qui ne seraient pas mariés avec des Espagnoles et même à ces derniers d’avoir des garçons de boutique. 6e. De demander au conseil d’état d’Espagne la révision des jugemens rendus par les juges subalternes contre les Français. 7e. Le rétablissement des juges conservateurs des privilèges de la nation avec l’appel au conseil de guerre. 8e. De rétablir le commerce des sels de Brouage dans les ports de Galice et d’Asturie. Le Roi d’Espagne ayant permis aux étrangers de faire sortir d’Espagne l’argent des galions en payant 2 % et quelques négocians français, pour éluder ce droit, préférant la voye de la contrebande qui ne leur coûtait que ½, le Roi blâma cette conduite et les menaça de leur retirer sa protection. Une barque française chargée de Turcs ayant échoué au port Mahon, et les Espagnols s’étant saisis des Turcs, le Roi les réclama et menaça d’user de représailles si on ne les rendait. Cette précaution est importante à soutenir pour maintenir l’honneur et la sûreté du pavillon auprès des Barbaresques et la France a été longtems en guerre avec eux pour avoir souffert qu’il y ait été contrevenu en 1716 par le Roi de Sardaigne en Sicile. |
Commerce
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Le commerce de France et d’Espagne se faisait pendant la guerre sous le pavillon de Portugal qui devait être neutre. Plusieurs vaisseaux portugais chargés pour des Français ayant été pris pendant la guerre, le Roi en fit demander la restitution aux Portugais, et sur ce qu’ils l’éludaient, ordonna à ses vaisseaux de courir sur eux. L’abbé d’Estrées, ambassadeur, et le vidame d’Esneval, envoyés, reçurent à ce sujet des instructions fort amples. On se proposa d’établir le commerce des draps français en Portugal, en cas que les Anglais y fissent recevoir les leurs. On cherchait aussi à établir par le canal des Portugais un commerce direct des Français avec les Espagnols en Amérique, et on recommanda aux négocians la bonne foi dans ce commerce, sous peine d’être châtiés. On évita pendant la guerre des courses sur les côtes de Portugal, de crainte que les Espagnols n’en prissent droit d’ôter aux Français l’entrepôt de Faro. |
Commerce
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Ce commerce consistait principalement à l’extraction de Suède du bray, goudron, cuivre, bois, et à l’importation des sels, sucres, fruits et vins de France, estimés à 1000 tonneaux. Il avait été estimé d’abord très avantageux à la France, mais la Suède ayant surchargé de droits l’entrée de nos marchandises, il fut jugé ensuite très onéreux et les ministres de France à la cour de Suède eurent ordre de faire fortes représentations, sans cependant faire un traité de commerce avec elle, qui eut tiré à conséquence pour les autres cours du Nord. Le Roi fit demander au Roi de Suède une retraite dans ses ports pour les prises que les corsaires français feraient pendant la guerre dans les mers du Nord. Il lui fit représenter l’abus qui se faisait de ses commissions et que si son pavillon ne pouvait garantir les effets des Français qui y étaient embarqués, sur cette foi il ne pouvait aussi empêcher les corsaires français d’enlever de dessus ses vaisseaux les marchandises ennemies. |
Commerce
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On éluda par d’autres raisons de faire un nouveau traité de commerce avec le Danemark, en se plaignant de celui de ce royaume avec l’Angleterre et la Hollande sur lequel il s’engageait à ne faire en France aucun envoy de marchandises de son pays, et tolérait sur ses vaisseaux l’enlèvement des marchandises de France. L’ambassadeur de France eut ordre d’en faire de vives représentations et de déclarer que le Roi userait de représailles et arrêterait tous les bâtimens des villes hanséatiques faisant la pêche de la baleine dans les mers du Groenland, sur les passeports du Roi du Danemark qui en prétendait alors la souveraineté. On permit aux corsaires français d’armer les chaloupes qui coureraient contre les Danois, les prendraient de concert, en retireraient les marchandises et les relâcheraient ensuite. On évita aussi l’établissement d’un consul français en Danemark pour ne point établir un Danois en France. |
Commerce
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On cherchait à y établir un commerce pour le débit des vins et eaux de vie de France, sels, sucres, tabacs, draperies, étoffes et merceries et l’on se proposait d’en tirer des laines, salpêtres, mâts, planches, cendres, cuirs et grains au besoin. |
Commerce
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Ce prince ayant fait arrêter pour dix mille livres de marchandises des Français à Emden, le Roi fit saisir à Bordeaux trois bâtimens qui lui appartenaient jusqu’à ce que les capitaines eussent donné caution pour le payement de cette somme. |
Commerce
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On cherchait un moyen d’établir un commerce direct au Mexique et au Pérou par St Domingue ainsi que les Anglais le faisaient par Curaçao et la Jamaïque, et l’on consultait sur cela les Malouins. |
Commerce
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M. de Pontchartrain protégea beaucoup la Compagnie des Indes orientales et lui fit accorder des dédommagemens pour les pertes qu’elle avait essuyées à la prise de Pondichéry en 1693 qui ne lui fut restitué qu’en 1698 et lui permit d’embarquer aux Indes pour deux cent mille livres de toiles pour l’étranger, à condition qu’elle enverrait tous les ans aux Indes quatre vaisseaux chargés de 4 à 500 mille livres au moins de marchandises manufacturées en France. |
Constructions et radoubs
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M. de Pontchartrain, trouvant la guerre établie au commencement de son ministère, fut plus occupé d’armemens que de constructions dont les principes qui ne sont pas même encore bien connus, demandent à être médités à loisir. Il comprit cependant que les règles de l’art étaient encore incertaines. Il fallait plutôt s’en rapporter à l’expérience des constructeurs qu’au caprice des officiers qui, avec des connaissances encore plus bornées, voulaient les envoyer à suivre chacun leur méthode, et il manda aux intendans de n’avoir aucun égard à ces avis de traverse, punissant seulement les constructeurs lorsqu’ils réussiraient mal, en s’écartant du plan qu’ils avaient donné au conseil de construction pour y être approuvé. Il tacha de faire construire les galères de bois sec et d’en amasser pour cela de grande provision longtems d’avance. C’est ce qui devient plus difficile que jamais, surtout en tems de guerre. D’ailleurs, c’est une question de savoir si l’on peut appeler bois sec le bois qui a resté longtems sous l’eau et que l’on en retire pour le faire travailler tout de suite (comme il arrive souvent) ou même peu de tems après. Il désapprouva à l’encastillage des œuvres mortes, et défendit que l’on eut en cela aucun égard aux fantaisies des capitaines. Il avait compris combien le renouvellement de l’air dans les entreponts était utile à la santé des équipages, et l’usage du ventilateur n’étant point encore connu, il faisait pratiquer pour cela des petites fenêtres entre les sabords. Il désapprouva les soufflages dont il connut ensuite la nécessité dans certains cas, mais il fit examiner très sérieusement la proposition très absurde qui lui fut faite de faire doubler la quille des vaisseaux de cuivre, et toutes les œuvres vives de plomb pour conserver le bois. Elle fut rejetée, non seulement à cause de la dépense, mais parce qu’il est bien reconnu que la pourriture des membres commence toujours par le dedans. Il cherchait tous les moyens possibles d’ôter l’humidité des soutes à pain, en faisant sécher les planches au four et en les doublant de fer blanc. On les a depuis nattées et goudronnées.Il préférait les meilleurs sujets pour les faire construire, sans égard à leur ancienneté. Quant à la question si souvent agitée de l’économie et du prix fait, on lui représentait de part et d’autre que l’épargne était plus d’un côté et la solidité de l’autre. Il se détermina pour le dernier. Il est certain qu’un intendant habile et appliqué pourrait accordé les deux partis en faisant veiller de près au prix fait. Il fit construire des galères à deux timons qui réussirent et même à deux et trois ailerons, qui sont des timons de côté. Il faisait employer les copeaux pour les hôpitaux ou les faisait distribuer aux veuves ou enfans des matelots morts au service. Après la bataille de La Hougue, où le Roi perdit 13 gros vaisseaux dont la marine a eu peine à se relever, il chercha tous les moyens possibles de réparer cette perte en faisant construire dans tous les ports où il y avait des arsenaux du Roi et en prenant de force tous les ouvriers voisins des côtes maritimes. Il proposa même d’en acheter en Suède, ce qui n’eut pas lieu, mais non en Hollande où il les jugea trop court. Il blâma cependant un intendant d’avoir entrepris le radoub de 2 vaisseaux à la fois pendant l’hiver, après la paix. Il ne songea qu’à la conservation des vaisseaux qui restaient, leur fit ôter leurs œuvres mortes, mâts et agrès, les fit lester de boulets et canons et caler jusqu’au dessus de la flottaison (ce qui est la meilleure manière de les empêcher d’arquer). Il donna ordre de les goudronner souvent, surtout par les hauts, de les tenir propres et couvert de prélarts et d’y faire passer souvent de l’air frais entre les ponts en ouvrant les sabords dans les beaux tems. On lui avait proposé l’expédient qu’il rejeta avec grande raison de les faire couler entièrement comme en Hollande. Il fit radouber et armer les vaisseaux pris sur les ennemis, mais il défendit de toucher à ce qui pouvait caractériser leur construction pour s’en servir dans le cas de change à donner à l’ennemi. Il établit la peine de prison et du carcan pour les ouvriers qui quitteraient le service sans congé. |
Machines
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Il faisait éprouver les machines nouvelles mais il les rejetait souvent sur ce qu’outre l’incertitude du succès, il ne convenait pas de diminuer par là l’employ des hommes et la consommation des denrées. |
Fonds
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Quoique M. de Pontchartrain, étant contrôleur général, put verser plus abondamment les fonds de l’état dans la marine, il se plaignait de l’excès de dépense et écrivait aux intendans que si ils n’y apportaient plus d’économie en retranchant le superflus, le Roi serait obligé d’abandonner la marine. Ces reproches vagues, quelques fondés qu’ils puissent être, sont presque toujours inutiles, parce que l’on n’a jamais assés de connaissance des détails à la cour pour savoir sur quoi l’économie peut porter et quand on l’aurait, ce n’est que sur les lieux que cette économie peut s’appliquer avec fruit. On ne peut comprendre jusqu’où et en combien de manière elle peut avoir lieu entre les mains d’un intendant fidèle, appliqué et instruit. C’est encore plus sur les matières que sur les fonds qu’elle doit rouler, et comme tous les objets pris séparément en sont fort petits et ne deviennent considérables que par la répétition, il faut une attention continuelle pour les suivre, une profonde connaissance pour ne pas s’y méprendre (la lésine en certains cas étant plus dangereuse au Roi que la prodigalité) et un courage autorisé et soutenu par le ministère pour combattre l’ignorance et l’intérêt qui croisent continuellement cette économie [et] qui cherchent à la tourner en ridicule et à la rendre responsable des événemens où elle a le moins contribué. Il envoya une instruction fort ample aux intendans sur la manière de rendre comptes et dépenses. On l’a beaucoup étendue et perfectionnée depuis ce tems là et peut-être y aurait il plus à retrancher qu’à ajouter aujourd’hui aux formes établies dont une grande partie est inutile et a charge aux ports et aux bureaux. Ce n’est pas là ce qui maintien l’ordre. Il défendit avec raison dans les ports la diversion des fonds destinés au payement des équipages et les avances aux officiers, hors pour fait de service. Ces défenses sont inutiles quand un intendant sait son métier. Il fit accorder aux contrôleurs la moitié du droit de contrôle dans les ports. Il exigeait des trésoriers généraux que sur le produit de leurs taxations de 5 à 6 deniers qui montaient à plus de 500 mille livres, ils fissent quelquefois les avances du payement des équipages dont les fonds pourraient leur avoir été remis en assignation non échues. Sur ce pied là, les dépenses de la marine devaient monter en 1694 à plus de 24 millions. L’épuisement des finances après la guerre, à la paix qui venait d’être faite, obligea M. de Pontchartrain à retrancher une partie des dépenses de la marine, à suspendre les constructions, les promotions, et les armemens, et à se borner aux seuls entretiens nécessaires. |
Fortifications
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Les fortifications formaient alors un département séparé qui ne dépendait point comme aujourd’hui du ministre de la marine, et les intendans n’y avaient aucune autorité ni inspection. Ils n’y en ont guère plus aujourd’hui que pour la forme et le service ne s’en trouve pas mieux. Le secrétaire d’état de la marine étant contrôleur général, [il] s’adressait lui même à M. Pelletier de Soury, alors ministre des fortifications, pour lui représenter les besoins du service dans les ports et sur les côtes de Provence, de Normandie et de Bretagne où MM. Les maréchaux de Tourville et de Choiseul étaient d’avis que l’on construisit des tours pour assurer les batteries et il donnait rarement des ordres de son chef aux ingénieurs. Il fit réparer les jetées de Dunkerque aux dépens des propriétaires et des maîtres des vaisseaux qui avaient causé le dommage et fit rendre une ordonnance à ce sujet. M. le maréchal de Vauban, ayant fait faire les épreuves des batteries de la rade de Brest, jugea la ville hors d’insulte pour les bombes. Il y eut une commission en 1695 pour commander la marine à Brest et dans les environs. |
Gardes côtes
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Le service de la garde côte n’était pas encore bien en règle, et y a été mis depuis par plusieurs règlemens. On donna pouvoir en 1696 aux capitaines gardes côtes de commander les colonels et lieutenans colonels de milice dans l’étendue de leur département. En 1695, M. le maréchal de Tourville eut commission pour commander sur les côtes en Provence, M. le maréchal de Vauban en Bretagne, M. de Benoron en Normandie. M. le comte de Grignan, commandant en Provence, eut ordre de faire fournir au premier tout ce qu’il demanderait pour le service. Les galères et des brûlots furent principalement employés à la défense des ports de Toulon et de Marseille et à prévenir le bombardement et l’on distribua des officiers de marine dans toutes les villes maritimes pour agir de concert avec ceux qui y commandaient. Le Roi promit de faire payer à la ville de Marseille la dépense qu’ils avaient faite pour se fortifier et pour l’entretien des matelots, des batteries, mais cela fut remis à long terme. On fit fournir le pain de munition aux gardes côte (1694). Il fit payer par les communautés les frais d’établissement des corps de gardes sur les côtes de Bretagne. On en établit aussi sur les côtes de Languedoc et le Roi ordonna que les capitaines gardes côtes prêtassent serment aux officiers d’amirauté et non aux commandans de province, mais il leur refusa des lettres d’état. Les capitaines de vaisseaux gardes côtes avaient ordre, dans leurs instructions, de suivre l’avis des intendans dans leur navigation et il était recommandé aux intendans de ne leur point donner cet avis en forme d’ordre. |
Honneurs, rang et commandemens
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C’est sous ce ministère que fut réglé le rang des officiers de marine, vis à vis ceux de terre, lorsqu’ils servaient conjointement par terre. Le Roi décida que les lieutenans généraux rouleraient ensemble, les chefs d’escadre avec les maréchaux de camp, les capitaines avec les colonels, les lieutenans de vaisseaux avec les lieutenans colonels et les enseignes de vaisseaux avec les capitaines d’infanterie. Le grade des officiers généraux de marine à la mer se marquait par la différence des pavillons. L’amiral porte pavillon quarré au grand mât, le vice amiral au mât de misaine et le contre amiral ou lieutenant général au mât d’artimon, le chef d’escadre la cornette au grand mât, les capitaines de vaisseaux et tous les officiers du Roi commandans en chef une flamme au grand mât, mais on ne leur permettait pas toujours d’arborer cette marque de leur dignité. Il fallait pour cela qu’ils fussent accompagnés d’un certain nombre de vaisseaux qui répondit à leur grade, et ce nombre a souvent varié suivant les circonstances et les ordres particuliers du Roi. En 1691, M. de Châteaurenault, chef d’escadre commandant 15 vaisseaux, eut ordre de ne porter qu’une flamme. En 1694, étant lieutenant général avec 20 vaisseaux, il porta pavillon quarré au mât d’avant. M. Duquesne, chef d’escadre en 1716, a porté la cornette avec 2 vaisseaux. En 1691, 1697 et 1698, le Roi décida que le capitaine de port et les majors de la marine rouleraient avec les capitaines de vaisseau, suivant leur ancienneté, et les aides majors avec les lieutenans, et que les lieutenans de vaisseaux, capitaines de compagnie entreraient au conseil de guerre dans les affaires qui regarderaient la punition de leurs soldats. Que les inspecteurs auraient rang de capitaines de vaisseaux, et que les capitaines de compagnie leur obéiraient. Le comte d’Estrées ayant été nommé vice amiral en 1684 sans avoir passé par le grade de lieutenant général, pour prévenir toutes discussions avec les lieutenans généraux, ses anciens, le Roi lui donna le brevet de lieutenant général, et il fut décidé, contre le comte de Châteaurenault, le plus ancien des lieutenans généraux, qu’en qualité de vice amiral, le comte d’Estrées commanderait tous les postes maritimes à Toulon, tant à terre, à la mer et dans les ports qu’à la rade. Il avait été réglé anciennement que les commandans d’escadre étant en rade, ne relèveraient point du commandant du port, mais il a été décidé depuis qu’ils seraient sous ses ordres, tant qu’ils seraient en vue du pavillon amiral. Il fut refusé à M. d’Amfreville, chef d’escadre, commandant dans le port, d’avoir une sentinelle à sa porte, cette distinction n’étant qu’à celui qui commandait dans la ville, à moins qu’un caractère très supérieur n’y oblige. En 1691, le Roi donna par distinction à M. Renault, capitaine de vaisseau, en considération de sa capacité, un ordre pour entrer dans les conseils des officiers généraux. Et en 1694, à M. Bart, capitaine de vaisseau, des lettres de noblesse et une fleur de lys dans ses armes en considération de ses services. En 1699 au directeur de la Compagnie des Indes l’ordre de St Lazarre. Et ordre aux capitaines de vaisseaux qui escortaient les vaisseaux de la compagnie de faire entrer leurs capitaines dans leurs conseils. Le Roi accorda en 1695 des lettres patentes aux jésuites pour leur établissement dans les Indes. Le Roi d’Angleterre passant à Calais, fit manger avec lui, et de l’agrément du Roi, l’intendant et plusieurs officiers de la marine. M. de Pontchartrain aurait fort souhaité que le Roi eut donné aux officiers de marine le commandement des places maritimes, et rien ne serait plus convenable parce qu’il n’y a point de retraite dans la marine et par d’autres considérations tirées du service même, mais il est aisé de juger combien cette proposition a trouvé et trouvera toujours d’opposition de la part des officiers de terre. Il ordonna que le maréchal de Tourville fut salué de la pique par l’inspecteur à la tête du 1er bataillon des troupes de la marine. |
Justice, Police et Discipline
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M. de Pontchartrain, élevé dans une cour de parlement, fut exact à faire observer dans le service les règles de la justice. Il soutint celle des intendans de marine et des conseils de guerre contre les amirautés et les parlemens dans tous les cas qui concernaient le service maritime ou les procès entre les gens qui y étaient employés, mais il eut la même attention à faire renvoyer aux juges ordinaires la connaissance des délits où l’intérêt des bourgeois se trouvait compromis avec celui des marins. Il écrivit au 1er président de Provence, sur une assignation que le parlement avait fait donner au contrôleur de la marine pour représenter ses registres, de faire cesser cette procédure, sinon que le Roi la casserait et que cet officier n’était point justiciable du parlement en cette partie. Il fit rendre un arrêt du conseil qui ordonne que dans tous les ports le scellé sera mis par les juges ordinaires sur les effets des officiers décédés et l’inventaire fait en présence des intendans de marine. Pour l’ordonnance de 1689, les intendans doivent aussi y mettre le leur. Il fit entrer aux conseils de guerre les lieutenans de vaisseaux commandans des compagnies lorsqu’il s’agissait du jugement de leurs soldats. On décida que les inspecteurs doivent présider les capitaines. Il défendit aux conseils de guerre de modérer les peines portées par les ordonnances (ce qui n’appartenait qu’au Roi), de suspendre l’exécution des jugemens, et il ordonna en 1698 que dans les affaires graves les opinions seraient données par écrit. Il fit établir la peine des galères contre ceux qui pillaient les prises ou les naufragés, et traiter comme déserteur les matelots qui quittaient le port sans congé. Il ne permettait pas que des commissaires généraux jugeassent à peine afflictive sans être gradués, ni que des archers de la marine fissent des exécutions chez des particuliers. Ce dernier article demande exception pour tout ce qui regarde le service et les effets du Roi, et qui émane des jugemens des intendans, sans quoi leur justice serait inutile et cela ne s’est jamais pratiqué. Un major fut blâmé d’avoir proposé de faire mettre à la question un soldat arrêté pour vol. En 1695, l’intendant de Provence fut commis pour juger un garde marine nommé Parage, soupçonné d’être émissaire du prince d’Orange et qui avait voulu mettre le feu aux vaisseaux. Il avoua son crime et ses complices. Il fut condamné à être rompu vif, mais il se sauva avec son frère en Espagne. En 1693, l’intendant de Toulon fut commis pour juger avec la sénéchaussée les délits commis dans les bois de Provence, sans que le commissaire général le put remplacer dans cette fonction. La même exception a eu lieu à Marseille en 1732 au sujet du jugement des complices d’évasion des forçats, attribué à l’intendant des galères. M. de Pontchartrain décida que les nègres amenés en France seraient libres à leur arrivée. On a apporté quelqu’adoucissemens à cette décision qui serait très préjudiciable aux habitans des colonies de l’Amérique qui viendraient en France, si elle avait lieu dans toute sa rigueur. Il ordonna que toutes les procédures des prises faites par les officiers d’amirauté seraient communiquées aux intendans ou commissaires des ports où elles se font. Cela est essentiel, surtout en tems de guerre, et souvent contesté par ces officiers. Il fit remettre à un corsaire anglais la rançon d’un capitaine français que ce corsaire avait pris et que l’amirauté voulait saisir comme effet ennemi. Il approuva la proposition du major de Brest de faire paraître les déserteurs à la tête des bataillons, en habit de forçats. Il proposait de faire châtier les capitaines qui n’auraient pas le courage de mettre le feu à leur vaisseau, plutôt que de le laisser prendre. Il y a apparence que cette peine n’était que comminatoire. Il fit condamner comme forban un armateur qui avait aidé un corsaire turc à enlever une tartane romaine, et fit mettre en prison un corsaire français qui avait nolisé sa barque à des Vénitiens pour aller brûler les vaisseaux du grand seigneur. |
Justice, Police et Discipline
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Les intendans étaient seuls chargés de la police qui est toujours mieux faite lorsqu’elle ne roule que sur un seul homme et qu’il est chargé d’en répondre. M. le Bret, 1er président de Provence, disait : « Nous sommes soixante dix ici chargés de la police, moyennant quoi il n’y en a point ». M. de Pontchartrain eut soin que les juridictions ordinaires et les officiers militaires n’entreprissent point sur les fonctions des intendans. Il voulait qu’ils fussent respectés et considérés des officiers. Il leur promit de les soutenir, non seulement dans tout ce qui regardait leur détail, mais encore dans celui de leurs subalternes jusqu’aux écrivains. Il interdit un enseigne qui avait fait arrêter un écrivain faisant sa revue, et menaça un capitaine de le faire casser pour avoir mal parlé d’un intendant. Mais en même tems, il recommandait aux intendans de se renfermer dans leurs fonctions, de ne point entreprendre sur celles des autres justices, de traiter civilement avec les autres officiers, de ne point faire d’acte de juridiction chez les bourgeois et de s’adresser aux commandans de terre et aux juges ordinaires quand il s’agirait de sévir contre eux ou de faire des règlemens où la police des villes se trouvât mêlée, d’éviter toute picoterie de cérémonial indigne d’un homme chargé d’affaires importantes, de ne jamais agir par passion, et de faire faire toujours par les commissaires les détails qui les regardaient, en les conduisant et en veillant sur eux sans les exclure pour les faire soi même ou pour les faire faire par les écrivains de confiance. C’est souvent le défaut des intendans les plus remplis de zèle et de probité qui arrivent à ce grade sans avoir passé par les places subalternes ou sans y être suffisamment instruits du fond du service, de vouloir tout faire par eux même et de craindre toujours d’être trompés par leurs inférieurs. Il faut avoir fait les petits détails pour le bien conduire, mais on ne peut plus les faire quand on est dans les premières places, sans se noyer dans les minutes et se rendre inhabile à de plus grandes vues. Un coup d’œil éclairé sur différentes parties du service et une confiance répartie avec discernement sur ceux qui en sont chargés convient mieux qu’un zèle trop actif et trop inquiet dans un 1er objet. Au surplus, toutes les maximes contenus dans l’article ci dessus, quoique variées et excellentes en général ont cependant leur exception particulière et ne pourraient être suivies à la lettre qu’au grand préjudice du service. C’est ce que l’expérience et le bon esprit seuls peuvent apprendre à un homme qui se trouve à la tête d’un port. L’un sans l’autre ne peut suffire pour s’y bien conduire. Il exigeait surtout qu’ils ne rendissent compte qu’à lui des détails du port et qu’ils ne déferrassent point par complaisance aux officiers généraux et aux capitaines. Il blâma M. de Vauvré de l’avoir fait pour M. de Tourville, vice amiral, et il écrivit en conformité aux commandans des ports. Il sut même mauvais gré à M. le comte d’Estrées, vice amiral, d’avoir voulu exiger un compte trop exact du détail de l’intendant, et le lui fit dire par des gens de confiance. Il fit écrire aux commissaires et officiers subalternes pour les contenir dans la subordination qu’ils devaient à l’intendant, leur faisant entendre que le préjugé serait toujours pour les supérieurs. M. de Pontchartrain fit divers règlemens de police. Un des principaux fut la défense du commerce ou d’intérêt sur les armemens à tous les officiers d’épée, de plume et d’amirauté, sous les peines les plus sévères. Il renouvela aussi celle des jeux de hasard qui n’a jamais été bien observée. Celle de manger gras le carême sous peine d’indignation de sa majesté. Celle de la vente du vin par les ouvriers du port, bien entendu que les fermiers établiraient les cantines a aussi bas prix que celui de la vente en gros. Il fit ordonner en 1692 que le prix des loyers des maisons serait taxé par les intendans de la province et sur le pied de ce qu’il était en 1688. En 1692, il fit un règlement pour la conduite, police et payement des ouvriers. Il défendit aux valets des officiers de porter l’épée et rendit leurs maîtres responsables des désordres qui en résulteraient. Aux cabaretiers des ports de recevoir chez eux des officiers mariniers ou matelots sans un billet de l’intendant, du contrôleur ou du commissaire des classes, sous peine de 300 £ d’amende ou du carcan. Aux commissaires des classes de rendre aucune ordonnance de leur chef dans leur département, ce qui n’appartient qu’aux intendans, ni ordonner aucun passeport. Aux écrivains principaux de prétendre sur les vaisseaux aux logemens des commissaires, même en les remplaçant dans leurs fonctions. Aux maîtres et capitaines des bâtimens marchands de quitter leur bâtiment la nuit, sans y faire coucher au moins un officier marinier ou matelot sous peine de 500 £ d’amende. Aux consuls d’Italie de confisquer des draps qu’ils soupçonnaient de contrebande sur des bâtimens français, mais d’en donner avis aux consuls des Echelles de leur destination. Il permit aux capitaines des bâtimens marchands de ne prendre un aumônier que lorsqu’ils auraient 40 hommes d’équipage et au dessus au lieu de 25 comme auparavant. Il défendit aux capitaines corsaires de consommer de la poudre en salut et autres réjouissances que celles ordonnées par le Roi, sous peine de payement de la poudre et de 1000 £ d’amende. Aux capitaines français de naviguer sous la bannière d’Espagne, pour se dérober aux ennemis. A tous les officiers de marine résidans dans les ports de refuser de rendre le pain béni à leur tour. Aux commandans des ports de faire embarquer aucun officier sans ordre, et à l’intendant de le souffrir. Il permit aux jeunes gens de St Malo de porter l’épée et fit châtier sévèrement ceux qui en abusaient. Il défendit les prières extraordinaires sur les vaisseaux sans la permission de l’évêque ou du grand vicaire. Il ordonna aux chirurgiens des ports et de 6 lieues à la ronde d’avertir les commandans et intendans des ports de toutes les blessures qu’ils panseraient aux officiers de marine, sous peine de bannissement pour deux ans et d’être procédé extraordinairement contre eux. Il jugea le détail de la police des quais et des mers au dessous de la dignité d’un intendant et leur manda qu’ils devaient se contenter d’y faire surveiller. Il en est de même de tous les détails dont celui-ci fait une partie qui n’est pas à négliger dans un port. Sur ce que la maladie contagieuse s’était répandue en Amérique, il défendit aux commandans des ports et aux officiers d’amirauté de laisser descendre personne à terre, ni d’en laisser aucun à bord, que la visite n’en fut faite, et défendit à l’amirauté de prendre pour cela aucun droit. Il voulait que les officiers généraux vécussent noblement dans les ports, comme à la mer, et blâma M. de Tourville de n’y pas tenir une table descente, étant payé pour cela. Il désapprouva fort des officiers de marine d’avoir été chasser dans la réserve du gouverneur d’Oléron, ordonna au commandant de la marine de les mener chez le gouverneur pour lui faire des excuses et déclara que l’autorité des commandans de terre devait être respectée par les officiers de marine. Pour faire cesser toutes les plaintes à ce sujet, il leur fit assigner des cantons pour la chasse. Il défendit aux intendans de délivrer aucuns effets des magasins du Roi aux particuliers sans raison très pressante, et chargea le contrôleur d’en poursuivre le recouvrement sous peine d’en répondre. Il manda à M. de Châteaurenault, lieutenant général, que les vaisseaux gardes côtes devaient suivre l’avis des intendans pour leur navigation et leur route. Il recommanda que l’on eut la plus grande attention dans ces ports pour prévenir les accidens du feu et rendit les gardiens responsables des évènemens, même du hasard. Il prit des mesures avec le ministre des affaires étrangères pour faire sortir des ports tous les étrangers, sauf à eux de s’établir ailleurs et donna ordre d’arrêter quelques uns de suspects. Il fit ordonner que M. le maréchal de Tourville serait logé dans toutes les villes par les échevins comme maréchal de France. Que dans les vaisseaux, les majors seraient logés avant les inspecteurs et qu’à terre les inspecteurs le seraient avant les majors. Il fit autoriser les intendans à retenir la moitié des appointemens des officiers pour payer leurs dettes aux aubergistes et marchands des ports. Il décida que les copeaux ne devaient rien, mais que les vieux bois devaient des droits à l’adjudicataire des bois à brûler de St Malo. Il défendit sous aucun prétexte l’ouverture des lettres à la poste pour n’en pas troubler la confiance. On manda à l’intendant du Havre, qui s’en plaignait, qu’il était très faux que les directeurs eussent le droit d’ouvrir les paquets contre signés. Un armateur de Dieppe étant soupçonné sans preuve d’y faire bâtir des vaisseaux pour les Anglais, il les fit arrêter pour le compte du Roi et lui en fit payer le prix. M. Patoulet, intendant, ayant fait plusieurs réparations en embellissement à la maison du Roi qu’il occupait, M. de Pontchartrain manda qu’on n’ôtât rien après son décès de ce qui tiendrait à fer et à cloud, pas même les caisses de fleurs, et fit payer aux héritiers les glaces, tableaux, lambris, orangers, etc. qui n’avaient été faits aux dépens du Roi. Il refusa aux jésuites l’ordre qu’ils lui demandaient pour obliger les particuliers de Brest de louer ou vendre les maisons de leur voisinage. |
Justice, Police et Discipline
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M. de Pontchartrain aimait l’ordre et l’exactitude dans le service. Il était persuadé qu’en fait de discipline, la sévérité devait l’emporter sur l’indulgence. Il trouvait cette partie du service mal administrée par les commandans des ports. Il leur reprochait souvent leur négligence pour l’exécution des ordonnances, leurs complaisances pour les officiers subalternes auxquels ils permettaient de s’absenter trop longtems de leur quartier, ce qui donnait lieu aux désertions et aux désordres que commettaient les soldats. Pour y remédier, il défendit à tous les officiers de se dispenser pour quelque prétexte que ce fut de suivre leur compagnie dans les quartiers et de s’en absenter plus d’un jour par mois. Il leur faisait payer en entier tous les dégâts et pillages que faisaient leurs soldats, menaçait de casser ceux dont les soldats tomberaient plus d’une fois dans ce désordre et ne permettait pas que les soldats changeassent de compagnie de crainte qu’ils ne trouvassent par là le moyen de se soustraire aux châtimens qu’ils méritaient. Il retira à un capitaine le commandement d’une compagnie qu’il disciplinait mal. Il ne permettait pas que les capitaines changeassent entre eux de compagnies ni qu’ils s’appropriassent la paye à leurs soldats morts en mer. Il croyait que pour bien établir la discipline parmi les compagnies, il était nécessaire de n’en point changer les officiers subalternes. L’émulation et le désir légitime des avances dans le service rendaient cet arrangement dangereux impraticable. Les commandans de terre dans les ports avaient droit de faire mettre sous les armes les soldats de la marine et de les faire châtier lorsqu’ils étaient employés à la garde de la ville. Il leur fit ordonner par le ministre de la guerre de fournir réciproquement dans les cas pressans les soldats de leur garnison qui leur seraient demandés par les intendans ou commandans des ports pour le service de la marine. Il ne permettait aux commissaires chargés des revues de casser les soldats que de concert avec les inspecteurs, et en cas d’avis différens entre eux, de s’en rapporter à la décision du commandant et de l’intendant du port. Il fit établir dans tous les ports des exercices et des conférences sur l‘art militaire, pour mettre les officiers de marine au fait des opérations nécessaires pour les sièges, marches et batailles, et faisait soigneusement rétablir au désarmement des vaisseaux toutes les écoles que les armemens avaient interrompus. Il voulait que les commandans des compagnies des gardes marines et de l’étendard lui envoyassent souvent des listes qui continssent leurs bonnes et mauvaises qualités et les progrès que ces gardes faisaient dans le service, qu’ils leur fissent soigneusement acquitter leurs dettes et qu’ils leur recommandassent beaucoup de déférence et de politesse pour tous les officiers, mais il leur défendait d’en renvoyer aucun sans ordre, sous prétexte qu’ils n’avaient point les qualités requises. Il faisait faire les fonctions de gardes de l’étendard à ceux qui servaient sur les galères. Il en cassa un qui avait refusé de s’embarquer avec M. de Pointis pour l’expédition de Carthagène. Il interdit un officier qui avait refusé de faire le voyage de l’Acadie. Il obligeait généralement tous les officiers à demander la permission de se marier afin de les empêcher de contracter des alliances peu sortables. Il en interdit plusieurs qui avaient enfreint cette règle. Il subordonnait le capitaine du port, commandant même dans le port, à l’intendant ou au commissaire ordonnateur pour ce qui regardait le travail du port. Il défendit aux commandans des ports de donner aucuns congés absolus aux officiers. Il répondit avec beaucoup de modération à un officier de distinction (M. de Feuquières) qui lui avait écrit en termes peu mesurés. Ordonnance portant que les difficultés sur la discipline des troupes de la marine qui n’auront point été prévues par l’ordonnance de la marine, seront décidées sur celle de terre. |
Munitions et marchandises
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M. de Pontchartrain avait éprouvé dans la dernière guerre, surtout après le combat de La Hougue, combien il était important pour le service d’avoir de grands amas de munitions. Prévoyant la guerre, malgré la paix de Ryswick, il eut soin d’en faire des provisions très amples de toutes espèces dans les arsenaux. Il mit toutes les manufactures en mouvement et envoya M. Arnoul, intendant, les visiter et y mettre ordre. S’étant mal trouvé de l’économie, il préférait la voye des marchés pour les fournitures. C’est la plus aisée et la plus sûre, mais en même tems la plus chère. On n’en doit adopter aucune sans exception, c’est aux circonstances d’en décider. Le plus grand objet étant le bois, il employa tous les soins pour conserver ceux du royaume, en faisant faire des plans et des visites de toutes les forêts, et en empêchant qu’on y coupât des bois sans le consentement des intendans de marine. Il chercha à en tirer de l’étranger, surtout des pays nouvellement conquis (la Savoye) et qu’il prévoyait que l’on pourrait vendre. Il en fit venir d’Espagne, d’Italie. Il se proposait de tirer des mâtures de l’Acadie et de Constantinople. Il excita la culture des chanvres en promettant aux particuliers de les prendre pour le Roi et d’en augmenter le prix en s’opposant aux enlèvemens de quelques fournisseurs qui voulaient en faire des amas trop considérables pour se rendre les maîtres du prix et en suspendant la fourniture des particuliers jusqu’à ce que celle du Roi fut faite. Il fit préférer le charbon de terre de Nivernais à celui d’Angleterre. Et ordonna que l’on peignit ou goudronnât les ancres pour en éviter la rouille qui les dépérit, ce qui en est le seul moyen. Il se plaignait de la consommation excessive de papier dans les bureaux des ports. Il peut s’y glisser quelques abus, peu importans à la vérité, mais où la quantité d’écriture et nécessaire donne lieu. Il laissait aux intendans la liberté de vendre le superflu des munitions aux armateurs en en fixant le prix. Il avait pris le parti en 1692 de supprimer par une ordonnance tous les passeports pour les marchandises de service, de crainte que les fournisseurs n’en abusassent pour leur commerce en particulier, mais il y dérogea par un arrêt qu’il fit rendre en 1698 pour faire exempter des droits de la ferme des domaines ces mêmes fournitures. |
Officiers
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M. de Pontchartrain cherchait à exciter l’émulation entre eux par des éloges, des avancemens et des récompenses, mêmes pécuniaires. Il fit donner 2000 £ à M. Belair, capitaine de vaisseau, qui avait combattu seul et mis en fuite deux vaisseaux anglais. 3000 £ au chevalier Des Augiers qui avait combattu et coulé à fonds deux vaisseaux de guerre hollandais. Il donna de grands éloges à M. de Tourville et à tous les officiers de son escadre sur la belle défense dans l’affaire de La Hougue, malgré le mauvais succès. Il ne voulait pas que les officiers d’artillerie montassent la garde à leur tour quand il y en avait d’autres pour leur donner plus de tems pour vaquer à leur métier. Cela a été changé depuis. Il n’approuvait pas le changement des fonctions dans les officiers de plume. Il n’y a pourtant que ce moyen là de les rendre propres à plusieurs services, surtout ceux que l’on veut avancer. |
Pêche
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Cet objet a toujours été regardé comme important dans la marine, tant par rapport au commerce qu’à la formation des matelots Les plus considérables sont celles de la morue sur le grand banc, du hareng sur les côtes de Normandie et de Picardie, de la baleine dans les mers du Nord. Il les protégeait (M. de Pontchartrain) autant qu’il pouvait, mais il voulait qu’elles fussent libres et rejetait la proposition de donner celle du hareng à une compagnie particulière. Il faisait contribuer les pêcheurs aux frais d’escorte qu’il leur donnait pendant la guerre. [Il] Prêtait des fonds du Roi à ceux qui entreprenaient la pêche de la baleine pour l’enlever aux Hollandais et écrivait à l’ambassadeur de France en Angleterre de favoriser autant qu’il pouvait la pêche du hareng aux Français sur les côtes d’Angleterre. Il fit défendre l’entrée du hareng autrement qu’en vrac et salé de sel de Brouage, à peine de confiscation et de 1500 £ d’amende. |
Ports, Côtes et rades
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M. de Pontchartrain veillait avec un soin extrême à la propriété et sûreté des ports et sur l’avis qu’il se formait des bancs de sable dans celui de Brest, il le fit nettoyer pendant les marées de septembre et d’octobre et employa à ce travail des paysans des environs. Il avait commencé à faire creuser le port de Bouc pour y faire tenir trente galères, mais il abandonna ce projet. Il faisait soigneusement observer les vaisseaux de guerre étrangers qui venaient dans les ports afin de les empêcher de sonder les rades. Il refusa la proposition de faire construire un port à St Jean de Luz sur le produit d’un droit à lever sur les prises. |
Prises
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L’objet des prises fut considérable dans la guerre depuis 1690 jusqu’en 1698. Les vaisseaux du Roi et les armateurs particuliers en firent de considérables. Elles contribuèrent aux frais de la marine et relevèrent la réputation des forces maritimes. Aussi, avait on grand soin de les publier dans les pays étrangers. Samuel Bernard offrit jusqu’à trois millions cent cinquante mille livres d’une prise faite par M. de Nesmond sans y comprendre les diamans et les salpêtres. M. de Pontchartrain faisait veiller avec grand soin sur le produit des prises faites par les vaisseaux du Roi. Il recommandait que l’adjudication s’en fit avec grand soin et avec toutes les précautions possibles pour que rien n’en fut détourné et pour qu’elles fussent portées à leur valeur. Il refusa le 10eme de l’amiral sur toutes celles qui n’étaient point faites par des armateurs particuliers. Malgré ces précautions, il s’y faisait encore beaucoup de pillage, dont on fit vainement la recherche. Il défendit aux armateurs de disposer des provisions et les obligea de les ramener dans les ports de France. Il favorisait d’ailleurs les armateurs en toutes manières et fit donner au chevalier de Nemours la vaisselle du capitaine d’un vaisseau anglais qu’il avait pris. Le Roi ayant joint trois vaisseaux à ceux de la Compagnie des Indes, accorda à cette compagnie moitié des prises qui seraient faites par l’escadre entière et le 5eme aux officiers de l’équipage des vaisseaux. Il faisait prendre grand soin des officiers ennemis pris ou blessés et les fit échanger contre des Français, mais il menaça de représailles les Anglais s’ils faisaient du mal à ceux qu’ils auraient pris, combattans pour le Roi Jacques. Il fit porter des plaintes au grand maître de Malte de ce qu’un corsaire maltais était entré à Alexandrie sous pavillon de France pour y prendre un caïque. Il établit que lorsque les connaissemens ne nommeraient pas le propriétaire du chargement d’un vaisseau pris ou arrêté en mer, même aux alliés ou aux puissances neutres, et que la destination serait pour [des] pays ennemis, la confiscation aurait lieu, et que les armateurs français ne pourraient plus relâcher ces bâtimens, mais seraient tenus de les amener dans les ports de France. Il fut décidé que les ventes faites à la requête du procureur du Roi de l’amirauté ne devaient aucun droit aux jurés priseurs de la justice ordinaire, à moins que les vaisseaux étant saisis en justice, la vente ne s’en fit à la requête des créanciers. Il fut ordonné que les procédures des prises faites par les officiers de l’amirauté seraient communiquées par eux aux commandans ou ordonnateurs des ports où elles se feraient. Article contesté par l’amirauté et de nécessité à observer, surtout en tems de guerre. Le Roi fit donner la liberté à deux jeunes sauvages réclamés par le capitaine anglais d’un vaisseau pris et les déclara libres, sitôt qu’ils avaient touché les terres de France. Le Roi en fit prendre soin. |
Religionnaires
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M. de Pontchartrain fit rendre une déclaration le 29 Xbre 1698 pour permettre aux religionnaires sortis du royaume pour cause de religion, d’y revenir et de rentrer dans leurs biens, à la charge de renoncer à leurs erreurs, et la fit envoyer à tous les consuls. Cette déclaration n’eut pas grand effet. Il en fit rendre une autre en 1699, le 11 février, qui défendait aux nouveaux convertis de sortir du royaume sous aucun prétexte sans permission du Roi et manda aux officiers d’amirauté d’agir de concert sur cela avec les commissaires des classes, et aux maîtres des bateaux de Normandie, commerçant aux isles de Jersey et de Guernesey, de mouiller au large, sur ce qu’ils étaient soupçonnés de favorises ces évasions. Il fut donné dix pistoles de récompenses à un Basque qui avait tué un religionnaire qui avait mal parlé du Roi. Cette récompense n’était pas catholique. On eut jugé autrement dans l’ancienne Rome. Un fils vint demander une récompense au sénat pour avoir tué son père, prosélyte dans les guerres civiles. Le sénat répondit : « hoc sceluc honorari jus hummanum non suil honc cardem nesei sie ratio belli non patuo », et on le renvoya sans récompense et absous. |
Saluts
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La prétention de la France pour les saluts a été longtems matière à discussion entre les puissances maritimes. La loi du plus fort en a souvent décidé, et comme la France et l’Angleterre ont toujours été assés en balance à cet égard, ils sont toujours convenus réciproquement de ne se rien demander de part et d’autre, les forteresses exceptées, que le Roi était convenu de faire saluer les premiers à condition que l’on rendrait coup pour coup à ses vaisseaux. A l’égard des autres puissances, telles que le Portugal, la Hollande, Venise, Gênes et tous les Barbaresques, le Roi donna ordre d’en exiger le salut à vaisseau égal, mais consentit que ses vaisseaux ne portant que la flamme, saluassent les premiers les pavillons quarrés. La circonstance de la prochaine succession d’Espagne engageant le Roi a beaucoup d’égards pour l’Espagne, il n’exigea aucun salut des vaisseaux de guerre espagnols et ordonna à un commandant d’escadre qui allait devant Cadix, de se contenter de deux coups de moins dans le salut que lui rendrait cette place et de ne l’exiger d’aucune nation dans ce port pour n’en point troubler la tranquillité. Un vaisseau du Roi de Suède apportant à Brest le corps de M. Béthune, mort ambassadeur, il fut donné ordre de ne point exiger de ce vaisseau qu’il salua les forts, mais de ne point permettre qu’il entrât dans le port s’il refusait de saluer le pavillon amiral. Il fut recommandé à un capitaine de vaisseau du Roi allant à la Chine pour le compte de quelques particuliers, de se conformer pour le salut dans cette mer aux usages du pays et de faire passer ce vaisseau pour marchand en cas que ces usages fussent contraires à l’honneur du pavillon français et pussent tirer à conséquence pour les vaisseaux que le Roi pourrait y envoyer dans la suite. |
Troupes
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Les levées des soldats se faisaient par tous les officiers des compagnies. Les capitaines étaient tenus d’en faire dix, les lieutenans et les enseignes à proportion et jusqu’aux gardes marine devaient en faire chacun deux ou trois, le tout sous peine de prison et de privation d’appointemens à raison pour les capitaines de 40 £ par chaque homme. On défendit les violences dans les engagemens, surtout pour les colonies, mais on tolérait les tours d’industrie, ce qui va loin et peu occasionner bien des abus mais presque inévitables en tems de guerre. On défendit aussi de les retenir passé le tems de leur engagement. On n’était pas difficile sur la hauteur, pourvu que les sujets fussent robustes. En 1691, le Roi défendit d’y admettre des gentils hommes en qualité de cadets. Il permit de tirer 800 hommes de Corse en les distribuant dans les différens ports et en les mettant dans les compagnies. Il faisait veiller aux abus qui se glissaient dans les rôles sur les passe volants et défendit sous peine de cassation de faire passer des valets pour soldats. Il faisait exercer ces troupes dans les quartiers par les inspecteurs et les majors, les faisait camper et manœuvrer et tachait de les rendre propres à tous les exercices de terre en cas de descente. Il défendit qu’ils portassent des épées dans la ville, ni des habits bourgeois hors le cas de travail. Il cherchait même à les faire sortir avec les troupes de terre aux sièges des places maritimes et voulait qu’en ces cas là, ils fussent subordonnés aux officiers de terre, n’étant qu’auxiliaires, mais il refusa de leur faire former des régimens en mettant des capitaines de vaisseaux à leur tête, comme colonel. On délivrait aux commandans des compagnies des brevets de lieutenans de frégates pour les faire voir aux soldats et officiers mariniers et les promettre à ceux qui se distingueraient dans le service. On fournissait la 1ere fois 20 tentes aux compagnies de 100 hommes, une pour le capitaine de compagnie, une pour le lieutenant et l’enseigne et une pour les fifres et tambours, mais on faisait fournir aux soldats à leurs dépens les marmites, serpes, haches, gourdes. On ne donnait pas non plus alors de baïonnette aux troupes. Ces usages ont changé depuis ce tems là. C’était le ministre de la guerre qui expédiait les routes et on faisait payer exactement aux officiers et aux compagnies les désordres qu’ils commettaient en chemin et dans les quartiers. L’habillement des soldats qu’on envoyait aux colonies ne revenait en 1693 qu’à 11 £. On faisait faire exactement le décompte tous les trois mois dans les quartiers et à la fin de toutes les campagnes, permettant néanmoins aux capitaines de retenir sur la paye l’excédent des hardes fournies au dessus des 4 deniers. On faisait embarquer de préférence les soldats endettés pour qu’ils s’acquittassent. Les capitaines d’armes commandaient les sergens de bombardiers et ceux ci les sergens de compagnie. La contrebande du vin leur était sévèrement défendue. Les soldats n’étaient passés aux capitaines que du jour de la présentation ou preuve de l’enrôlement donné au commissaire et non du jour de l’engagement qui eut pu être antidaté. Les habits restaient aux soldats réformés dont on fit passer aux isles après la paix faite 10 ou 12 par compagnie. La demi-solde ne s’accordait guères qu’aux estropiés. Il était défendu aux curés de marier des soldats sans permission de leurs officiers. On obligea les capitaines de mettre en bourse un écu par mois pour les frais de poursuite des déserteurs et d’envoyer sur les routes des capitaines d’armes pour les arrêter. Les officiers des vaisseaux de la Compagnie des Indes étaient exempts de logement de gens de guerre. Le Roi désapprouva la prétention d’un officier qui voulait faire compléter par les héritiers de son prédécesseur la compagnie où il montait. Il ordonna que le maréchal de Tourville fut salué de la pique par l’inspecteur à la tête du 1er bataillon des troupes de la marine. |
Vivres
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Il s’est glissé dans tous les tems beaucoup d’abus dans les vivres. On n’a pu encore remédier qu’à une partie. Un des principaux était d’exiger du munitionnaire qu’il remit en argent aux capitaines les fonds des rafraîchissemens et souvent même des rations, ce qui fut défendu par M. de Pontchartrain. Il faut convenir cependant qu’il est de l’intérêt du Roi et des équipages que les fonds des rafraîchissemens soient embarqués en argent, plutôt qu’en matière, lorsqu’on est à portée d’en faire pour la campagne, 1er pour les avoir meilleurs et plus frais, 2e pour éviter l’encombrement. Mais ce fond doit être remis au commis du munitionnaire qui ne doit en disposer que sur l’ordre du commissaire et de l’écrivain, visé du capitaine. M. de Pontchartrain obligea les munitionnaires à avoir toujours dans chaque port la quantité de vivres portée par son traité et à les remplacer à mesure, à ne point préparer le biscuit ailleurs que dans les ports, hors dans le tems de grands armemens où les magasins ne suffiraient point pour contenir tous les vivres. Il ne voulut point leur faire donner d’autorité des bâtimens pour le transport de leurs vivres, de crainte qu’ils n’en abusassent pour gêner le commerce. Cela devient cependant indispensable dans certains cas pour assurer le service. Il permit qu’il entrât du seigle dans le pain des équipages, mais non dans le biscuit. Cela s’est pratiqué de même. Il fit donner le matin du gruau aux équipages qui naviguaient dans le Nord et de l’eau de vie mêlée avec de l’eau dans les années où le vin était trop cher et trop mauvais pour embarquer dans les voyages de long cours. Il blâma très vivement un capitaine d’avoir fait débarquer de son autorité le biscuit qui lui avait été donné, sous prétexte qu’il n’était point de bonne qualité, et lui manda que ce n’était point à lui à juger, mais à l’intendant à qui il devait faire ses représentations, et fit interdire et ôter le commandement à un capitaine qui avait vendu des vivres, et à un autre qui avait pris du vin de l’équipage pour son usage. Il protégeait fortement les munitionnaires contre les vexations des officiers et des équipages et ne leur permettait pas de s’en faire justice eux même, même dans les cas de prévarication dont la connaissance n’était dévolue qu’aux intendans. Il désapprouva même les vivacités déplacées d’un intendant à l’égard d’un commis prévaricateur. Ordonnance portant que les officiers mariniers et matelots seraient nourris par le munitionnaire dès l’instant de leur arrivée dans le port et qui règle ce qui sera payé outre leur nourriture : aux premiers maîtres 10 sous par jours, aux seconds maîtres 9 sous, aux contres maîtres et sous pilotes 8 sous, aux bossemans quartiers maîtres 7 sous, aux matelots 5 sous Cette police change à chaque renouvellement de traité de vivres. |
Principes sur la Marine
Tirés des dépêches et des ordres du Roy donnés sous le Ministère de M. le comte de Pontchartrain.
Discours préliminaire
La marine s’était rétablie et formée sou le ministère de M. Colbert, élevée sou celui de M. de Seignelay, entretenue sous celui de M. le chancelier de Pontchartrain, sous celui de M. le comte de Pontchartrain, son fils, elle vit sa gloire et sa décadence portée presque à sa dernière limite. Les sources de ce dépérissement avaient commencé des le tems même de M. de Seignelay. Les malheurs survenus depuis à la France, et qui ont toujours été en augmentant, entraînèrent nécessairement avec eux ceux de la marine, d’autant plus que depuis M. Colbert, cette partie de l’état avait toujours été la plus négligée et la plus mal servie du côté des fonds.
Au commencement de ce ministère, elle fit un effort pour se relever et jeta un dernier éclat au combat de Malaga en 1704, mais depuis cette action de vigueur, dont les circonstances ne permirent pas même de retirer tout le parti possible, on peut dire qu’il n’y a presque plus eu de marine en France et excepté quelques actions particulières, on n’y a plus vu d’armées navales, ni même d’escadres fort considérables. Il n’en faut point chercher la cause ailleurs que dans le discrédit général des finances qui influa particulièrement sur la marine. Un nouveau contrôleur général en faveur d’un génie reconnu depuis pour médiocre, peu au fait des finances quand il en eut la direction, surchargé un an après et avant qu’il eut eu le tems de les connaître, du ministère de la guerre où il porta son affection, et les fonds de l’état déjà épuisés par les guerres et les négociations des années précédentes, ennemi on peut le dire ou du moins très indifférent pour la marine dont il ignorait l’utilité, parvint enfin à en dégoûter le Roy. A ce malheur, le premier de tous, se joignirent des stérilités, la famine, mais surtout la vénalité des charges, créée par les édits des mois de mars 1702 et avril 1704. Ce couple plus funeste qui ait jamais été porté à la marine, y introduisit des sujets sans mérite, les y maintint sans services, et mis au pillage ce qui restait des débris des vaisseaux et des arsenaux. Tant de circonstances réunies achevèrent d’écraser la marine en la privant des alimens sans lesquels il est impossible qu’elle subsiste, et dont le retardement oblige souvent à en doubler la dépense.
On avait donné pour comptant à M. de Pontchartrain ces nouvelles charges qu’il fut obligé [de] vendre. Ce secours fit sur la marine l’effet des remèdes de charlatans qui ne raniment un moment la nature que pour la faire périr ensuite, plus promptement. On ne fut pas longtemps à en connaître l’abus, mais on n’y remédia que bien après, du tems des conseils, et l’impression du mal qui en a résulté n’est pas encore détruite.
On ne peut décrire l’abandon où on laissa la marine pendant les années qui suivirent cette vénalité, particulièrement depuis 1706. Rien n’était payé dans les ports, ni appointemens, ni ouvriers, ni souvent le prêt des soldats. Loin d’être en état de faire des constructions et des armemens, il fallait vendre pièce à pièce la plupart des effets des arsenaux pour faire subsister des officiers, des soldats, des journaliers, prêts à chaque instant à exciter des séditions. On compte en 1709 dans le seul port de Rochefort plus de 600 hommes employés dans la marine, morts réellement de faim et de misère.
Il est aisé de juger que ce moment ne pouvait être celui du rétablissement de la discipline. On connaissait les règles, mais il n’était pas question de les suivre dans un tems où la nécessité n’admettait aucune loi. Les congés, les lettres d’état, étaient les principales ressources que l’on mettait en œuvre pour la subsistance des officiers, la vente des effets de l’arsenal pour celle des troupes, et les armemens en course pour celle des matelots et pour la défense des côtes. Ce fut à ces armemens particuliers que se réduisirent pendant longtemps toutes les opérations maritimes. Le Roy prêtait ses vaisseaux à des armateurs à des conditions avantageuses, il y eut même des courses heureuses, les Malouins s’y distinguèrent et firent encore plus de tort aux ennemis que de profits à la nation.
L’expédition de M. Ducasse à la Havane et celle de M. Duguay Trouin à Rio de Janeiro en 1711 rapportèrent quelques fonds en France, mais ces succès furent balancés par des revers. La perte des galions à Vigo en 1702, les tentatives infructueuses pour le rétablissement du Roi Jacques en Angleterre, la prise de Gibraltar et divers autres échecs n’ont jamais permis à la marine de reprendre son premier lustre ni même de se soutenir dans un état de défense capable de résister aux entreprises des ennemis. Loin donc d’imputer à ce ministère sa décadence et son dépérissement, on doit plutôt s’étonner qu’il l’ait autant retardé et qu’il en ait conservé des restes qui pourront devenir un jour le germe de son rétablissement.
M. le comte de Pontchartrain était né avec de l’esprit et avait été élevé sous un père bien capable de le former. Il avait voyagé dans tous les ports et avait toute l’expérience que peut avoir un ministre né pour l’être. Il connaissait la marine, il en voulait le bien, mais il trouva tout contre lui des finances épuisées, le commerce éteint, une guerre à soutenir, des intrigues de cour à combattre et la prévention si ordinaire et si injuste qui rejette sur la conduite des ministres les malheurs des tems dont ils ont souvent paré une partie.
La paix qui se fit en 1714 en diminua la source, mais elle ne la tarit pas, et ne donna pas le tems à la marine d’en recueillir les fruits.
La mort de Louis 14 en 1715, et l’établissement des conseils fit une nouvelle époque dans le ministère, et y introduisit de nouveaux principes, mais cette différente forme de gouvernement qui n’a pu subsister longtemps, n’a servi qu’à faire voir que les anciennes maximes sont souvent plus fondées en raison que l’on ne l’imagine, et que tout changement en matière d’administration porte avec soi des inconvéniens quelquefois plus considérables que ceux auxquels on veut remédier.
Amirauté
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M. de Pontchartrain fit rendre un arrêt pour défendre aux bâtimens et vaisseaux, même à ceux frétés pour le service du Roy, de sortir des ports sans avoir pris congés de l’amiral et sans avoir acquitté les droits d’ancrage. Il confiait quelquefois aux ordonnateurs l’exécution d’arrêts importans dont l’objet paraissait aux officiers de l’amirauté devoir être de leur compétence qu’ils réclamaient vivement. M. de Pontchartrain justifiait cette préférence vis à vis de l’amiral sur la nécessité du secret qui ne pouvait être aussi bien gardé par ses officiers que par les personnels de confiance que le Roy avait dans les ports. Il y a eut de fréquentes discussions sous ce ministère entre les intendans de marine et les officiers des amirautés au sujet de la compétence de leur juridiction. Des édits bursaux qui étendaient les privilèges des ces derniers, le crédit de l’amiral qui les y soutenait, favorisaient extrêmement leurs prétentions. L’ordonnance de 1689 et des raisons de service plus fortes encore que les ordonnances les réprimaient et les réduisaient à leur valeur, mais le service en souffrait et ces chicanes continuelles venaient souvent d’un malentendu de part et d’autre sur le véritable avantage de la marine qui, mieux connus des deux chefs, les aurait réunis pour le bien commun. Cette guerre à la cour entre l’amiral et le ministre, est l’image et le fondement de celle qui se renouvelle continuellement dans les ports entre les intendans et les commandans, et est en même tems la source de la mésintelligence et des tracasseries continuelles qui font les grandes affaires des départemens qui embarrassent les ministres pour les décisions et qui minent le service en dessous et lui causent un préjudice inexprimable. |
Armemens
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Il y a peu de principes à tirer sur cette matière d’un tems où la situation des affaires ne permettait pas de former aucun projet fixe ni même de suivre ceux où l’on s’était réduit sur le plus bas pied. La guerre pour la succession d’Espagne avait mis contre la France toutes les puissances maritimes, leurs forces étaient supérieures et leur crédit mieux établi que le nôtre. On fit face contre elles jusqu’au combat de malaga en 1704 où l’armée de France eut même quelque avantage sur la leur, mais depuis, on ne fit plus que se défendre et n’ayant pas de quoi se présenter à nombre égal devant leurs flottes combinées, on se sauva du mieux qu’on put, par la course, où non seulement des officiers du Roy, mais même de gros négocians, firent des entreprises considérables dont quelques unes eurent des succès heureux. On donna à des officiers particuliers des vaisseaux du Roy à armer, et des soldats dont on les obligea de payer la solde, un tiers en sus de plus que celle du Roy. On les obligeait à remplacer les morts, les déserteurs, et jusqu’à leurs habits perdus dans la course, et à faire rétablir à leurs dépens au désarmement les armes et futailles qui se seraient consommées. Au reste, on les laissait libres de s’associer comme ils voulaient, et ils s’y portaient avec tant d’ardeur qu’on les blâmait même quelquefois de s’exposer trop. On obligea les négocians de Guyenne et de Languedoc d’armer des vaisseaux pour garder leurs côtes, et on leur fit payer les frais de l’armement sur un droit de tonneau qu’on leur permit de lever. On faisait embarquer le plus de gardes marine que l’on pouvait sur ces corsaires. On permettait aux étrangers de s’y intéresser pour un tiers, mais quand ils avaient une plus grande part dans la propriété du bâtiment et que les deux tiers de l’équipage n’était pas français, il leur fut défendu de porter le pavillon de France, sous peine de confiscation et de 1500 £ d’amende contre les capitaines. On tachait d’engager le Roy de Portugal dans les intérêts de la France et on lui envoya pour cela des hommes et des munitions qu’il reçut comme allié et qui ne l’empêchèrent pas de tourner casaque peu de temps après. On ménageait aussi les puissances du Nord qui étaient en guerre les unes contre les autres, et l’on conservait envers elles une parfaite neutralité. On maintint du mieux que l’on put les privilèges du pavillon qui recevaient différentes infractions dans les ports de Livourne, de Gênes et de Venise où l’on favorisait la course des ennemis au préjudice de celle des français. Il ne fut permis aux ambassadeurs de donner des passeports que dans des cas extrêmemens urgents. On recommanda à tous les capitaines de vaisseaux qui allaient en Amérique le transport de l’argent des particuliers pour France, mais le malheur des tems obligea d’en exiger le fret et l’on ne voulut jamais se relâcher sur cet article. |
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La haute police sur mer est plus dévolue au commandement que dans un port parce qu’il représente plus généralement la personne du Roy comme un général à l’armée. Cependant, les fonctions de l’intendant d’armée, du commissaire et de l’écrivain même ne lui sont point subordonnées. Ils doivent seulement se conformer à ses vues sur ce qu’ils ont à faire, en concerter avec lui le tems et les moyens, et lui demander les secours dont ils ont besoin pour l’exécution. Il fut rendu une ordonnance en 1710 pour empêcher les commandans de bâtimens de charge de rien changer à l’arrimage, aux équipages, aux logemens, chambres et cloisons de leurs vaisseaux, sous peine de cassation, et M. de Pontchartrain recommandait aux intendans de n’avoir sur cela aucune complaisance, ni pour les augmentations d’agrès que demandaient les capitaines. Il en fut rendu une autre en 1712 pour défendre à tous capitaines, maîtres, et officiers, de coucher à terre lorsqu’ils seraient de relâche dans les rades. M. de Pontchartrain blâma très vivement un capitaine de vaisseau d’avoir fait couper de son chef des membres d’un vaisseau dans le fond de cale, et ordonna qu’ils fussent rétablis à ses dépens. Il y eut ordre de faire faire des partances de Rochefort, de l’isle d’Aix, et non de La Rochelle, pour prévenir les occasions de commerce que la commodité de ces passages faisait faire aux officiers avec les marchands. Les logemens des écrivains principaux sur les vaisseaux fut réglé après celui des lieutenans, et celui des inspecteurs de la marine, des commissaires généraux de l’artillerie, et des capitaines suivant leur ancienneté, celui qui commande le vaisseau ayant toujours la première place. On ne souffrait pas que les armateurs dépouillassent les officiers des vaisseaux ennemis de ce qu’ils avaient sur eux, et l’on fit rendre à un officier anglais qui était dans ce cas, sa tabatière, sa montre et sa bague. On n’en excepta que l’argent monnayé. On fit mettre en prison un capitaine corsaire pour avoir traité indignement un officier anglais prisonnier. Le Roi fit faire en 1703 les plus vives recherches contre les officiers de l’escadre de M. Coëtlogon d’avoir pillé des prises et d’en avoir diverti plus de 9 millions. Les intendans eurent ordre d’envoyer tous les pavillons des vaisseaux de guerre pris sur les ennemis pour les présenter au Roy. On tenait la main à ce que les vaisseaux rançonnés s’acquittassent promptement de leur rançon afin de retirer les otages d’entre les mains des ennemis. On recommandait d’embarquer sur les vaisseaux que le Roy donnait à armer le plus de gardes marine qu’il se pouvait pour les mettre plus en état de défense et pour qu’ils y apprissent leur métier. On obligea un armateur d’un vaisseau du Roi qui avait vendu le vin destiné pour les gens de son équipage, de leur tenir compte de tous les repas de vin qu’il leur avait retranché, et sur ce qu’on aperçut que les capitaines de vaisseaux à qui l’on confiait l’argent pour l’achat des rafraîchissemens s’en servaient pour acheter des marchandises et privaient les équipages de ce secours. Le Roy ordonna qu’à l’avenir, ces fonds ne seraient plus confiés qu’aux écrivains qui seraient seuls chargés de leur emploi, sous l’inspection des capitaines. Ils ne doivent même l’être qu’au commis du munitionnaire pour être employés sous l’inspection de l’écrivain et le visa du capitaine, n’étant point convenable qu’un officier du Roy soit jamais comptable du munitionnaire. On aurait fort souhaité qu’on eut pu réduire les capitaines à ne point embarquer de bestiaux qui incommodaient beaucoup les équipages par l’infection qu’ils causaient dans le navire, par la place qu’ils y occupaient avec leurs fourrages, et par l’embarras qu’ils occasionnaient dans les cas de combat. On en écrivait à M. de Coëtlogon, lieutenant général, pour avoir son avis, et l’on ne voit pas que cela ait produit alors aucun changement. L’embarquement des bestiaux est inévitable à un certain point. On ne peut qu’en retrancher le nombre et il ne peut se régler que suivant les navigations. En général on ne peut trop diminuer le luxe des tables à la mer, en observant de les rendre saines et abondantes. Le mauvais air des bestiaux et l’encombrement des fourrages portent un grand préjudice à la navigation. Le moins qu’on peut embarquer de rafraîchissemens en nature, pourvu qu’on aille en lieu de remplacement, est toujours le mieux. Il est beaucoup plus convenable d’embarquer le reste en argent, pourvu qu’on ait soin qu’il soit bien et fidèlement administré. On laissait communément aux intendans le droit de nommer le commandant des flûtes de transport, et l’on ordonnât aux capitaines des vaisseaux destinés à escorter les bâtimens de charge ou marchands, d’exécuter les ordres qui leur seraient donnés par les commandans et les intendans des ports. Le Roy faisait caréner des vaisseaux qu’il prêtait à des armateurs, mais il n’entrait point dans la dépense des carènes qu’ils faisaient dans les pays étrangers. Il obligeait les particuliers qui avaient traité de ses vaisseaux pour les armer en course, à tenir leurs engagemens, et fit casser et chasser du service les officiers mariniers qui refusaient d’y servir. Il ordonna que les vaisseaux de trente hommes d’équipage et au dessus seraient tenus d’avoir un aumônier. Il ordonna que les journaux des pilotes revenant de la mer du sud fussent remis aux intendans ou commissaires des ports, pour pouvoir être consultés par ceux qui entreprendraient de pareils voyages. On les remet présentement au dépôt de la marine. Les commissaires furent autorisés à ôter pour des faits graves le gouvernail à des bâtimens marchands, et non pour cas légers, afin de ne point retarder leur voyage. On cherchait les moyens d’indemniser les propriétaires des bâtimens que l’on prenait pour le service du Roy, afin de les retrouver dans d’autres occasions. On ne voulut point autoriser la clause par laquelle un armateur avait engagé les gens et officiers de son équipage à être portés à l’hôpital ou à se faire traiter chez eux à leurs frais, craignant qu’ils n’attachassent à ce traitement à l’hôpital un déshonneur qui abattit leur courage, qu’il fallait au contraire élever pour le bien de la course. On fit défense aux armateurs de se servir de bâtimens pêcheurs pour la course, afin de n’en pas troubler le commerce sous cette apparence. |
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Au commencement de 1700, on prévit la mort prochaine du Roy d’Espagne (Charles 2). L’incertitude où l’on était sur ses dispositions testamentaires et sur celles des peuples pour sa succession fit prendre à la France toutes les mesures nécessaires pour assurer sa couronne à la maison de Bourbon. On soupçonnait un parti formé en faveur de l’Archiduc. On ménagea pour s’y opposer des intelligences dans les diverses parties de ce royaume et dans toutes les cours étrangères, jusqu’à Vienne même. Elles répondirent toutes au marquis d’Harcourt, alors ambassadeur de France à la cour d’Espagne, et l’âme de toutes les résolutions qui s’y prenaient. Il y eut ordre d’armer dans tous les ports. L’intention du Roy était, en cas d’évènement, de faire passer trente mille hommes à Naples, deux mille chevaux, 40 pièces de campagne, 30 pour le siège avec les munitions nécessaires, de faire l’embarquement à Toulon, et d’employer à ce transport 15 vaisseaux de guerre, 25 galères, 150 tartanes, des flûtes et autres bâtimens, autant qu’il en serait besoin. Sur la nouvelle d’un armement des espagnols à Cadix, dont on crut que l’objet pouvait être de favoriser le transport de l’Archiduc en Espagne, on fit partir de Toulon M. de Nesmond, chef d’escadre, avec 13 vaisseaux de guerre et 2 brûlots sous prétexte de croiser sur les côtes de Barbarie, mais en effet pour observer les mouvemens de cet armement, avec ordre de le suivre s’il passait dans la Méditerranée ou à Ostende, et de déclarer au commandant qu’il avait ordre de le combattre s’il se proposait d’embarquer l’Archiduc, et de le combattre en effet aussitôt que les Espagnols en auraient déclaré le dessein, de s’aider pour cela des galères de France commandées par le bailly de Noailles et des frégates commandées par M. de Pointis qui eurent ordre de lui obéir. M. de Nesmond n’appareilla que le 20 juin 1700 des isles d’Hyères où il avait été obligé de relâcher. On fit armer 6 vaisseaux à Brest et 3 à Rochefort, dont M. de Châteaurenault, lieutenant général, eut le commandement avec ordre de se rendre promptement aux rades de La Rochelle pour s’y conduire suivant les ordres et instructions de M. le marquis d’Harcourt à qui l’on en fit part pour qu’il les fit agir suivant les circonstances, conjointement avec l’armée de terre. On manda aussi aux échevins de Marseille d’avertir les négocians que dans la conjoncture critique des affaires et dans la crainte qu’elles ne se brouillassent, ils prissent leurs mesures pour la sûreté de leurs effets, et qu’ils s’abstinssent d’envoyer des vaisseaux en Espagne jusqu’à ce que les affaires fussent plus éclaircies. On fut quelque tems incertain sur les vues de l’armement d’Espagne qui resta dans l’inaction, et que l’on crut pouvoir être destiné pour chasser les Français du Mississippi que l’on résolut d’abandonner. Enfin, ces incertitudes se terminèrent par la nouvelle de la mort du Roi d’Espagne qui arriva à la cour le 9 9bre 1700 (par toutes les dépêches, il paraît que le Roi ne donna son consentement au testament du Roi d’Espagne que le 16 ou 17 9bre 1700) et par celles des dispositions de son testament qui appelait le duc d’Anjou à la couronne. On en fit part aux consuls de la France en Espagne et en Sicile, et les armemens de Brest et de Rochefort furent suspendus. On ne laissait pas, malgré l’occupation de ce grand objet, d’envoyer encore des frégates pour chasser les forbans de la côte de St Domingue. Le traité éventuel fait pour la succession d’Espagne avait été rendu public vers le 30 juin 1700. Les consuls de France en Espagne avaient ordre de n’en point parler dans leurs différens départemens et de le désapprouver si l’on en parlait comme étant contraire aux intérêts des Espagnols. Il paraît qu’on était bien aise de les disposer par là en faveur de la France. |
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Le testament de Charles 2 en faveur de M.. Le duc d’Anjou excita la jalousie de toutes les puissances de l’Europe contre la France. L’Empereur fut le premier qui éclata, l’Angleterre et la Hollande furent quelque tems sans se déclarer, mais se s’en préparèrent pas moins à la guerre. Ils firent des armemens considérables qui n’eurent d’autre effet cette année que d’inquiéter beaucoup la France qui, de son côté, fit des efforts d’autant plus grands que l’Espagne était épuisée de tout ce qui était nécessaire pour soutenir la guerre. Le Roy prit sur lui, non seulement de mettre les côtes de France et celles d’Espagne en défense, mais encore d’envoyer des secours considérables dans les divers pays de la domination d’Espagne menacés par les armées combinées de l’Angleterre et de la Hollande. M. le marquis d’Harcourt, ambassadeur à Madrid, jouait un grand rôle dans cette cour. Les services qu’il avait rendus auprès de Charles deux lui donnaient beaucoup de crédit dans ce ministère et lui acquirent à juste titre la confiance du Roy et celle du Roi d’Espagne. C’était à lui que presque tous les ordres étaient adressés. Comme dans cette crise il fut attaqué d’une maladie violente, on lui envoya pour le seconder le marquis de Blecourt. L’Archiduc avait un parti formé pour lui dans le centre même du royaume, et y entretenait des intelligences. La France chercha de son côté à se ménager des alliés. On crût en avoir trouvé un fidèle dans le Roy de Portugal avec qui l’on fit un traité. On lui fournit des munitions immenses d’armes, d’argent et de vaisseaux pour le mettre à l’abri des insultes des Anglais et des Hollandais. La suite fit voir qu’on s’était abusé en comptant sur cette alliance. On a peine à imaginer les dépenses immenses que la France fit alors de tous côtés, tant pour se défendre, que pour soutenir Philippe Cinq, qui trouva plus de bonne volonté dans ses nouveaux sujets que de véritables secours. Son conseil manquait également de talens et de moyens, et se conduisait avec une nonchalance difficile à croire dans une circonstance aussi critique. Tout était en Espagne dans un désordre affreux. Les places sans défense, sans munitions, sans garnisons, la marine perdue, sans vaisseaux et sans officiers, les arsenaux et les magasins dégarnis. La France tacha de réparer tous ces désordres, et envoya en abondance en Espagne tout ce qui y manquait, même des officiers et des ouvriers, mais elle ne trouva pas dans les Espagnols cette activité et cette diligence si nécessaires dans toute espèce de service, mais particulièrement dans celui de la marine, et tout le poids de cette guerre tomba sur la France. La mort de Jacques Deux sur la fin de cette année et la reconnaissance que le Roy fit du prince de Galles son fils pour Roy d’Angleterre, fit éclater Guillaume Trois. Il ne ménagea plus rien, et quoiqu’il eut reconnu Philippe Cinq pour Roy d’Espagne, ainsi que les Hollandais, ils se liguèrent contre les deux couronnes et formèrent une confédération qui mit la France dans le plus grand danger. La guerre ne fut pas déclarée d’abord. On prévit seulement qu’elle allait s’allumer partout. En conséquence, on fit les préparatifs les plus prompts, les plus étendus et avec le plus de secret qu’il fut possible. On refusa l’entrée des ports à tous les bâtimens anglais et hollandais pour qu’ils ne fussent point instruits des mesures qui s’y prenaient. On tacha par le même motif d’être informé de ce qui se passait dans leurs ports. L’Angleterre et la Hollande n’avaient point encore reconnu Philippe Cinq pour Roy d’Espagne, ils ne le reconnurent qu’en avril, ce qui n’empêcha pas qu’ils ne se préparassent à la guerre. Quatre objets principaux occupèrent alors la marine de France : l’Amérique, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Pour l’Amérique, on pensa à la conservation des colonies françaises et espagnoles prêtes à être envahies par les Anglais qui faisaient des armemens formidables pour s’en emparer, particulièrement de Buenos Aires, la Havane, de la Vera Cruz, Porto Bello, et Carthagène dont le gouvernement était suspect, et pour la France : de Québec, de Plaisance, l’Acadie et le Mississippi. On y envoya M. de Châteaurenault, lieutenant général, et M. de Coëtlogon, chef d’escadre avec 18 vaisseaux et un nombre considérable de munitions, 8 mortiers, 2000 bouches, 50 canons, 5000 boulets, 3000 grenades, 2000 fusils et 2000 épées ou sabres, avec des ingénieurs et des officiers d’infanterie et d’artillerie pour servir sous les gouverneurs des places espagnoles. Cette escadre fut jointe à celle des Espagnols, commandée par Dom Pedro Navarette, et le Roi d’Espagne donna un grade supérieur à M. de Châteaurenault qui portait pavillon d’Espagne et qui commandait le tout. Les officiers des deux marines furent partagés sur les deux escadres, les Espagnols sur celle de France, et les Français sur celle d’Espagne. On fit des instances à la cour d’Espagne pour faire céder aux Français le fort de Pensa Cola et pour faire consentir aux établissemens que le Roy voulait faire au Mississippi et à la Mobile. M. d’Yberville y fut envoyé avec deux frégates, et eut ordre de se concerter avec les commandans espagnols et de tacher de gagner leur amitié et celle des nationaux. On proposa de ne point faire délivrer aux Anglais et Hollandais les fonds qui leur reviendraient sur la flotte du Mexique jusqu’à ce qu’ils se fussent déclarés pour ou contre l’Espagne, ce qui ne tarda pas d’arriver, mais cette proposition n’eut pas lieu. Le 2e objet fut l’Espagne. Le Roy y envoya 27 vaisseaux de Brest, Toulon et Rochefort commandés par le comte d’Estrées, le marquis de Nesmond et le marquis de Villette avec trois d’Espagne pour composer une escadre de 30 vaisseaux et les 16 galères de France et celles d’Espagne devant se réunir pour la défense des côtes. On aurait fort souhaité placer ces galères à Gibraltar, mais le mauvais état de ce port que l’on fit examiner par un ingénieur ne le permit pas. Le comte d’Estrées devait commander les vaisseaux et galères des deux nations avec commission du Roy d’Espagne, et avait ordre de porter à cet effet un pavillon supérieur à celui des Espagnols, même celui d’amiral si le cas l’exigeait. L’on porta une attention principale sur la conservation de Cadix. La France était obligée de fournir des agrès et apparaux qui manquaient aux Espagnols (ce qui vidait ses magasin) et de leur donner même des officiers pour commander leurs propres vaisseaux. Le comte d’Estrées eut ordre de ne point commencer les hostilités, mais de rester à Cadix, d’observer les mouvemens des ennemis, de les suivre et même de les combattre, suivant les circonstances, et en cas qu’ils fissent quelque débarquement pour occasionner une révolte en faveur de l’Archiduc. Cadix était alors dans le plus grand désordre, sans fortification et sans munition. Le comte d’Eville, gouverneur, soupçonné de favoriser le parti de l’Archiduc, fut révoqué au grand contentement des fidèles sujets. Comme l’on prévoyait une rupture prochaine, on concerta avec le conseil de Madrid l’établissement d’une juridiction pour constater la validité des prises. Le 3em objet regarda le Portugal, où M. Rouillé était ambassadeur. On avait le plus grand intérêt à conserver l’alliance de cette puissance que les ennemis tachaient de désunir et quoiqu’on eut dès lors leur fidélité pour suspecte, afin de leur ôter tous prétexte de rupture, on leur fournit tous les secours qu’ils demandèrent pour mettre en sûreté leurs côtes, la rivière et la ville de Lisbonne, que les ennemis menaçaient de bombarder. On y fit passer dans cette vue beaucoup de munitions de guerre, d’ingénieurs et d’officiers d’artillerie et l’on entretint une correspondance exacte entre M. Rouillé qui y était ambassadeur, le duc d’Harcourt, ambassadeur en Espagne, et le comte d’Estrées, vice amiral à qui l’on témoignait la plus grande confiance. Le 4e objet fut l’Italie. On avait à veiller sur le Milanais, Naples et la Sicile. L’Empereur venait de faire passer 30 mille hommes par mer dans le Milanais et le Roy résolut d’y faire aussi passer des troupes, par mer. On prit pour cela des mesures et le débarquement devait se faire en Vaye. On eut avis aussi qu’il se pratiquait des intelligences à Naples et en Sicile pour y exciter une révolte. Il y eut même une sédition à Naples et le comte d’Estrées eut ordre de s’y montrer pour l’apaiser, de veiller sur tous ces mouvemens et de se porter où les circonstances l’exigeraient. On proposa au conseil d’Espagne d’accorder une amnistie aux Messinois pour se les attacher d’avantage. On envoya aussi 2 frégates commandées par le chevalier de Forbin dans le golfe de Venise pour interrompre le transport des troupes et des munitions des Impériaux par Trieste, avec ordre de prendre pavillon d’Espagne pour ne point rompre la neutralité de la France avec Venise, de paraître comme marchand à Durazzo, de brûler ou couler bas tout ce qu’il ne pourrait conserver avec sûreté et de se tenir sur ses gardes contre les vaisseaux et galères de Venise s’il venait à être découvert. Il abusa de cette commission à son profit et les Vénitiens s’en étant plaints, on fut dans la suite obligé de les révoquer. Quoique le fort de la guerre ne dût pas se porter dans le Nord, on ne négligea pas d’en prévenir les mouvemens, et l’on y envoya M. Bart croiser avec une escadre de 3 vaisseaux pour y assurer le commerce et pour y contenir les puissances. On fortifia Dunkerque et on excita les armateurs et ceux d’Ostende et de Nieuport à faire la course. On mit Dieppe en état de défense que les Anglais paraissaient menacer par le grand nombre de vaisseaux qu’ils avaient aux Dunes. Enfin la campagne s’étant terminée sans déclaration de guerre, et sans aucune opération d’éclat, et ayant des avis certains que les ennemis étaient rentrés dans leurs ports, on fit désarmer les batteries des côtes, rentrer les escadres dans les ports, et on laissa six galères à Cadix dans le Port Maurice, et l’on se prépara à de nouvelles expéditions pour l’année suivante. On donna avis aux commissaires de St Malo de se précautionner contre quatre petits bâtimens hollandais qui devaient venir sans canons dans des ports de France et avec des seringues de cuivre qui portaient jusqu’à 50 pas, jeter sur les bâtimens d’une eau distillée qui y mettait le feu et qui ne pouvait s’éteindre qu’avec de la laine. |
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Les Anglais et les Hollandais ayant commencé les hostilités, la guerre fut déclarée le 5 may 1702 de la part de l’Empereur, de l’Angleterre et de la Hollande. On en donna aussitôt avis dans les ports à tous les commandans et intendans et on lâcha la main à tous les armateurs qui se disposaient depuis longtemps à faire des courses et qui avaient 30 vaisseaux prêts à St malo. Le Roy leur prêtait ses vaisseaux, pourvu qu’il s’agit d’entreprises considérables, mais non pour des courses particulières, pour ne point faire de tort aux autres armateurs, et se contentait du cinquième des prises. Il fut agité si, pour les exciter d’avantage, on ne leur promettrait pas de vendre en France les marchandises de contrebande provenant de leurs prises. Le Roy eut la générosité de faire déclarer aux Impériaux, aux Anglais et aux Hollandais qui étaient dans les ports, de faire retirer leurs effets, et de leur faire donner des passeports et un tems fixe pour les mettre à couvert, ce qui ne fut pas imité par les Anglais et qui donna lieu au Roi de se plaindre qu’ils contrevenaient au traité de Ryswick. Les villes hanséatiques ayant demandé la neutralité, le Roy la leur accorda à condition qu’elles ne souffriraient pas que les ennemis naviguassent sous leur pavillon, qu’ils fissent embarquer des marchandises sous leur nom, ni qu’elles chargeassent leurs vaisseaux pour le compte de ses ennemis. On envoya en Amérique M. Ducasse, M. de Rouvroy et M. Dosmon avec 13 vaisseaux, 3000 hommes de troupes et des vivres afin d’assurer la pêche de Terre Neuve et de contenir et ravitailler les places du Roy d’Espagne mal défendues, mal fortifiées et dépourvues de toutes munitions, et de relever M. de Coëtlogon qui y avait été envoyé l’année précédente pour le même objet, mais qui n’avait pu ramener la flotte du Mexique. Cet avantage fut réservé à M. de Châteaurenault, qui s’en acquitta avec succès et qui la conduisit sans accident et suivant les ordres de la cour d’Espagne dans le port de Vigo en galice. Malheureusement, les ennemis que l’on croyait retirés et hors d’état de rien entreprendre sur la fin de la campagne, en eurent avis et trouvant les batteries de la rade sans défense et la côte dépourvue de milices qui s’étaient enfuies à leur approche, ils entrèrent dans le port sans résistance et forcèrent M. de Châteaurenault à y brûler 15 vaisseaux qu’il avait ramené et dont il n’eut que le tems de sauver les effets et les équipages. Il fut très affligé de cet évènement quoiqu’il n’y eut point de sa faute, mais les Roy de France et d’Espagne ne lui imputèrent rien et lui écrivirent même pour l’en consoler. Ont prit aussitôt les mesures les plus efficaces pour réparer ce malheur en écrivant aux intendans de faire construire des vaisseaux dans tous les ports de France et en sollicitant des fonds auprès du Roy d’Espagne pour en payer la dépense. En Espagne, on porta la principale attention sur la conservation de Cadix, menacée d’une descente de la part des ennemis et hors de défense par le même défaut de fortifications, de munitions et de troupes. On en fit passer de France le plus qu’il fut possible. On y envoya M. de Champigny avec 4 vaisseaux et 6 galères aux ordre du comte de Fernand de Nugués qui y commandait et en qui le Roy paraissait avoir le plus grande confiance. On y envoya aussi M. Renault, capitaine de vaisseau et bon ingénieur et M. Arnoul, intendant de marine, pour examiner l’état de cette place dont la conservation était de la plus grande importance pour l’Espagne, et pour aviser aux moyens de la ravitailler. On ne cessait de faire représenter à la cour d’Espagne par eux et par le comte de Marsin, ambassadeur en Espagne, et par le marquis de Blécourt, la nécessité de ces précautions. La lenteur et la négligence avec laquelle l’Espagne s’y portait seraient inconcevable à l’égard de toute autre nation que dans celle des Espagnols, braves d’ailleurs et fidèles au 1er degré, mais incapables par leur caractère de prévoir les périls les plus iminens et de prendre les moindres précautions pour s’en garantir. On crût avoir beaucoup fait en Espagne d’y envoyer 3500 hommes d’infanterie et 1000 chevaux. On répondait au gouverneur, qui représentait le mauvais état de cette place et qui demandait des secours d’hommes et d’argent, qu’on approuvait toutes les précautions qu’il prendrait, pourvu qu’il ne touchât point aux finances du Roy et qu’il ne demandât rien aux particuliers. Enfin, à force de soins et de secours dont la plus grande partie vint de la France, on crût avoir mis cette place en sûreté, ce qui n’empêcha pas les Anglais d’y faire une descente, de s’emparer du fort de Ste Marie et d’y commettre les plus grandes hostilités. On ne fut pas content de la conduite du marquis de Champigny à Cadix. On lui reprocha son peu de fermeté et on l’aurait mis au conseil de guerre, sans le comte de Nugués qui intercéda pour lui. Le Portugal ne cessait aussi de demander à la France et à l’Espagne des secours de troupes, de vaisseaux et de munitions pour la défense de ses côtes et particulièrement de Lisbonne, et l’on ne cessait de lui en accorder pour ne point lui laisser de prétexte de se détacher de l’alliance des deux couronnes, quoiqu’on prévit dès lors ce qui arriva peu de tems après à la vue de l’escadre anglaise qui engagea le Roy de Portugal à se déclarer neutre et à refuser d’agir offensivement. En Italie, sur ce que l’on apprit qu’il se faisait des mouvemens en faveur de l’Archiduc, le Roy d’Espagne se résolut de passer à Naples. Le comte d’Estrées fut chargé de l’y conduire avec 4 vaisseaux et 6 galères et s’en acquitta avec succès. Le projet fut tenu secret jusqu’à l’exécution. L’embarquement se fit à barcelone. Le comte de Toulouse, amiral de France, fut envoyé de Toulon à Messine avec quinze vaisseaux pour assurer le pays et la navigation dans ces parages, après quoi il vint désarmer à Toulon. Le Roy se proposait de faire passer par mer 30.000 hommes de troupes en Italie, et le débarquement devait se faire à Vaye. Le chevalier de Forbin fut encore envoyé dans le golfe Adriatique avec ordre d’y troubler le commerce des Impériaux et de s’opposer aux passages de leurs troupes et munitions, même sur les vaisseaux vénitiens où il eut ordre de les enlever. Il fit quelques actions de vigueur et jeta quelques bombes dans Trieste qui firent plus d’éclat que de mal, mais ayant été soupçonné de pillage et d’agir plus pour son compte que pour celui du Roy, et l’ambassadeur de France à Venise en ayant donné avis, il fut relevé de cette croisière par M. Duquesne qui eut les mêmes ordres, et particulièrement celui de garder l’embouchure du Pô avec des tartanes et de grandes chaloupes, et de s’emparer du fort de Mezola, appartenant au duc de Modène. On fit croiser M. de La Varenne, capitaine de vaisseau, sur Livourne et dans le canal de Piombino, et M. Chabert avec 2 vaisseaux sur Cagliari. On fit escorter les vaisseaux de l’Assiente de La Rochelle en Guinée par un vaisseau de guerre. On obligea les négocians de Marseille d’armer des bâtimens à leurs frais pour la sûreté du commerce sur leurs côtes, faute de quoi on les menaça de charger le commerce de l’imposition d’un écu par tonneau. On consulta les négocians des provinces sur les mesures à prendre pour établir la liberté et la communication du commerce par mer sur les côtes de Provence et Languedoc. On veilla aussi à la sûreté des provinces du Nord, et M. le maréchal d’Estrées eut ordre de se rendre en Bretagne pour faire faire mettre les côtes en défense. On fit passer des demi-galères de Dunkerque à Anvers pour la défense des attaques qui la menaçaient. On envoya M. de Fontenay d’abord avec une frégate sur les dunes d’Angleterre pour observer les mouvemens des ennemis à Brest, La Rochelle, la Corogne, Lisbonne et cadix. On envoya M. de Pointis dans les mers du Nord avec une escadre de vaisseaux et galères. On lui donna des ordres généraux pour troubler le commerce des Anglais et Hollandais, surtout la pêche, et pour agir offensivement suivant les circonstances sur les côtes d’Angleterre & Irlande. On fit croiser M. de St Pol avec deux vaisseaux de Calais à Ostende & M. de Ricot avec quatre frégates, du raz Blanchard à La Rochelle. La campagne finie, on fit de nouveaux préparatifs pour les armemens de l’année suivante et l’on fit représenter à l’Espagne par le cardinal d’Estrées, ambassadeur extraordinaire, que pour y subvenir, il était nécessaire qu’elle fournit des fonds à la France qui s’était épuisée en avances de frais pour la secourir. On lui envoya l’état qui [se] montait pour la marine seule à dix millions neuf cent mille livres, sans compter ce qui avait été fourni pour les places d’Espagne en Amérique, et la perte des vaisseaux français à Vigo. On aurait bien voulu rendre les Espagnols un peu moins scrupuleux sur la remise des fonds qui appartenaient aux Anglais sur la flotte du Mexique, et les engager à s’en emparer. Les jésuites de Cadix avaient même décidé que l’on devait en conscience déclarer les effets qui appartenaient aux hérétiques, mais il y a apparence que les Espagnols, fidèles aux traités dans le commerce, ne firent point usage de cette décision au préjudice de leurs correspondans, quoique ennemis. |
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Cette année 1703, l’Empereur et l’Angleterre cherchèrent à susciter contre la France et l’Espagne toutes les autres puissances de l’Europe, et ils parvinrent à former cette fameuse alliance qui mit la France si prés de sa perte. Le duc de Savoie, lié par le sang et par les traités les plus solennels à la maison de Bourbon, les rompit sans mesure et se mit à la solde de l’Empereur. Le Roy prit le parti de lui déclarer la guerre. Le Roy de Portugal, pour qui la France s’était sacrifiée par les secours de toutes espèces qu’on lui avait envoyé, oublia ses engagemens et reçut dans ses ports les flottes combinées d’Angleterre et d’Hollande. En accédant au traité, il obligea l’Empereur et le Roy des Romains de céder leurs prétendus droits sur l’Espagne à l’Archiduc sous le nom de Charles trois qui vint en Hollande, passa de là à Londres, et s’embarqua au commencement de 1704 pour le Portugal. La princesse de Danemark, connue depuis sous le nom de la Reine Anne, persuadée que la guerre civile en France opérerait une puissante diversion, pratiqua des intelligences avec les protestans des Cévennes et entreprit d’y porter des armes et des munitions. Elle y serait parvenue sans les mesures prises pour la garde des côtes du golfe de Lyon qui empêcherent les alliés d’y pénétrer. L’Angleterre et la Hollande ne tirèrent d’autres fruits de leurs nombreuses flottes que celui d’avoir fait quelques vaines tentatives sur les côtes de France et d’Espagne. On se tint sur la défensive et à l’exception de quelques actions particulières, tout se passa en observations réciproques. Cependant, la disette d’argent augmentait dans les ports, les arsenaux étaient dégarnis et les ouvriers mal payés. On fit encore un dernier effort pour les préparatifs de l’année suivante. Du côté de l’Amérique, la sûreté du passage des flottes d’Espagne qui partent ordinairement en mars et en juillet, l’une pour Porto Bello, l’autre pour la Vera Cruz, était un des objets les plus intéressans pour les deux couronnes. On craignait que ces flottes ne fussent inquiétées par les escadres d’Angleterre et de Hollande qui gardaient ces parages et auxquelles on ne pouvait opposer cette année des forces égales. Pour y remédier. M. de Pontchartrain proposa à M. de Chamillard de faire faire ce commerce par des vaisseaux séparés que l’on ferait convoyer en partant des ports de l’Europe jusqu’au delà des dangers. Que par là, on préviendrait celui que courent de grosses flottes dont la marche toujours lente assure un plein succès lorsqu’on les attaque, que l’on ne risquerait que quelques vaisseaux qui pourraient tomber entre les mains des ennemis, ce qui ne ferait pas une grande perte, au lieu que le mal serait terrible si la flotte était enlevée en entier en allant ou en revenant. Il lui demanda sur cela son avis, afin que si la chose lui paraît possible, il en parlât au Roy pour en écrire en Espagne. Le projet fut approuvé et M. de Pontchartrain en écrivit de la part du Roy au cardinal d’Estrées, ambassadeur extraordinaire en Espagne, où vraisemblablement on pensa de même, car on fit partir en conséquence et à différentes reprises des vaisseaux de France pour cette escorte. On envoya séparément MM. de La Harteloire, lieutenant général, Chabert, chef d’escadre, Descartes, le chevalier Phélipeaux, capitaine de vaisseaux, pour croiser sur le cap St Vincent et sur les divers parages qui pouvaient assurer le retour des vaisseaux d’Espagne et pour les ramener suivant les circonstances dans les ports de France ou d’Espagne. On envoya aussi M. Descartes à la Corogne pour y ramasser les débris des vaisseaux perdus à Vigo. Du côté de l’Espagne, les flottes combinées d’Angleterre et de Hollande composées de 94 vaisseaux commencèrent par tenter quelqu’entreprises sur Belle Isle d’où ils furent repoussés avec perte. Elles se présentèrent ensuite devant Cadix où l’on crut qu’ils voulaient faire une descente, passèrent de là le détroit, firent les mêmes tentatives et avec aussi peu de succès devant Almeria, furent jusqu’à Livourne, et l’on apprit que leurs vaisseaux étaient la plupart assés mal armés. Le Roy qui avait cru leur force plus considérable qu’elles n’étaient, n’avait pas voulu permettre à M. le comte de Toulouse, qui n’avait que 15 vaisseaux armés à Toulon, d’aller à leur rencontre avec des forces inégales, mais sur ce qu’il apprit de leur faiblesse, il lui manda de se rendre au détroit pour leur couper le passage à leur retour. Les ennemis les prévinrent et repassèrent le détroit avant qu’il put les joindre, moyennant quoi, il reçut ordre de désarmer à Toulon, et de se rendre à Versailles. M. le marquis de Coëtlogon, M. Chabert, M. de Champigny et M. de La Harteloire, lieutenant général, qui avaient aussi plusieurs vaisseaux sous leurs ordres sur les côtes du Ponant et qui devaient joindre M. le comte de Toulouse au détroit et lui composer une escadre de 38 vaisseaux, eurent pareillement ordre de venir désarmer à Brest. Le marquis de Coëtlogon rencontra à son retour une flotte hollandaise qui retournait des ports de Portugal en Hollande richement chargée, en coula à fond une partie et enleva 4 vaisseaux de guerre qui l’escortaient. La campagne prête à finir, on envoya M. de Châteaumorant au détroit avec 4 vaisseaux et M. de Rouvroy, M. d’Arquigny, chacun avec trois vaisseaux en Levant pour donner la chasse aux Flessinguois et aux corsaires ennemis et pour troubler le commerce. Les échevins de Marseille proposèrent d’armer 2 frégates pour assurer le commerce du Levant, ce qui fut agréé par le Roi qui leur permit même d’entrer pour un tiers dans l’armement de deux autres de ses vaisseaux. On résolut de faire passer 10.000 hommes de troupes d’infanterie par mer de La Rochelle au port du Passage, en Espagne, et M. de La Galissonnière fut chargé de les escorter. Du côté de l’Italie, on continua d’employer M. Duquesne pour croiser dans le golfe Adriatique et aux embouchures du Pô avec les mêmes instructions que l’année dernière. Il y brûla Aquila avec tous les magasins des provisions des troupes de l’Empereur et presque sans aucune perte de sa part. On pourvût aussi à la sûreté des côtes de Sicile. On se plaignit vivement aux Génois de ce que leurs sbires étaient entrés dans deux bâtimens français qui ne devaient point souffrir de pareilles visites. Du côté du Nord, M. de St Pol fut armé à Dunkerque avec 4 vaisseaux, M. de Roussy avec 3, M. de La Luzerne avec 3 frégates, et M. Duguay Trouin avec 4 vaisseaux armés à St Malo pour croiser au nord d’Ecosse et M. de Pontal avec une frégate pour croiser sur les Sables d’Olonne. MM. de St Pol et de La Luzerne avec 4 vaisseaux de Dunkerque, prirent ensemble 3 vaisseaux de guerre hollandais qui escortaient la flotte de la Meuse, et dispersèrent , brûlèrent ou rançonnèrent 160 bâtimens pêcheurs et le reste de la flotte. Les vaisseaux du comte de St Pol ayant été mal reçus, et forcés par les gouverneurs à sortir des ports de Danemark, M. de Torcy eut ordre du Roy de se plaindre vivement au Roy de Danemark de l’indignité de ce procédé. La France eut aussi quelques mauvais succès dans le Nord. Une flotte de bâtimens français escortée par M. de Tourouvre fut rencontrée auprès de Granville par une escadre supérieure et plusieurs de ces bâtimens furent pris ou brûlés. On résolut de là, d’attendre la mi septembre pour le passage des flottes dans la Manche, parce que les coups de vent plus fréquens dans cette saison empêchent les gros vaisseaux de venir sur nos côtes. On avait commencé par bien traiter en France les prisonniers anglais, surtout les officiers qu’on mettait dans les maisons de ville avec une seule sentinelle à la porte, jusqu’à ce que l’échange en fut fait. On donnait 15 sous par jour aux capitaines, 10 sous aux subalternes et 5 aux soldats, mais sur les délais qu’apportaient les Anglais de signer le cartel et sur les nouvelles qu’on reçut du mauvais traitement que l’on faisait aux prisonniers français en Angleterre, qu’on les vexait pour les engager à changer de religion, et sur les menaces que firent les Anglais de traiter de forbans les Irlandais trouvés sur les vaisseaux français au préjudice des anciens traités, on porta de vives plaintes en Angleterre. L’on y déclara que l’on userait de représailles, et l’on réduisit la subsistance des prisonniers anglais sur le même pied de 3 sous qu’on les payait aux prisonniers français en Angleterre, ce qui ne subsista pas longtemps parce que les Anglais se mirent à la raison sur cet article. Le Roi ne voulut pas souffrir qu’il fut engagé dans ses troupes aucun prisonnier anglais ou hollandais. Les Hambourgeois ayant reçu les avocatoires de l’Empereur, le Roy rompit la neutralité avec eux, et fit arrêter tous les bâtimens. On favorisait la course autant que l’on pouvait en prêtant des vaisseaux et des munitions aux armateurs, et on tachait d’engager les Espagnols à suivre le même exemple. Les armateurs de Dunkerque s’étant plaint de ce que les commandans des vaisseaux du Roy les forçaient souvent de se joindre à eux, ce qui les obligeait de perdre le fruit de leurs courses, le Roi défendit à ses officiers d’en user ainsi pour l’avenir. Il fut décidé que tous les vaisseaux qui se seraient trouvé à la vue d’une prise et qui par conséquent aurait pu y contribuer par sa présence, serait admis au partage de la prise, à proportion de la force de son équipage. Malgré tous ces armemens généraux et particuliers, on ne put empêcher le passage de l’Archiduc en Portugal sur la flotte ennemie, et l’on ne crut pas même prudent de le tenter. Le Grand Maître de Malte fut prié de la part du Roy de ne point souffrir que les Fléssinguois fussent reçus dans le port de Malte, ni qu’ils pussent y conduire leurs prises. M. le comte de Fontenay fut envoyé aux Indes orientales avec un vaisseau de guerre et un de la Compagnie des Indes, et reçut une instruction pareille aux précédentes pour se conduire par les avis du Sr Martin, directeur de la compagnie. On apprit que les Portugais avaient eu la cruauté de faire massacrer de sang froid vingt français aux isles du Cap vert, et de leur enlever leur vaisseau et leur cargaison. M. de Châteauneuf, ambassadeur en Portugal, fut chargé d’en porter des plaintes très vives. |
Armemens
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La marine fit un dernier effort dans cette campagne. On avait employé l’année précédente à préparer tout ce qui était nécessaire pour un armement considérable, tant pour assurer les côtes d’Espagne, de France et d’Italie, que pour balancer les forces réunies des puissances ennemies, et pour empêcher l’Archiduc d’aborder en Espagne. La négligence des Espagnols rompit toutes les mesures qu’on avait prises. L’Archiduc, sous l’escorte des Anglais et des Hollandais, débarqua à Lisbonne et y fut reconnu Roi d’Espagne par les alliés. Gibraltar, sans défense, avec 60 hommes de garnison seulement, fut surpris par les Anglais le 4 août. Cette place ne parût pas d’abord difficile à reprendre, on le tenta, mais vainement, et la suite fit voir l’impossibilité de la recouvrer et l’importance de sa perte. La bataille de Malaga du 24 août empêcha les ennemis de faire d’autres entreprises, mais ne produisit que cet avantage à la France, qui essuya dans ce tems là le fâcheux évènement de la bataille d’Ouessant. En Espagne, la campagne s’ouvrit plus favorablement contre le Portugal, mais ne finit pas de même. Cette année préparât aux événemens fâcheux qui suivirent, et la France n’éprouva plus que des revers qui lui devinrent communs avec l’Espagne, jusqu’au moment inespéré qui procura la paix à l’Europe et qui assura la monarchie espagnole à la maison de Bourbon. L’objet dont on s’occupa le plus dans le commencement de la campagne, fut d’assurer le retour de la flotte du Mexique dans les ports de France ou d’Espagne. Elle n’était point prévenue de la rupture avec le Portugal qui s’était entièrement déclaré pour l’Archiduc, et qui l’avait reçu à Lisbonne avec 6000 hommes de troupes. On craignait que ce défaut de connaissance ne l’engageât à venir se jeter imprudemment dans quelques uns des ports d’Espagne ou de Portugal, dont tous les parages étaient gardés par l’amiral Rooke qui avait partagé son armée en quatre escadres pour qu’elle ne put lui échapper. On envoya au devant plusieurs vaisseaux qui ne la rencontrèrent point pour l’avertir du danger qu’elle courait et pour la défendre autant qu’il serait possible contre des forces supérieures. Enfin, elle échappa heureusement à la faveur d’un brouillard et d’une tempête qui obligea l’amiral Rooke de rentrer dans la rivière de Lisbonne, et elle arriva heureusement à Cadix à la grande satisfaction des deux couronnes. Hors d’inquiétude sur cet article, on ne songea plus qu’à réunir toutes les forces maritimes du Ponant et du levant pour mettre M. le comte de Toulouse à portée de combattre les ennemis avec avantage. Il s’embarqua à Brest le 14 may, avec une escadre de 30 vaisseaux, entra à Cadix, passa heureusement le détroit, et se rendit au commencement de juin à Toulon où il devait trouver pareil nombre de vaisseaux prêts. Il fut obligé d’y rester près d’un mois pour les attendre, ce qui donna le tems aussi aux ennemis de rejoindre leurs escadres commandées par les amiraux Rooke et Schauvel, composées de 62 vaisseaux de ligne plus nombreuses de 10 vaisseaux, mais moins bien armées que celle de M. le comte de Toulouse qui avait de plus les galères de France et d’Espagne à ses ordres. Il sortit enfin de Toulon le 22 juillet 1704, et fut chercher les ennemis. Après quelques évolutions, les deux armées se rencontrèrent auprès de Malaga, et il se donna un combat qui dura depuis 10 heures du matin, jusqu’à 8 heures du soir. Les ennemis avaient l’avantage du vent qui est considérable à la mer, néanmoins, la supériorité du combat resta aux Français. Les Anglais furent obligés de se retirer, ayant eu 3 de leurs vaisseaux coulés bas, plusieurs démâtés et beaucoup d’autres fort incommodés. Les deux armées manquèrent de poudre, mais principalement celle des Anglais. Si l’on eut su leur situation plus au juste et que l’on eut pris le parti de redonner le lendemain un nouveau combat, le vent étant devenu plus favorable aux Français, l’armée anglaise eut été entièrement détruite et ils sont convenus depuis qu’ils auraient été obligés de mettre le feu à la moitié de leurs vaisseaux. Des conseils peut-être trop prudens firent manquer ce moment décisif contre l’avis de M. l‘amiral qui voulait recommencer le combat et occasionnèrent par là la perte de la Catalogne que l’on eut sauvé, et celle de Gibraltar, dont les ennemis s’étaient déjà emparés, mais que l’on eut repris aisément sur eux si on ne leur avait pas donné le tems de la fortifier. On tenta depuis inutilement de l’assiéger et par terre et par mer. M. de Pointis y fut envoyé, d’abord avec 10 vaisseaux, ensuite avec un plus grand nombre. Il en perdit quatre par un coup de vent. Il fut obligé d’en détacher quelques-uns uns pour l’Amérique où l’on se pressa d’envoyer pour rompre les intelligences que le président de Panama et l’amirauté de Castille pratiquaient avec les ennemis dans la vue de leur livrer Porto Bello et Panama, ce qui entraînaient la perte du Pérou. Cette diversion fut cause que Gibraltar, une des plus importante place de l’Espagne, la clef de la Méditerranée et de tout le commerce du Levant, resta aux ennemis et y est demeurée jusqu’à présent, sans qu’on ait pu encore la recouvrer. Ainsi, tout l’avantage réel que la France et l’Espagne retirèrent de ce combat honorable à la vérité à la nation, mais le dernier de tous de cette espèce et qui acheva d’épuiser la marine, fut de retarder les opérations des ennemis pour le reste de la campagne, et de laisser les affaires à peu près au même point où elles étaient auparavant. La prise de Gibraltar ne rendit pas les Espagnols plus attentifs à mettre leurs côtes et leurs places en défense. La France ne cessait de le leur représenter et de les en solliciter inutilement, aussi bien que du rétablissement de leur marine qui était dans le plus mauvais ordre. On envoyait en Amérique que des officiers de bonne volonté, on ne les y forçait point. Indépendamment de ce combat, pour lequel on avait presque réuni toutes les forces navales du Roy, il ne laissa pas de se donner plusieurs petits combats particuliers où les Français eurent toujours l’avantage. M. de La Valette fut envoyé avec 2 vaisseaux dans le golfe Adriatique pour s’opposer aux passages des Impériaux, mais dans la suite, les Vénitiens s’étant chargés de le garder, on y consentit et il fut relevé. Le commerce de la mer du Sud était défendu aux Français sous peine de confiscation et de cent mille écu d’amende qu’ils étaient obligés de cautionner avant d’aller dans cette mer. M. Duguay Trouin prit un vaisseau de guerre anglais corps à corps. M. de St Pol leur enleva 2 vaisseaux de guerre de 52 et 23 pièces de canon et un bâtiment marchand. On prit le parti de vendre à Livourne les prises qu’on pût y conduire pour ne point perdre le tems de les ramener à Toulon. Quelques bâtimens marchands s’étant rendu trop facilement et sans se défendre, le Roy menaça les capitaines de les faire punir sévèrement et de les déclarer incapables de commander des bâtimens. On avait eu en vue une expédition sur Nice et sur Villefranche, et ensuite sur Oneille, et on fit même pour cela des dispositions, mais les préparatifs que l’on fut obligé de faire dans le même tems pour l’armée de M. le comte de Toulouse pour le siège de Gibraltar et pour assurer sur la côte d’Espagne le retour des galions, firent une diversion qui empêcha que ces expéditions n’eussent lieu. On en médita une aussi sur les côtes d’Angleterre pour aller brûler les vaisseaux des ennemis qui s’y trouveraient. Elle fut sans effet. On envoya cependant le baron de Palières aux Indes orientales avec 2 vaisseaux de guerre, 2 de la compagnie, et une instruction fort ample pour la conduite de son escadre, sur quoi il devait prendre les avis du S. Martin, directeur. On lui accorda le 5em des prises qu’il ferait. Depuis la rupture avec le Portugal, son envoyé s’était retiré de France en Hollande et dans l’incertitude du traitement que le Portugal ferait au consul, aux officiers et aux négocians français, tant en Portugal qu’en Amérique, on obtint du Roy d’Espagne qu’il retiendrait des officiers portugais prisonniers pour otages jusqu’à ce que la France eut eu satisfaction à ce sujet. On traitait fort bien en France les prisonniers portugais, mais ou les fit avertir qu’on userait de représailles s’ils traitaient mal les prisonniers français. On était souvent très mécontent de la façon dont les prisonniers français étaient traités en Angleterre et en Hollande, maltraités, mal nourris et mal logés. On s’en plaignit avec d’autant plus de justice que la France avait toujours donné des exemples contraires. On prit le parti d’user de représailles, ce qui fit plus d’effet que toutes les plaintes. L’échange réciproque était de 20 matelots pour un capitaine et de 10 pour un lieutenant. Il y avait plus de prisonniers français en Angleterre que d’Anglais en France, parce que quoique la France prit plus de bâtimens que l’Angleterre, ceux qu’on prenait aux Français étaient toujours plus forts d’équipages que ceux des Anglais. Les Anglais ayant arrêté et conduit en Angleterre des vaisseaux suédois chargés de goudron pour la France, on saisit l’occasion d’indisposer la Suède contre l’Angleterre en lui faisant sentir la différence de ces procédés avec ceux de la France. On porta des plaintes aux Hollandais de ce qu’un de leurs corsaires avait enlevé des bâtimens français sous pavillon de France, que cette manœuvre était contraire aux droits des gens et aux Génois de ce que deux frégates avaient attaqué les galères du Roi sous le pavillon de Gênes, et on les menaça de représailles. On fit un traité avec les villes hanséatiques pour le renvoi général de part et d’autre de tous les prisonniers faits sur mer. Le Roy ordonna une gratification de 2000 £ comptant pour chaque capitaine qui prendrait un paquebot anglais passant en pays ennemi. |
Armemens
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Le peu de fruit que la France avait retiré de l’armée navale qu’elle avait mise en mer l’année précédente, malgré l’avantage qu’elle avait remporté sur celle des alliés à Malaga, persuada le Roy et son conseil de l’inutilité de ces grands armemens. La disette des fonds nécessaires à de pareilles dépenses fit recourir au système dont on avait usé dans les dernières années de la précédente guerre, de se réduire à n’armer que de petites escadres séparées, de donner les vaisseaux du Roi à des armateurs particuliers pour faire la course sur les ennemis et de tacher de détruire par là leur commerce en leur enlevant leurs bâtimens marchands, et principalement les flottes de retour de l’Amérique et des Indes orientales. Le siège de Gibraltar que les Espagnols avaient commencé au mois d’octobre précédent durait encore. Il y avait à ce siège 4000 hommes de troupes de la marine qui y avaient été débarqués après l’affaire de Malaga. M. de Pointis y avait été envoyé avec quinze vaisseaux pour attaquer la place du côté de la mer. Le défaut de vivres l’avait contraint de relâcher à Cadix avec toute son escadre. Les ennemis profitèrent de son absence et y envoyèrent une escadre de 15 vaisseaux qui, après avoir jeté de nouveau secours dans la place, se retira dans la rivière de Lisbonne. Ce nouveau renfort fit traîner le siège en longueur. On en attribua le peu de succès à la lenteur du général espagnol. Le maréchal de Tessé en eut la conduite et la résolution que l’on prit de le pousser avec vigueur fit donner ordre à M. de Pointis de partir de Cadix pour aller battre cette place par mer et pour empêcher qu’on y jeta de nouveaux secours. M. de Pointis prévit tout le danger de cette expédition et représenta à la cour de Madrid, qu’y ayant plus de 30 vaisseaux de guerre dans la rivière de Lisbonne, il était à craindre que quand les ennemis le sauraient engager dans une aussi mauvaise rade que celle de Gibraltar, avec le peu de force qu’il avait, ils ne vinssent tomber sur lui avec des forces supérieures et ne l’enlevassent. Il proposa en attendant un renfort qui devait lui arriver de Toulon, de croiser à l’embouchure du détroit pour intercepter les convois envoyés de Lisbonne aux assiégés. Quelques judicieuses que furent ces réflexions, elles ne furent point goûtées et il reçut des ordres de Madrid et de Versailles auxquels il fut forcé d’obéir. Il mit à la voile et débarqua devant Gibraltar toutes les munitions et canons dont il était chargé pour le siège. Son escadre, peu après son arrivée, fut si maltraitée du gros tems, qu’elle ne put tenir dans la rade. Huit des plus gros vaisseaux furent forcés de prendre le large et dispersés en divers parages, les cinq autres ne tardèrent pas d’être attaqués par les ennemis qui s’étaient mis en mer au nombre de 35 vaisseaux dès qu’ils avaient eu avis de son départ. Ils lui enlevèrent 3 vaisseaux à l’abordage, les deux autres dont l’un était monté par M. de Pointis, après avoir essuyé tout le feu des ennemis et s’être fait jour à travers leur escadre, furent s’échouer à la côte où ils se brûlèrent eux même. Après ce malheur, il ne fut plus question de continuer le siège de Gibraltar. Il fut converti en blocus. On en retira le reste des troupes de la marine que l’on fit passer à Malaga pour y être embarquées pour Toulon. On s’attendait que les ennemis, maîtres du détroit et de la Méditerranée profiteraient de leur avantage pour attaquer quelque place importante, et comme on ignorait pas que depuis le commencement de la guerre la prise de Cadix était leur grand objet, toutes les vues de défense se réunirent sur cette place. La France était particulièrement intéressée à sa conservation par rapport à son commerce. Le Roy fit faire en conséquence les instances les plus vives à la cour de Madrid, pour qu’on la munit de tout ce qui était nécessaire pour sa défense, offrant d’y contribuer de sa part autant qu’il serait possible, en y faisant passer des poudres et des boulets. On destina 3 vaisseaux pour rester dans la rade et pour employer leurs munitions, équipages et artillerie à la défense du Pontal. M. de Pontchatrtain fit armer à Toulon deux vaisseaux et deux grosses barques pour la garde des côtes, depuis Antibes jusqu’à Savonne et Oneille. Il se proposait de faire naviguer ces vaisseaux en marchands pour tromper les corsaires et de faire changer pour cela la peinture de la poupe et de la proue à chaque voyage qu’ils feraient. Il fit aussi armer à Brest de petits brigantins pour donner la chasse aux petits corsaires de Jersey et Guernesey qui commettaient beaucoup de désordres entre les sept isles et la côte de Bretagne. Il n’était point de l’intérêt de la France de rompre tout commerce avec les Hollandais. Le débouché des denrées superflues du royaume que leur commerce procurait était un avantage que l’on voulait conserver, aussi ne balança t’on point à leur accorder pendant cette guerre les passeports qu’ils demandaient pour venir en France, et particulièrement à Bayonne et à Bordeaux acheter nos vins et eaux de vie, mais M. de Pontchartrain refusa de leur en donner pour Dunkerque, par le danger qu’il y avait d’introduire dans une place aussi importante des vaisseaux ennemis qui, sous prétexte de commerce, viendraient pour observer le fort ou le faible de la place. Il refusa aussi de leur en donner pour les ports où étaient les vaisseaux du Roy et où se faisaient les armemens afin de leur ôter les moyens d’être informés par eux même de ce qui s’y passait. Ces passeports ayant donné lieu à quelques abus en procurant aux Hollandais l’avantage de faire en sûreté le commerce du reste de l’Europe et les armateurs français s’étant plaint qu’ils ne rencontraient plus que des vaisseaux hollandais munis de passeports de France, M. de Pontchartrain jugea à propos d’y énoncer les ports de France où ces vaisseaux devaient venir faire leur chargement, et exigea que ceux à qui on délivrerait ces passeports donnassent caution en France qu’ils ne seraient point employés à d’autres usages, que les cautions ne seraient déchargés que quand il serait justifié que ces vaisseaux seraient revenus en France. Il ordonna en conséquence aux armateurs, quand ils rencontreraient de ces vaisseaux avec passeports faisant route ailleurs qu’en France, de les arrêter et de les envoyer dans les ports de France pour y être confisqués. Il fit régler la subsistance des prisonniers de guerre à 5 sous par jour pour les matelots et autres gens d’équipage, 12 sous pour les officiers subalternes des vaisseaux de guerre et à 24 sous pour les capitaines. Sur l’avis qu’il eut que les officiers de vaisseaux hollandais qui étaient à Lisbonne avaient débauché et pris au service de leur république un grand nombre de matelots français qui y avaient été menés prisonniers, il les fit redemander aux commissaires des amirautés de Hollande, avec menace de retenir un pareil nombre de matelots hollandais si on ne les rendait. Le Roy fit armer en Ponant cette année, tant à Brest qu’à Rochefort, 18 vaisseaux pour en former une escadre sous les ordres du marquis de Coëtlogon. L’objet principal de cet armement était de faire une diversion dans l’océan qui empêchât les ennemis de faire passer toutes leurs forces dans la Méditerranée où leur projet était de faire de grandes entreprises. Mais sur la nouvelle que les ennemis ne pouvaient être sitôt prêts, qu’ils faisaient partir en attendant de petites escadres pour se rendre à Lisbonne et y convoyer des bâtimens chargés de troupes et de munitions, qu’ils devaient aussi faire partir un convoy pour l’Amérique escorté de 10 vaisseaux de guerre, il eut ordre de sortir de Brest et sans attendre les vaisseaux de Rochefort, d’aller croiser sur le passage de ces flottes et de faire son possible pour les combattre et pour s’en emparer. Cet ordre n’ayant pu s’exécuter, il lui donna celui de remettre sa sortie de Brest après le passage des ennemis dont l’armée navale était assemblée à l’îsle de Wight, mais de mettre à la voile incontinent après avec toute son escadre pour aller croiser et tacher de surprendre les vaisseaux qui pourraient être restés derrière et ceux qui voudraient entrer dans la Manche ou atterrer aux côtes de l’Irlande. Il ne fut pas plus possible d’exécuter ce dernier ordre que le premier. Les ennemis, que cette escadre inquiétait et qui, en passant dans la Méditerranée, ne voulait pas la laisser maîtresse d’agir dans l’océan sans opposition, firent croiser une escadre beaucoup plus considérable sur Ouessant pour la garder à vue, ce qui l’empêcha de sortir de la rade de Brest où elle resta dans l’inaction jusqu’au mois de 7bre. On désarma alors les plus gros vaisseaux, et ceux qui étaient meilleurs voiliers furent employés à la course ou laissés aux ordres de M. le maréchal de Châteaurenault pour les envoyer dans les différentes croisières qu’il jugerait convenable de leur faire tenir. M. de St Pol, capitaine de vaisseaux, fut envoyé avec 4 frégates dans les mers du Nord pour y croiser pendant deux mois afin d’y interrompre le commerce des ennemis. Il rencontra dans sa croisière une flotte hollandaise escortée par 2 vaisseaux de guerre dont il enleva le commandant avec 68 marchands. Pour animer le zèle de M. Duguay Trouin, célèbre armateur à qui le Roi avait donné quelques uns de ses vaisseaux pour armer en course, sa majesté lui fit remise de son cinquième sur les vaisseaux de guerre ennemis de 50 canons et au dessus qu’il pourrait prendre. Les corsaires biscayens interrompant le commerce de Bayonne et de Bordeaux en entrant dans les rivières pour y enlever les vaisseaux hollandais qui y venaient avec des passeports, sa majesté fit demander au Roi d’Espagne un décret qui défendit aux corsaires espagnols de prendre aucun vaisseau muni de passeport de France, mais comme on craignait depuis que les Espagnols ne voulussent rendre la clause réciproque, ce qui aurait beaucoup nui à la course, M. Amelot fut chargé de demander que cette défense ne s’étendit pas au delà des rivières du royaume. Le Roi, malgré la supériorité des ennemis dans la Méditerranée où ils étaient encore à la veille de faire entrer une armée de plus de 60 voiles qui étaient à Lisbonne, se détermina à faire attaquer Oneille. On disposa 6 vaisseaux et 8 galères pour servir à cette expédition avec un bataillon de 500 soldats des troupes de la marine, mais M. de Pontchartrain ayant fait connaître ensuite combien cette entreprise était hasardeuse et le risque que couraient les vaisseaux et les galères du Roy sur cette côte où ils ne pourraient trouver aucune retraite si les ennemis y envoyaient un détachement de leur armée, elle fut remise à la fin de la campagne. Le bruit ayant couru que le projet des ennemis regardait Toulon, il fut donné ordre à M. de Vauvré d’établir de nouvelles batteries dans tous les endroits où il les jugerait nécessaires, de les bien garnir de munitions, de retenir les vaisseaux armés dans les darses et de se concerter avec le commandant du port et celui de terre pour faire une vigoureuse défense. M. le comte de Toulouse y fut envoyé pour commander. Le Roy lui donna 6 bataillons de troupes réglées et 2 régimens de dragons pour s’opposer aux ennemis en cas de descente. Ces précautions furent inutiles. Les ennemis qui comptaient sur une révolution en leur faveur en Catalogne, n’en voulaient qu’à Barcelone. Leur armée navale, composée de 70 vaisseaux de guerre, arriva devant cette place le 22 août, y débarqua les troupes qui devaient en former le siège par terre pendant qu’elle la bloquerait du côté de la mer. La conservation de cette place d’où dépendait celle de toute la Catalogne était trop importante au Roy d’Espagne pour que la France ne fit pas les plus grands efforts pour la secourir. Le Roy donna ordre à M. le comte de Toulouse qui était à Toulon de presser les armemens qui s’y faisaient, et de faire en sorte d’avoir assés de soldats et de matelots pour équiper 32 vaisseaux, de se réduire à un plus petit nombre de vaisseaux s’il le jugeait à propos pour en rendre les équipages plus forts et meilleurs, de régler l’emploi de ces vaisseaux suivant les démarches des ennemis, de les faire servir à porter des secours aux assiégés si leur flotte se retirerait de devant Barcelone et la laissait seulement assiégée par les troupes de terre ou au cas qu’ils y laissassent une escadre moins forte que la sienne, de sortir de Toulon, de l’aller combattre et de la forcer de se retirer pour rendre libre la communication par mer avec cette place. Barcelone ne fit pas une aussi longue résistance qu’on devait l’espérer. Elle se rendit le 4 octobre aux ennemis. Leur armée navale sortit ensuite de la Méditerranée, et l’on ne retira d’autre utilité de l’armement de Toulon que celle d’empêcher les ennemis de laisser dans cette mer une escadre qui eut pu nuire aux autres projets. Celui que l’on forma après la retraite de la flotte ennemie, fut le siège du Château de Nice. La marine contribua à cette expédition en bloquant cette place par mer avec trois vaisseaux et quelques galères pour empêcher l’entrée des secours. M. de Vauvré fut nommé pour servir en qualité d’intendant des troupes de terre. Sur l’avis que les ennemis avaient quelques desseins sur Port Mahon pour se faire une retraite assurée pour leur flotte dans la Méditerranée, le Roy y fit passer un détachement de 400 hommes des troupes de la marine commandé par M. de La Jonquière. M. de St Pol avec 4 frégates et quelques corsaires de Dunkerque, attaqua une flotte hollandaise venant de Moscovie, l’enleva en partie, se rendit maître à l’abordage de deux vaisseaux de guerre qui l’escortaient, et fut tué dans cette action. |
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Les grands efforts que l’on faisait par terre pour maintenir la couronne d’Espagne sur la tête de Philippe cinq laissaient peu de fonds à employer pour la marine. En Levant, on fit le siège de Nice qui fut prise par M. de Vendôme. M. de Vauvré, intendant de la marine à Toulon, y servit avec distinction en qualité d’intendant d’armée et y employa l’artillerie et les munitions de la marine dont il fut loué. On entreprit celui de Barcelone, que l’on devait faire en hivers pour que les ennemis fussent hors d’état d’y porter des secours. La marine fut chargée du transport des munitions qu’elle fournit à tems et M. le comte de Toulouse s’y porta lui même avec une escadre de 10 vaisseaux pour bloquer le port, mais la lenteur des Espagnols ayant reculé cette expédition, les ennemis eurent le tems de la traverser et se présentèrent le 16 may avec 52 vaisseaux devant Barcelone, obligeant M. le comte de Toulouse de se retirer, y débarquèrent 8000 hommes et des munitions sans résistance, et le siège fut levé. On entreprit aussi celui de Turin qui ne fut pas plus heureux, la marine y avait fourni deux cens hommes. Au retour de Barcelone, on envoya M. Duquesne avec 3 vaisseaux et 3 grosses barques croiser sur Livourne pour en chasser les corsaires, et M. Ducasse avec 4 vaisseaux à Cadix pour défendre l’entrée de Pontal. On engagea les négocians de Marseille à en armer trois ou quatre autres pour escorter les marchands du Levant. Le marquis de Roye fut envoyé avec 6 galères pour garder la côte de Roussillon et Languedoc et le comte de Villars avec quatre vaisseaux pour passer un bataillon de la marine à Minorque qui s’était révolté et pour fermer l’entrée du port aux ennemis. M. le comte de Toulouse resta à Toulon en observation avec le reste des vaisseaux (dix), prêt à se porter où sa présence serait nécessaire, particulièrement à Naples et en Sicile que l’on soupçonnait de révolte. On garnit de batteries toutes les côtes de Provence que l’on ne pouvait protéger autrement. On recommandait aux capitaines d’observer la neutralité des ports de Gênes et de Livourne, mais de ne pas laisser échapper l’occasion de combattre, même à leur vue, les vaisseaux ennemis, en observant de n’y point entrer après l’action. En Ponant, il ne se passa pas d’actions particulières. M. Duguay Trouin enleva sur les Sorlingues neuf vaisseaux marchands anglais qui allaient en Amérique, et une frégate de 32 canons qui les escortait. On arma aussi des barques à Brest, au Port Louis & au Havre contre les corsaires de Guernesey et on y fit contribuer les marchands. On se précautionna contre une descente que les ennemis méditaient dans le Cotentin. Dans le Nord, M. de Forbin fut envoyé avec 8 frégates pour croiser dans ces mers. On lui défendit seulement d’attaquer les ennemis dans les ports de Danemark et de Suède. Il enleva 10 vaisseaux d’une flotte anglaise revenant de Hollande, prit deux vaisseaux de guerre hollandais et en brûla un 3e qui escortait une flotte venant de Norvège. La flotte lui échappa. On ne put envoyer cette année de vaisseaux en Amérique, malgré le besoin pressant que l’on en avait pour le retour des galions. Six officiers malouins prisonniers sur leur parole s’étant sauvés pour revenir en France, le Roi fut sur le point de les renvoyer et en exigea caution de se représenter si on les réclamait. M. de Chamillart, pour engager les Anglais à un cartel pour les prisonniers de terre, voulait qu’on les menaça de rompre celui pour la marine. M. de Pontchartrain représenta que cette rupture serait désavantageuse parce qu’ils avaient plus de Français que nous d’Anglais et que cela pourrait engager nos Français, hors d’espoir de retour, à prendre parti avec les Anglais. |
Armemens
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En Levant, l’évènement le plus mémorable fut le siège de Toulon par le duc de Savoye, ménagé de longue main avec beaucoup d’art pour cacher les motifs des préparatifs. Les ennemis ne se proposaient pas moins que de s’emparer du port le plus important du royaume et de détruire par là la marine de France et tout le commerce des Français en Levant. On n’éventa ce projet que fort tard. On fit à la hâte des préparatifs pour munir la ville de Toulon et les batteries de la rade de troupes et de munitions dont elle était dégarnie. On fit couler bas les vaisseaux et les canons qui ne purent servir, l’on fit des camps retranchés aux approches de l’ennemi et l’on disposa beaucoup de brûlots à envoyer sur l’armée navale des ennemis qui l’enveloppaient par mer. Le duc de Savoy passa le Var le 11 juillet et s’il fut allé droit à Toulon, la place était perdue, sans ressource, mais la lenteur de la marche donna au maréchal de Tessé le tems d’arriver avec des troupes. Il fit attaquer et reprendre les hauteurs dont les ennemis s’étaient emparés et sur la nouvelle de nouveaux secours qui arrivaient à l’armée du maréchal, la maladie s’étant mise d’ailleurs dans leurs armées, ils prirent le parti de lever le siège et de repasser le Var et se contentèrent de bombarder Toulon où ils firent peu de dommages et de brûler dans la rade 2 vaisseaux qui les avaient beaucoup incommodé par leur artillerie pendant le siège et que l’on avait pas voulu pour cela couler à fond. Ils perdirent beaucoup de monde aux défilés des montagnes dans leur retraite par terre. La marine servit dans ce siège avec beaucoup de zèle et de valeur. M. de Langeron, commandant, et M. de Vauvré, intendant, s’y distinguèrent, mais il y eut beaucoup de discussions entre les officiers de terre et de mer qui eurent peine à s’accorder pour remplir le même service. Le comte de Villars fut envoyé avec 4 vaisseaux au secours de Minorque qui s’était révolté en faveur de l’Archiduc. Il attaqua les rebelles avec 1400 hommes, reprit la ville et soumit toute l’isle au Roi d’Espagne. Il fut de là, croiser aux côtes d’Italie et de la Catalogne et contraignit un vaisseau de 72 canons de s’échouer et de se brûler. On eut souhaité pouvoir envoyer des vaisseaux croiser en Levant contre les Flessinguois qui y faisaient du désordre, mais les fonds ne le permirent pas. En Ponant, on disposa une entreprise pour surprendre avec 15 vaisseaux commandés par M. Ducasse les côtes d’Angleterre dégarnies de troupes et de vaisseaux de guerre et pour y brûler les flottes de convoi, mais sur l’avis du retour d’une escadre anglaise supérieure, on divisa cette escadre en deux, l’une de 10 vaisseaux commandés par M. Duquesne pour croiser de la rivière de Lisbonne aux Sorlingues et au cap Clarck, l’autre de 5 pour croiser de Belle Isle au Finisterre. La 1ere s’empara de 14 bâtimens anglais à l’ouverture de la Manche et mit en fuite deux vaisseaux de guerre. Dans le Nord, M. de Forbin continua de croiser avec 8 frégates dans la mer Baltique, prit en deux actions soixante deux bâtimens marchands, tant anglais qu’hollandais, deux vaisseaux de guerre qui les escortaient et en fit échouer un 3em. S’étant joint ensuite avec M. Duguay Trouin, ils prirent 3 vaisseaux de guerre qui escortaient une flotte, en brûlèrent un quatrième et le 5e se sauva avec la flotte. En Amérique, le Roi envoya M. Ducasse avec 6 vaisseaux pour ramener la flotte du Mexique dans les ports de France ou d’Espagne suivant les circonstances, et M. de Ligodais avec deux frégates, des armes et des fonds, à Plaisance pour fortifier cette colonie menacée d’être enlevée par les Anglais. Le Roy s’était proposé de faire caréner quatre de ses frégates à Malte. Le grand maître ayant représenté que cela blessait la neutralité, le Roy les fit caréner à Messine. |
Armemens
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Cette année ne fut point heureuse à la marine et elle échoua dans le peu d’expéditions qu’elle entreprit. En Levant, l’armée navale des ennemis à qui on ne put en opposer une pareille, s’empara presque sans résistance de la Sardaigne qui se souleva en faveur de l’Archiduc et que le vice Roy, abandonné des troupes et des milices du pays, fut obligé de leur remettre. Elle fit voile ensuite vers Minorque, place importante pour les Anglais par l’établissement d’un port qu’ils voulaient avoir dans la Méditerranée. Elle était munie d’une garnison nombreuse. Les Anglais y débarquèrent trois mille hommes et la garnison se rendit sans avoir tiré un seul coup de canon. M. de La Jonquière qui y avait été envoyé avec un détachement de troupes françaises et qui signa la capitulation, fut mis à son retour au conseil de guerre à Toulon. Il se défendit sur ce qu’il ne commandait qu’en second dans la place, et qu’il avait été obligé de déferrer au commandant espagnol, nonobstant quoi, il fut cassé et dégradé. On fit quelques armemens peu importans pour donner la chasse aux Flessinguois. M. de Grénouville fut envoyé au détroit avec 4 vaisseaux, et prit deux corsaires. On lui fit donner une gratification par la chambre du commerce de Marseille. MM. de Norcy et de Gouyon, capitaines de vaisseaux, furent envoyés avec deux vaisseaux pour croiser sur Carthagène dans le canal de Messine. Et M. Demons, capitaine de frégate, qui fut destiné avec deux frégates à escorter une flotte qui transportait des bleds de Languedoc à Peniscola, tomba dans une escadre ennemie qui lui enleva une vingtaine de bâtimens marchands. Le chevalier Voisins arma des barques pour assurer le commerce des ports de Provence. On établit des batteries dans le château et l’isle de Porquerolles. Et on fit passer six bataillons et six escadrons de Roussillon en Provence pour garder les côtes. En Ponant, malgré la disette des fonds, on reprit en faveur du Roi Jacques le projet d’une descente en Ecosse où l’on croyait avoir des intelligences sûres. L’armement se fit à Dunkerque, composé de 7 vaisseaux de guerre commandés par le chevalier de Forbin, et d’un grand nombre de bâtimens de convoi chargés de troupes et de munitions. On le masqua autant qu’on put sous d’autres prétextes, mais il fut pénétré en Hollande et en Angleterre et, l’escadre prête à sortir, il parut 35 vaisseaux ennemis à la vue de Dunkerque. Le vent les ayant écartés, le chevalier n’en sortit pas moins et se rendit le 3e jour de son départ à l’embouchure de la rivière d’Edimbourg où il fit des signaux convenus, mais personne n’y ayant répondu, il jugea l’entreprise manquée et étant poursuivi par l’armée ennemie, tout ce qu’il put faire fut de lui échapper par une manœuvre habile, en faisant semblant d’aller à elle en lui gagnât le vent pendant qu’elle se disposait à se mettre à la bataille. Il ne perdit qu’un vaisseau et ramena toute la flotte à Dunkerque. Il se fit quelques autres armemens particuliers pour croiser sur le cap St Vincent contre les vaisseaux qui revenaient du Brésil. Le Roy prêtait ses vaisseaux aux armateurs ou, à leur défaut, du bois et des fers pour en construire, et leur permettait de se rembourser de la main d’œuvre sur le produit des prises qu’ils feraient. Il accorda même un dédommagement aux armateurs de M. Duguay Trouin qui avaient perdu dans leur armement pour avoir plus cherché la gloire et le bien de l’état que le leur, et fit contribuer les négocians de St Malo, Nantes et La Rochelle contre les Flessinguois qui avaient enlevé une flotte de 11 bâtimens marchands de Nantes. La subsistance des officiers d’infanterie pendant le passage pour l’armement en faveur du Roi Jacques fut réglé à 30 sous et permit de la porter jusqu’à 40 par jour, suivant leur grade. Les officiers généraux étaient nourris à la table du capitaine. On fortifia et on établit une garnison dans l’isle du Pilier, contre les corsaires de Jersey et de Guernesey, et on envoya quatre frégates pour les en chasser. Malgré les privilèges de la Compagnie des Indes, M. de Pontchartrain excita les armateurs à faire la course dans les Indes orientales, et leur défendit le commerce pour ne point nuire à la compagnie. Il fut convenu avec les Anglais et les Hollandais de se rendre réciproquement les papiers des prises qui ne serviraient point à constater la validité, et de donner une piastre et demie de conduite aux matelots pris sur les côtes de l’Europe. Le ministre de la guerre et de la marine se disputant souvent les prisonniers ennemis, ils convinrent entre eux que la qualité du preneur déterminerait la nature du prisonnier et à qui il appartiendrait. |
Armemens
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La disette des fonds empêcha de mettre cette année aucun vaisseau du Roy à la mer. On favorisa la course autant qu’il fut possible en remettant aux armateurs le 5em du Roy sur les prises et en leur prêtant des vaisseaux, mais à condition que les agrès de retour resteraient au Roy pour le dédommager du dépérissement. En Ponant, M. Duguay Trouin prit quatre vaisseaux marchands sur la côte d’Angleterre et peu après un vaisseau de guerre anglais de 60 canons qu’il fut ensuite obligé d’abandonner à la vue d’une escadre ennemie. MM. de Conserac et de La Mornerie prirent chacun une frégate anglaise, l’une de 34 et l’autre de 40 canons. M. Cassard fit face avec un seul vaisseau à cinq vaisseaux de guerre anglais et sauva par sa manœuvre un grand convoi de bled. Il fut fait pour cette action capitaine de brûlot. On mit en défense les ports de Rochefort et du Havre, menacés par les ennemis, et on exhorta les Espagnols à y mettre celui de Cadix que l’on était pas en état de garder par mer. En Levant, on s’en tint à garder les côtes de Languedoc avec des pinques, et à faire passer quelques convois de bled à Pensacola. On prenait grand soin des prisonniers anglais et on veillait à ce qu’ils ne fussent point maltraités ou engagés par force, ni même volontairement dans nos troupes, de crainte de représailles. L’échange fut proposé sur le pied de 40 hommes pour un lieutenant général, 30 pour un chef d’escadre ou maréchal de camp, 25 pour un brigadier, 20 pour un capitaine ou colonel, 15 pour un lieutenant colonel ou capitaine de frégate, 10 pour un capitaine d’infanterie et cavalerie ou pour un lieutenant de vaisseau et 5 pour un enseigne de vaisseau ou lieutenant d’infanterie, mais les capitaines corsaires n’étaient point compris dans cet échange, ni mis au pair des capitaines de vaisseaux de guerre anglais. On accorda des passeports aux Portugais et aux Hollandais pour apporter en France les denrées de commerce, mais sur l’avis qu’on eut de l’abus qu’en faisaient les Hollandais qui les vendaient publiquement, on exigea des soumissions qui restaient entre les mains des commissaires de marine qui les délivraient. |
Armemens
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Les forces de la marine s’épuisant de plus en plus, les ennemis en profitèrent et prirent cette année l’Acadie qui fut mal défendue. Il y eut ordre de mettre la garnison à son retour au conseil de guerre. En Levant, on se borna à escorter quelques convois de bled dont la disette était grande en France. M. Cassart, armateur, chargé de l’escorte avec un seul vaisseau, attaqua seul et prit 2 vaisseaux de guerre ennemis plus forts que lui et fut fait pour cette action capitaine de frégate. En Ponant, on arma aussi quelques frégates au Havre pour le même objet, et l’on mit les côtes en défense le mieux qu’on pût en ménageant les fonds. On ne cessait de se plaindre de la dureté des traitemens des prisonniers français en Angleterre & on leur donnait même l’exemple du contraire, laissant même la liberté aux officiers anglais de porter l’épée dans les villes qu’ils auraient pour prison à condition qu’ils en useraient de même en Angleterre. On supprima tout à fait les passeports que l’on donnait aux Hollandais, ayant reconnu qu’ils étaient plus nuisibles qu’utiles à l’état parce qu’ils ruinaient la course et qu’ils donnaient aux ennemis les moyens de continuer la guerre. On eut préféré de faire passer leur commerce aux Anglais que l’on jugeait moins à portée d’en tirer parti au détriment des nôtres. Les ennemis se présentèrent devant Sète avec 24 vaisseaux. 7 firent une descente et s’emparèrent du fort, mais ils en furent chassés presque aussitôt par le duc de Noailles qui vint au secours avec 1000 grenadiers et 900 chevaux. |
Armemens
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Cette année fit naître des évènemens qui donnèrent la paix à l’Europe au moment où l’on s’y attendait le moins. La mort de l’Empereur Joseph à qui l’Archiduc succéda, les factions d’Angleterre qui se divisèrent, quelques succès heureux en Espagne, tout contribua dans ce moment critique à séparer l’Angleterre de la grande alliance. Les préliminaires de la paix furent signés à Londres en octobre. La France y reconnut la princesse de Danemark pour Reine d’Angleterre, la couronne d’Espagne y fut assurée à Philippe 5. Tout ce qui suivit ne tendit plus qu’à forcer les ennemis à la paix que cette division leur rendit nécessaire. Le Roy n’étant pas en état d’armer des escadres, toutes les opérations maritimes de cette campagne la réduisirent à la course. La plus importante fut la prise de Rio de Janeiro par M. Duguay Trouin. Le Roi avait cette entreprise fort à cœur pour venger l’injure faite à des officiers français détenus prisonniers dans des cachots par le gouvernement de Rio de Janeiro qui avait contrevenu aux capitulations faites avec eux et accorda aux armateurs, en faveur de cet armement, l’exemption de tous droits sur les effets des prises, hors sur les toiles peintes et le tabac. L’entreprise était périlleuse, la place était d’un difficile abord, bien fortifiée et munie de canons ainsi que la rade, et d’une garnison de 800 hommes. M. de Pontchartrain n’était point sans inquiétude sur le succès. Il fit délivrer des arsenaux du Roy à M. Duguay Trouin, outre le corps des vaisseaux, tout ce qui put s’y trouver pour les armes. On masqua cet armement en le faisant passer pour le compte du Roy d’Espagne. Le Roi étant hors d’état d’avancer le prêt promis aux soldats, M. de comte de Toulouse y prit intérêt et en fit l’avance en partie. M. Duguay Trouin partit de Brest le 3 juin avec 7 vaisseaux et 2500 hommes de débarquement. On lui donna carte blanche en cas d’obstacles imprévus pour tenter toute autre entreprise sur la Barbade, la Jamaïque ou Curaçao. Les gouverneurs des isles françaises eurent ordre de le secourir de toutes leurs forces. Il arriva à Rio [de] Janeiro le 9 septembre, prit ou fit échouer tout ce qu’il y avait de vaisseaux dans le port, obligea la ville de se racheter, et fit perdre par cette prise plus de vingt millions au Portugal. Tous les officiers qui avaient accompagné M. Duguay Trouin dans cette expédition furent loués et complimentés par le ministre, les récompenses se trouvèrent dans la prise même. Les Anglais furent moins heureux et échouèrent dans leur entreprise sur Québec. En Ponant, le Roy accorda 2 vaisseaux de 50 canons au S. de l’Epine d’Anican de St Malo pour aller croiser sur la Nouvelle Angleterre, deux au comte de Blénac, qui ne prit rien cette année, six au sieur Saus, armateur de St Malo, qui prit 13 bâtimens marchands hollandais, 4 au S. du Coudray Guimon pour croiser sur les côtes et dans les divers parages de l’océan. On engagea les Bordelais à armer une frégate pour garder l’entrée de leur rivière, et on imposa pour cela un droit de 10 sous par tonneau sur les bâtimens chargés qui entreraient dans la rivière, de vingt sous à la sortie et de 3 sous pour ceux qui n’auraient que du lest. En levant, le S. Beliard s’empara de la tour des Medes pour couper la communication avec Rosas Le S. de l’Aigle attaqua une escadre ennemie supérieure devant Vaye, et en fut maltraité après s’être défendu longtemps avec courage. On le loua de sa valeur et on le blâma de s’être exposé trop témérairement et surtout d’avoir attaqué les ennemis dans une rade neutre. Le S. de Grand-Pré fut pris en même circonstance, mais avec peu de résistance. Il en fût blâmé et mis au conseil de guerre. Les deux chevaliers de Lordas furent envoyés à la découverte avec deux barques le long des côtes de Languedoc. On ne put armer faute de fonds les plus petits bâtimens demandés par M. de Vendôme et M. de Voisin, ministre de la guerre, pour garder la côte de Roussillon et l’on fut obligé pour faire servir les gardes marine de les employer sur des corsaires. |
Armemens
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Cette année n’offre rien de remarquable dans la marine. Il n’y eut que quelques armemens particuliers, des prises de peu d’éclat. Le seul évènement considérable fut la prise de St Yago sur les Portugais par M. Cassart. La paix qui se traitait à Utrecht arrêta toutes les entreprises qu’on aurait pu tenter. La Reine d’Angleterre se porta à ce qu’on pouvait désirer d’elle pour obliger ses alliés à terminer une guerre onéreuse à toutes les puissances. Le motif qui l’avait fait naître ne subsistait plus. L’Archiduc, devenu Empereur l’année précédente sous le nom de Charles 6, l’héritier des biens de la maison d’Autriche et de l’Empire par la mort de Joseph 1er ne pouvait plus prétendre à la couronne d’Espagne sans aller contre les vœux des alliés qui ne voulaient point consentir à la réunion de tant d’état sur une même tête. La France, pour calmer leur inquiétude à cet égard, engagea Philippe 5 à faire une renonciation solennelle et irrévocable (si de tels actes peuvent l’être) à la couronne de France. Cette renonciation devenait d’autant plus nécessaire que la mort du dauphin et du duc de Bretagne semblait lui ouvrir une succession prochaine au trône de France. La déclaration de la Reine Anne aux alliés sur ses dispositions à la paix, la confiance avec laquelle Louis 14 fit remettre Dunkerque entre les mains des Anglais pour sûreté des préliminaires, les avantages que le maréchal de Villars remporta en Flandre, tout cela fit ouvrir les yeux à une partie des alliés et les porta à écouter des propositions qu’une trop forte prévention en faveur de la maison d’Autriche et des intrigues secrètes avaient fait rejeter jusqu’alors. La paix cependant n’était point encore signée et la course continuait, mais le bruit d’une paix prochaine ralentissait beaucoup le zèle des armateurs qui craignaient d’être obligés de restituer les prises qu’ils auraient faites. On tachait cependant de les exciter surtout contre les Hollandais avec qui l’accommodement paraissait le moins prochain, et on mandait que les suspensions d’armes déjà publiées, ne regardaient que les troupes de terre. On avait déjà commencé en juillet à remettre Dunkerque aux Anglais, et on projetait de faire construire à la place un port à Gravelines. La paix fut conclue entièrement avec les Anglais au mois d’août de cette année et le commerce libre rétabli en septembre. Avant que ce traité fut parvenu à la connaissance des vaisseaux qui étaient en mer, il se passa bien de petites hostilités dont les deux nations se demandèrent et se firent raison réciproquement. La suspension d’armes avec les Portugais ne fut déclarée qu’en Hollande, mais avant qu’elle le fut à la mer, le S. Cassart avait fait une expédition considérable avec 6 vaisseaux et 2 frégates contre St Yago, ville des isles du Cap Vert, appartenant aux Portugais, dont il se rendit maître en 24 heures avec mille hommes de débarquement, fit sauter les forts, les poudres, cloches, munitions et effets les plus précieux, et mit au pillage la ville défendue par plus de 1200 habitans. Le Roy trouva très mauvais que des officiers de marine voulussent refuser de servir sous lui avec les troupes embarquées, sous prétexte qu’il n’était qu’armateur particulier, et en demanda la liste. Il en fit armer d’autres d’autorité par le commandant du port. Il est à remarquer que le S. Cassart était alors capitaine de vaisseau et que l’intérêt faisait armer en course des capitaines pendant que la vanité faisait refuser aux subalternes de servir sous eux dans des armemens de même nature. A son retour l’année suivante, il échoua sur la côte des Caraques et y perdit son vaisseau. Cet accident et les malversations de cet armement firent perdre presque tout le fruit aux armateurs et à l’état. Il fut mis au conseil de guerre pour se conformer à l’ordonnance. M. Ducasse avait ramené en mars la flotte d’Espagne de l’Amérique à la Corogne et l’on sollicitait à la cour de Madrid le payement des frais de son escadre. M. de Vaudreuil, gouverneur du Canada, voulait tenter de recouvrer l’Acadie sur les Anglais et en avait fait approuver le projet, mais cette entreprise ne pût être exécutée avant la paix. On accorda en août 4 vaisseaux au S. Guimon du Coudray pour aller faire la course et le commerce aux Indes orientales. En levant, la Provence et le Languedoc firent armer à leurs dépends deux galères, une pinque et une tartane pour garder les côtes. En Ponant, le S. Boispinant, n’ayant que 2 vaisseaux, se battit avec avantage à la côte de Guinée contre quatre Anglais plus forts que lui. Un corsaire de St Malo en enleva un de Guernesey et un autre fut puni pour avoir refusé d’exécuter l’ordre d’en chasser un autre. Le Roi défendit à ses armateurs de faire la course sous pavillon d’Espagne contre les Vénitiens et les Génois avec qui il voulait conserver la neutralité quoiqu’ils fussent en guerre avec l’Espagne. M. de Pontchartrain demanda dans tous les ports des mémoires sur l’état de la marine et sur les mesures à prendre pour son rétablissement. |
Armemens
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Cette année termina toutes les opérations maritimes de cette guerre. La paix fut signée à Utrecht le 11 avril avec l’Angleterre, la Hollande et le Portugal. Le 13 juillet suivant avec toutes les puissances excepté avec l’Empereur. Il n’était guère possible de la faire plus à la satisfaction de toutes les parties qu’elle ne le fut alors, vu la situation des affaires. Le trône d’Angleterre fut assuré à la maison d’Hanovre, l’Espagne lui céda Gibraltar et l’isle de Minorque, on prévint l’union de la France et de l’Espagne. Les princes alliés dépouillés de leurs états y rentrèrent ou en furent dédommagés enfin après une guerre aussi malheureuse pour la France. Le Roy perdit peu de chose et maintint Philippe 5 son petit fils sur le trône d’Espagne. Si l’on considère les pertes que la marine fit pendant cette longue guerre, on ne sera plus surpris des sommes immenses qu’il en coûta ni du mauvais état où elle était à la paix et dont elle ne s’est jamais relevée. Elle perdit dans cette guerre 52 vaisseaux de guerre montés de 3094 canons pris ou brûlés par les Anglais seuls, sans compter ceux qui furent enlevés par les Hollandais, Portugais, etc. L’extrême disette des fonds porta aux plus grands excès dans les ports où la misère était générale. Enfin, la paix avec toutes les puissances maritimes fut déclarée au mois d’août de cette année et les ordres donnés en conséquence dans tous les ports pour défendre les hostilités. On voulait continuer la course contre les vaisseaux des villes hanséatiques qui avaient reçu les avocatoires de l’Empereur, mais sur ce que les négocians représentèrent que cela troublerait le commerce, on défendit les armemens. On se plaignit aux Hollandais de ce que leurs armateurs prenaient le pavillon de l’Archiduc pour continuer leurs pirateries. On se proposait de s’emparer de l’isle Maurice comme vacante, mais on craignit que cela n’occasionnât des discussions avec les Hollandais qui s’en prétendaient en possession. Il ne restait plus qu’à réprimer les corsaires Majorquins et les Flessinguois qui troublaient le commerce du Levant et contre qui on arma quelques petits bâtimens. L’évacuation de Dunkerque fut long tems à se faire, faute de fonds pour le transport des munitions à calais, et excita des murmures de la part des Anglais qui firent sauter les fortifications et prirent des mesures pour combler le port. On fit savoir aux armateurs que les discussions pour les prises seraient portées aux juridictions ordinaires tant en France qu’en Angleterre. Les armemens pour les Indes orientales continuèrent à avoir lieu, tant celui de M. de Requemador, que celui de M. du Coudray Guimon. Le Roy d’Espagne demanda au Roy deux vaisseaux de 50 canons et 6 galiotes à bombes qui furent armées à Toulon pour achever de soumettre les rebelles de Catalogne, et fournit aux frais de cet armement. On eut quelques avis, mais probablement mal fondés, qu’un Allemand devait mettre le feu aux vaisseaux de Toulon, et on y donna ordre d’arrêter les gens suspects. |
Armemens
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La paix avait été signée l’année dernière avec toutes les puissances maritimes. Elle le fut cette année avec l’Empereur et avec touts les autres puissances de l’Europe. Il ne resta à soumettre que les Majorquins et quelques révoltés de Catalogne qui obligèrent le Roy d’Espagne à demander au Roi une escadre de quelques vaisseaux et galiotes et des munitions de guerre qui lui furent fournis de Toulon et dont le Roi ne lui fit pas même payer la dépense. M. Ducasse qui devait commander cette escadre, tomba malade et M. de Bellefontaine le remplaça avec ce secours. Barcelone et la Catalogne furent reprises, et Majorque fut réduite l’année suivante. Le Roy d’Espagne demanda encore au Roi des secours pour mettre le S. Martinet en état d’exécuter un traité qu’il avait fait avec lui pour l’armement de 3 vaisseaux qui devaient aller au Pérou contre les interlopes, et le Roy s’y prêta et lui permit de lever des équipages français à condition que le S. Martinet payerait au trésorier de la marine les effets qu’il tirerait des magasins, et que ces vaisseaux seraient commandés par des officiers français et qu’ils porteraient pavillon de France. On se relâcha sur cette dernière condition dans les mers de l’Amérique. |
Armemens
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Le Roy envoya cette année au secours de Malte, menacée par les Turcs, deux bataillons de 500 hommes chacun, l’un de la marine, l’autre des galères, et cent |